Photographie 
: Une histoire d’amour ?

Une expo au Cercle Cité retrace les débuts de l’Union européenne et rappelle la place du Luxembourg dans la construction européenne.

(© Phototheque_photo-Theo-Mey)

La grand-mère du Tram : une locomotive à vapeur en pleine ville. (© Phototheque_photo-Theo-Mey)

« Luxembourg – une histoire européenne », tel est l’intitulé de l’expo à voir au « Ratskeller » du Cercle Cité en ce moment. On peut y voir des photos – anciennes et récentes – qui témoignent de l’implantation des institutions européennes au Luxembourg. Le Kirchberg, où se trouvent aujourd’hui, entre autres, la Cour de justice de l’Union européenne, la Banque européenne d’investissement ou encore l’office statistique Eurostat, n’était pas forcément destiné à accomplir ce rôle. Ainsi, les plus vieilles photographies montrent un Kirchberg que beaucoup ne se rappellent plus : un plateau verdoyant, recouvert de champs, de forêts et de quelques villages d’agriculteurs paisibles.

Rien ne prédestinait le Kirchberg à devenir ce qu’il est devenu, si ce n’est une série de coïncidences. Ainsi, dans le livret qui accompagne l’expo, Charles Barthel, directeur du Centre d’études et de recherches européennes Robert Schuman relaye l’anecdote suivante : Dans la nuit du 24 au 25 juillet 1952 – soit un jour après l’entrée en vigueur du Traité de Paris créant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), première étape du chemin vers l’Union européenne – des négociations concernant le futur siège de la CECA eurent lieu à Paris.

« Depuis le petit matin », raconte Barthel dans sa préface, « les envoyés de six États fondateurs de l’Union avaient ressassé le pour et le contre d’un ancrage à Sarrebruck, Strasbourg et Paris, Liège, Bruxelles ou encore La Haye, voire Turin. » Sans résultat. C’est alors que, à trois heures du matin, le ministre des Affaires étrangères luxembourgeois de l’époque, Joseph Bech, qui, selon les souvenirs de Jean Monnet, aurait somnolé jusque-là, aurait soudainement levé la voix pour dire : « Je propose que le travail commence aussitôt à Luxembourg, cela nous donnera le temps de réfléchir à la suite. » Tout le monde aurait été soulagé – et la décision fut prise.

Trois semaines restaient au gouvernement luxembourgeois pour trouver des locaux plus ou moins adaptés, car les initiateurs de la CECA étaient décidés à démarrer seulement quelques jours plus tard. L’heure était donc forcément à l’improvisation. C’est ainsi que – les photographies de l’expo en témoignent – la grande salle à l’Hôtel de Ville de Luxembourg devient le lieu de rencontre des premiers Conseils des ministres, le bâtiment de la direction des CFL se transforme en QG pour la Haute autorité présidée par Jean Monnet et la Villa Vauban abrite la Cour de justice européenne.

Ce n’est que la « conquête » du Kirchberg dans les années soixante qui mettra fin à cette situation. Mais ce qui allait devenir plus tard l’Union européenne, peut, dès le début, compter sur des voix critiques qui s’élèvent. À commencer par les agriculteurs du plateau de Kirchberg, expropriés afin d’y pouvoir installer les institutions. Une photo de Tony Krier de 1962 témoigne de la résistance farouche qu’opposent les paysans à leur expropriation: « Hâlt er Bréck a lôsst ons onse Buedem! » peut-on lire sur une des nombreuses pancartes qui parsèment les champs du Kirchberg à l’époque. Il faut dire qu’avec 330.000 francs par hectare – alors qu’à la même époque, à Mamer, on dépense déjà 800.000 francs par hectare -, ils ne sont que pauvrement dédommagés.

Mais ce ne sont pas que les paysans qui s’opposent à la construction européenne: Une photo de 1976 montre une banderole du Parti communiste français lors d’une manif à Kirchberg. « Contre l’Europe du chômage et de la misère » peut-on y deviner. Ils n’avaient peut-être pas tort, est-on tenté de se dire, après tout. Les photos récentes du plateau de Kirchberg, dont l’auteur est Marc Wilwert, renforcent cette idée: l’architecture semble parfaitement symboliser ce qui ne va pas au sein de l’Union européenne. Tels des monarques, les dirigeants européens se sont construit des monuments qui, rien que par leur envergure et leurs formes, imposent le respect, voire la peur. Séparés du reste de la ville, ce sont des symboles du pouvoir plutôt que du vivre ensemble et de la solidarité.

Au « Ratskeller », jusqu’au 13 septembre.

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