Photographie : Vanités posthumes

La Villa Vauban présente actuellement „Vanitas“, une occasion de revoir une vingtaine de photographies paradoxalement macabres et joyeuses de Michel Medinger, récemment disparu.

Hommage à Rackham le rouge aux côtés d’un autoportrait sans titre de Michel Medinger. (Photo : Nuno Lucas da Costa)

Michel Medinger nous a quitté·es en ce début d’année, le 14 janvier dernier, à l’âge de 83 ans. L’artiste luxembourgeois, qui était friand d’humour noir, laisse derrière lui une vaste œuvre artistique célébrée et reconnue. Ses photographies de natures mortes y sont pour beaucoup. Dans une mise en scène picturale et à partir d’objets improbables, il composait des vanités inspirées de la peinture néerlandaise et flamande. Le tout nous renvoie incessamment à la réalité éphémère de notre condition humaine, insufflant au final un sentiment de memento mori.

L’exposition « Vanitas » s’insère dans le Mois européen de la photographie (EMOP). Ayant remporté le Luxembourg Photography Award en 2024, une expo en l’honneur de l’artiste lui été dédiée lors de la 55e édition des Rencontres d’Arles, comme un hommage ante mortem non planifié. Installée à la Chapelle de la Charité et sous le nom de « Michel Medinger – L’ordre des choses », l’expo a attiré plus de 40.000 visiteur·rices, dont le ministre luxembourgeois de la Culture, Eric Thill, ou encore la grande-duchesse héritière, Stéphanie de Lannoy. Pour des raisons de santé, Michel Medinger n’avait pas pu assister à cette messe incontournable de la photographie européenne et mondiale. Au Luxembourg, « Vanitas », qui devait être une suite de ce passage arlésien, fait malheureusement office de rétrospective post mortem.

Située au sous-sol de la Villa Vauban, on imagine un·e visiteur·rice lambda franchir la salle où sont exposés les clichés de Michel Medinger. Passer d’une salle lumineuse ornée de tableaux du 17e siècle, plutôt colorés et aux bordures dorées, à l’espace où se trouve « Vanitas », totalement monochrome aux contours funèbres, peut causer une certaine perplexité. Pourtant, le choix de l’espace n’est pas anodin, car Michel Medinger affichait une certaine prédilection pour l’âge d’or de la peinture néerlandaise et flamande du 17e siècle, dont il appréciait surtout les vanités et natures mortes. La Villa Vauban est habitée de tableaux de cette époque, même si leur thématique se disperse dans plusieurs sens.

Veillée mortuaire

À l’entrée de la salle, s’affiche devant nous en grandes lettres « Michel Medinger (1941 – 2025 ) » suivi de « Vanitas ». Au vu de la contemporanéité du décès de l’artiste, le titre « Vanitas » sonne sur le moment comme une épitaphe complétée par les photos exposées. L’impression d’être entré dans un espace de veillée mortuaire nous traverse l’esprit. Ce ressenti devient consistant devant l’une des photos les plus emblématiques de l’artiste luxembourgeois intitulée « Hommage à Rackham le Rouge », aux côtés d’un autoportrait de l’artiste. Dans la première, se déploie un crâne humain orné d’un arrangement floral portant un cache-œil. Nous aurons compris qu’il s’agit d’une référence à un pirate passé sous les mailles de l’imagination du photographe luxembourgeois. Quand au personnage évoqué par Medinger, le pirate en question aurait bel et bien existé selon certains ouvrages dédiés aux corsaires, et il apparaît même dans deux numéros des « Aventures de Tintin ». Dans cette polysémie autour de la mort, on décèle bien sûr un brin d’humour noir.

Dans la deuxième photo, Michel Medinger se met lui-même en scène tel un citoyen urbain. Mais il arbore une écharpe décorée de multiples petits crânes et est muni d’un objet hors du commun : une faucheuse. Son menton posé sur la lame de l’objet, son regard n’est ni menaçant, ni apeuré, ni alarmiste, mais semble tout simplement nous mettre en garde devant l’omniprésence de l’imminence de la mort. Même si la mort ne nous affecte pas directement ou, pour le dire plus familièrement, que notre heure n’a pas encore sonné, elle nous côtoie constamment, ne serait-ce qu’à travers celle des autres, qu’ils soient humains, animaux ou végétaux. Un memento mori avec lequel l’artiste luxembourgeois semble résolument jouer, en l’investissant d’une certaine malice quasi-infantile et saupoudrée d’ironie. 

