Politique culturelle : Un loisir parmi les autres

Doctorante en muséologie à l’université de Leicester, Laurence Brasseur s’intéresse à l’espace social que représente le musée. Au lieu de chanter les louanges des dix ans du Mudam comme tous les autres, le woxx s’est entretenu avec elle.

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(Photo : LB)

woxx : Un sondage récent a montré que si les Luxembourgeois sont fiers de leur culture, ils n’en profitent que très peu. Comment expliquer ce paradoxe ?


Laurence Brasseur : Avec les sondages, il faut toujours être un peu méfiant. Beaucoup de choses dépendent de la façon dont les questions sont posées. Si on varie un peu la formulation, le résultat peut changer énormément. C’est pourquoi je pense qu’il ne faut pas prendre les résultats d’un sondage pour des faits indiscutables. D’autre part, je ne considère pas ce résultat comme étant tout à fait paradoxal. Il ne faut pas oublier que les gens aujourd’hui ont une panoplie de loisirs tellement importante, tellement de possibilités de meubler leur temps libre, que la culture – et les musées n’en sont qu’une petite partie, quoiqu’ils soient souvent perçus différemment à cause de leur taille importante dans l’espace public – n’est qu’une façon de se divertir. En ce sens, il n’est pas paradoxal que les gens connaissent les lieux culturels mais qu’ils ne s’y rendent pas ou peu. Donc, les musées ne sont des lieux centraux que pour ceux qui y travaillent – pour les autres, ce n’est qu’un loisir parmi plusieurs possibles.

Le Mudam – selon les dires de son directeur – a longtemps été perçu comme « un corps étranger » dans le paysage culturel luxembourgeois. Comment intégrer un tel corps ?


Je pense qu’il a dit aussi que pendant les premières années, les visiteurs du Mudam étaient avant tout des touristes. Mais, petit à petit, la part des résidents qui le fréquentent a augmenté. Ce n’est pas vraiment étonnant. Un musée doit aussi pouvoir montrer qu’il est pertinent pour la population qui l’entoure. Qu’il est plus qu’une image de marque, un aimant pour les touristes étrangers. Pour ces derniers, fréquenter un musée est beaucoup plus simple et évident : tu visites un pays et tu vas donc automatiquement rechercher l’endroit pour lequel il y a le plus de publicité. Et, souvent, ce sont les musées. Mais pour les gens qui vivent ici, c’est complètement autre chose. Car, de toute façon, s’ils le fréquentent, ce n’est pas pour n’y aller qu’une seule fois. C’est pourquoi le musée, s’il veut attirer un public local, doit aussi s’impliquer dans le quotidien de ses visiteurs. Cela prend certes du temps, et ne peut pas être mis en œuvre du jour au lendemain.

Et puis le public local – surtout au Luxembourg – est loin d’être homogène.


C’est vrai, le musée doit s’ouvrir à toutes les couches de la population. Pas seulement à une certaine élite. Il doit pouvoir attirer les jeunes, les personnes âgées et – si on doit déjà penser en termes de différentes catégories – des gens avec des backgrounds sociaux et migratoires différents.

« Les responsables d’un musée ne peuvent pas s’asseoir à leur bureau et attendre que les gens viennent les voir. »

S’ouvrir aux gens de tous les horizons n’est donc pas un supplément, mais bien quelque chose d’obligatoire ?


Oui, je pense qu’il existe une obligation de s’impliquer activement. Les responsables d’un musée ne peuvent pas s’asseoir à leur bureau et attendre que les gens viennent les voir. Mais c’est en train de changer en général. Pour la bonne et simple raison que les musées changent aussi avec la société. Ils restent de moins en moins des institutions immuables. Les exigences sociétales changent et les espaces muséaux doivent changer avec elles. C’est aussi parce qu’ils sont soumis à une certaine pression du public : avec tous les impôts qu’on investit dans ces institutions, les revendications deviennent nécessairement plus élevées et plus justifiées. Les musées doivent montrer à quoi ils servent. Si l’on se réfère à la définition du mot, un musée est aussi un lieu de transmission.

(© Wim Delvoye)

(© Wim Delvoye)

En quoi le statut des musées a-t-il changé ces dernières années ?


Les tendances varient selon l’endroit. Ce qui est vrai pour l’Europe l’est peut-être moins en Amérique ou en Asie, voire en Afrique. Et puis, même en Europe, les cultures muséales sont très diverses. Mais on peut assurément observer que les musées deviennent de plus en plus des lieux sociaux. Des lieux de passage aussi, des lieux conviviaux. C’est aussi dû au fait que la vie que nous menons aujourd’hui n’est plus celle que les gens ont menée il y a 50 ou 100 ans. Les musées sont en quelque sorte un miroir de ces évolutions, ou le deviennent s’ils s’adaptent. C’est tout l’intérêt de ce challenge.


Née en 1979, Laurence Brasseur a déjà derrière elle un parcours un peu atypique. Après des études secondaires et un bac littéraire obtenu au lycée Hubert Clément à Esch-sur-Alzette, elle se décide dans un premier temps à travailler dans le secteur bancaire. Ce n’est que quelques années plus tard – en 2007 – qu’elle commence ses études de muséologie. Elle obtient ainsi un « Master of Arts » à l’université de Leicester dans la discipline « Museum Studies » – le mémoire « Who are we? Searching for Identities in Luxembourg: A Comparative Exhibition Critique » a d’ailleurs obtenu le prix du meilleur mémoire de master de la fondation Robert Krieps en 2014. À part son doctorat, qu’elle est en train de poursuivre, Laurence Brasseur s’engage activement dans la sensibilisation des jeunes publics à la culture et surtout aux musées. Elle publie aussi régulièrement des articles dans la presse luxembourgeoise sur son domaine d’expertise, et elle n’est pas une inconnue des auditeurs de la radio publique, où elle a aussi déjà fait des interventions. 


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