Politique culturelle
 : La grande normalisation

C’est par une conférence de presse annonçant la « rentrée culturelle » que le ministère de la Culture a fait part de quelques nouveautés paraissant anodines, mais qui – vues de près – ne le sont pas tellement.

Lors de sa récente visite à Venise, le ministre de la Culture Xavier Bettel a mis en marche le déménagement futur du pavillon luxembourgeois. (Photo : SIP)

Désormais, lors de la Biennale de Venise, le grand-duché de Luxembourg sera mieux entouré. Car le nouveau pavillon (qui servira aussi bien à l’architecture, les années paires, qu’à l’art contemporain, les années impaires) aura pour voisins d’autres pavillons nationaux, notamment ceux mis en place par la Turquie et Singapour – de grandes démocraties. Le secrétaire d’État à la Culture Guy Arendt a précisé : « Nous ne disposerons pas uniquement de plus d’espace – environ 250 mètres carrés – mais la Sale d’Armi de l’Arsenal est aussi beaucoup plus centrale, notamment à cause de la proximité avec l’académie de la Biennale. Avant, si on désirait voir le pavillon national du Luxembourg à la Ca’ del Duca, il fallait vraiment vouloir s’y rendre. Maintenant, le pays dispose d’un emplacement plus visible auquel il sera difficile d’échapper. » Il est aussi difficile d’échapper à l’arrière-pensée que ce changement d’emplacement se fait avant tout dans l’esprit du « nation branding » – mettant en avant la promotion du pays en tant que marque au lieu de voir avec les artistes et les architectes quel type de pavillon sied le mieux à une vitrine nationale.

De toute façon, ce sont surtout les architectes qui se réjouiront de l’espace accru. Revenant sur les propos d’un artiste qui travaillait sur un projet pour la Biennale à venir – et qu’il avait adapté aux pièces exiguës de la Ca’ del Duca -, Arendt a balayé ces plaintes d’un revers de main : « Il faut s’adapter. » D’ailleurs, cet artiste ne sera pas le seul à devoir s’adapter à la gestion de la culture façon « adapt or die ». Car depuis des mois, on s’inquiétait du fait que le Luca (Luxembourg Center for Architecture) n’avait pas encore publié son traditionnel appel à projets. Vu les délais un peu courts – la prochaine édition de la Biennale consacrée à l’architecture ayant lieu en 2018 -, la scène culturelle se demandait comment il allait s’y prendre. Eh bien, c’est très simple : plus d’appels à projets ! Par contre, le Luca, qui profite certes de quelques subsides étatiques, mais qui est en grande partie financé par des promoteurs immobiliers, des assureurs et des banques, s’associera au master en architecture de l’Université du Luxembourg pour élaborer le projet pour 2018. Certes, faire un appel à projets n’est pas une obligation gravée dans le marbre – mais tout de même, la nonchalance avec laquelle la responsable du Luca a admis que ça faisait quatre mois qu’ils y travaillaient en dit long sur l’attitude business qui prévaut. D’autant plus que dans le jury figure aussi le nouveau président d’Agora, Frank Vansteenkiste.

S’il est louable que les organisateurs du pavillon grand-ducal à la Biennale de l’architecture aient promis de mieux se coordonner avec le Mudam et le Casino quand il s’agira de passer le flambeau aux arts – notamment en laissant sur place une partie de leur infrastructure -, la question du financement se pose. Car si l’espace double, les moyens qu’il faut mettre en œuvre pour le remplir augmentent aussi. Sur cette question, le secrétaire d’État a été un peu évasif, promettant d’augmenter l’enveloppe (qui est de 200.000 euros en ce moment), qui pourrait donc atteindre « un peu plus de 300.000 euros » – mais ça non plus, ça n’est pas gravé dans le marbre.