Les mises en scènes de Michel Medinger se composent également d’une accumulation pléthorique d’objets aléatoires tels que des crânes d’animaux, des chouettes ou corbeaux empaillés, des fleurs fanées, fruits et légumes anthropomorphes avec, parfois, une connotation érotique, voire phallique. Ces mêmes mises en scène frôlent simultanément le baroque et le surréalisme. L’automne dernier, le Centre Pompidou-Paris avait consacré une grande exposition au centenaire du mouvement surréaliste. Les créations de Michel Medinger auraient parfaitement trouvé leur place dans cet écosystème. Il faut dire aussi que la quasi majorité des photos exposées, de par leur composition scénique et leur maîtrise de la lumière, se confond de façon subliminale avec l’art pictural.

Exigence de vérité

Par moments et au travers de ce que nous voyons autour, nous basculons aussi dans nos archives et références cinématographiques, et nous pensons à certains personnages pourvus d’un esprit pour le moins non-linéaire. Bien sûr, cela ne s’applique pas à Michel Medinger, quand bien même son parcours ne se distingue pas non plus par sa linéarité. Chimiste de formation, il a excellé dans le sport, notamment dans la course de demi-fond avant de s’adonner à la photographie sous ses formes diverses, que ce soit à partir de tirages argentiques ou encore à partir d’un Polaroid. C’est d’ailleurs grâce à sa participation aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964 qu’il fit le grand saut dans le huitième art. Avant de s’y rendre, il s’était équipé d’un bon vieux Yashica 44. « Je ne pouvais pas y aller et surtout revenir sans avoir fait de photographies », dira-t-il plus tard. Au Luxembourg, il commença tout simplement par photographier les outils de travail entassés dans des tiroirs de son père, un peu comme un peintre du dimanche. Non-conventionnel et autodidacte, Michel Medinger exposera, entre autres, quelques années plus tard en Europe, aux États-Unis, en Chine et au Japon les photos que nous avons sous nos yeux.

Par moments, l’idée que l’artiste mérite un espace un peu moins exigu nous effleure l’esprit. Pourtant, en dépit de la noirceur et du caractère funéraire de cette expérience, une certaine claustrophobie prend progressivement le dessus. On oublie totalement le buste de Jean-Pierre Pescatore qui se trouve dans la salle voisine ou encore que nous nous trouvons dans une ancienne fortification de la ville de Luxembourg, comme l’atteste la date de 1735 inscrite sur un des murs qui a survécu au démantèlement de la forteresse, à la suite du traité de Londres de 1867.

Pour cette édition et sous le commissariat de Paul di Felice, l’EMOP nous offre ainsi une véritable perle de la photographie nationale. Il convient aussi de souligner la collaboration avec l’association Lët’z Arles, qui permet de redonner vie à ce qui a en partie été exposé lors des Rencontres d’Arles. La même initiative avait déjà été entreprise avec un autre enfant du pays, Romain Urhausen, artiste protéiforme décédé en 2021. À partir d’une expo que lui avait consacré Arles en 2022, une autre expo avait vu le jour au grand-duché, au Schlassgoart d’Esch-sur-Alzette en 2023, sous la responsabilité du même commissaire. Quant à l’EMOP, l’évènement se décline cette année sous le thème « Rethinking Photography ». Les organisateurs, notamment l’association Café-Crème, justifient ce choix par « l’exigence de vérité, d’authenticité et d’originalité » mise à l’épreuve, entre autres, par l’émergence de l’intelligence artificielle. Michel Medinger réunit indubitablement tous ces critères et vanité à part, son imagination parviendrait même à troubler l’IA.

« Vanitas » à la Villa Vauban, jusqu’au 15 juin 2025.

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