Seconde grande annonce de ce mardi : une meilleure présentation du site du ministère en ce qui concerne l’obtention de subsides. Ce qui n’est pas une grande prouesse, mais simplement la « mise en musique » d’une revendication de longue date et la concrétisation d’une promesse faite dans le sacro-saint programme gouvernemental de coalition. Outre la possibilité de remplir leurs formulaires en ligne (avec un numéro de téléphone joignable les matins en cas de coquille), les demandeurs pourront compter sur plus de transparence dans les critères. Enfin… ceux-ci sont affichés dans les formulaires électroniques. Et en plus, une nouvelle aide de « participation à la mobilité des éditeurs » vient d’être créée. En toute logique donc, si le ministère de la Culture ne parvient toujours pas à organiser un stand rassemblant tous les éditeurs luxembourgeois pour les grandes foires aux livres (ce qui, il faut l’admettre, ne dépend pas seulement de la bonne volonté du ministère), ces derniers pourront au moins se faire rembourser leurs déplacements.

« Adapt or die »

Une bonne nouvelle est tombée pourtant pour l’enseignement musical. Les critères pour les aides ont été améliorés et permettent donc à plus d’enfants vivant dans des conditions sociales difficiles d’accéder à une école de musique. Pour y aller, l’enfant devra provenir d’un ménage dont le revenu brut ne dépasse pas 3,5 fois le salaire social minimum (le seuil étant majoré de 500 euros pour chaque enfant de moins de 18 ans à charge à partir du deuxième enfant), être âgé d’au moins 14 ans au premier janvier de l’année scolaire en cours et bien sûr faire sa demande dans un établissement d’enseignement musical reconnu par la loi. Et ceux-ci viennent d’accueillir pas moins de trois nouveaux établissements agrémentés. En conséquence, le nombre d’inscriptions a bondi de 961 aides en 2015-2016 à 1.149 en 2016-2017. Ce n’est pas l’invention de la roue, mais pour pallier une situation souvent difficile quant à l’accès égalitaire à l’enseignement musical, c’est un pas dans la bonne direction.

En parlant de direction : le Luxembourg est bien forcé de prendre la direction de son patrimoine, vu que les institutions européennes ont proclamé l’année 2018 « Année européenne du patrimoine ». Confiée à la juriste du ministère de la Culture, Beryl Bruck, la tâche de la coordination ne sera sûrement pas facile. Le programme européen prévoit la « sensibilisation au sujet du patrimoine » en associant les acteurs de terrain – le Luxembourg devra surtout maquiller le fait qu’il ne dispose toujours pas d’une législation efficace en matière de protection du patrimoine. Même si Guy Arendt a essayé de tempérer en justifiant que le « projet de loi sera déposé avant la fin de l’année », et que les différents groupements d’intérêts qui se sont manifestés ont tous été écoutés (sans garantie que leurs revendications se retrouvent dans le texte, comme l’a souligné le secrétaire d’État), ce manque fait tache. Et le fait que le ministère veuille mettre en avant les fresques romaines découvertes à Schieren – « C’est comme un Pompéi luxembourgeois en petit », a insisté Arendt – n’y change pas grand-chose.

Pour conclure sa prestation, le ministre a laissé libre cours à son amertume face à la critique de certains organes de presse par rapport aux projets « Intro » (à lire dans notre rubrique Expo) et la participation luxembourgeoise aux prestigieuses Rencontres photographiques d’Arles. Le hic, c’est que pour contrer les critiques, il n’a fait que citer les chiffres de visiteurs de ces deux événements. Et faisant cela, il a encore une fois montré le propre de la politique culturelle estampillée DP : la culture du chiffre.

Par contre, deux sujets sur lesquels le secrétaire d’État est resté flou sont la galerie d’art national imaginée par Xavier Bettel – un avant-projet de loi sommaire serait en cours d’élaboration, ce qui ne laisse plus beaucoup de temps pour réaliser ce fantasme – et la nomination d’un nouveau directeur du Mudam. Celle-ci est annoncée pour début octobre. On attend la suite avec impatience.


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