Face au déficit chronique de la caisse de maladie-maternité, le comité quadripartite a validé, ce 13 octobre, des économies de 140 millions d’euros, sans préjudice pour les patient·es. Ces mesures interviennent dans un contexte de crise avec l’Association des médecins et médecins-dentistes (AMMD), qui confirme la résiliation de la convention qui la lie à la CNS, avançant un catalogue de revendications assez confus.

Pour l’instant, les parties sont unanimes : le renflouement de la caisse de maladie ne doit pas se faire au détriment de la qualité des soins et ne doit pas coûter davantage aux patient·es. (Photo : Usman Yousaf/Unsplash)
Des « incompétents » qui se livrent à une forme de « proxénétisme » vis-à-vis des médecins : le docteur Carlo Ahlborn attaque bille en tête la CNS et son conseil d’administration lorsqu’il est interrogé sur les ondes de 100.7, ce lundi 13 octobre au matin. Par ses déclarations à l’emporte-pièce, le vice-président de l’AMMD cherche manifestement à jeter de l’huile sur le feu, à quelques heures d’une rencontre cruciale du comité quadripartite. La réunion d’automne de l’instance, convoquée deux fois dans l’année, est habituellement consacrée au financement de la CNS. Cette année, elle revêt un caractère particulièrement impératif face à une dégradation continue des comptes de la caisse de maladie-maternité, l’une des deux branches – l’autre étant l’assurance dépendance – placées sous la responsabilité de la CNS.
Après un déficit de 25,8 millions d’euros en 2024, les pertes devraient atteindre 118,6 millions d’euros cette année et 210 millions en 2026. En cause, des dépenses qui dépassent désormais les recettes. Les premières augmentent de 7,2 % en 2025 pour s’établir à 4,8 milliards d’euros, tandis que les recettes ne croissent que de 5,2 %, atteignant 4,7 milliards. Le déséquilibre s’explique notamment par le vieillissement de la population. C’est dans ce contexte particulièrement tendu que l’AMMD a décidé le 9 octobre de résilier la convention qui la lie à la CNS, s’estimant entre autres lésée par la revalorisation de 1,34 % des prestations des médecins qui lui a été proposée, là où elle en demandait le double (woxx 1857). À cela, l’AMMD ajoute un fourre-tout de revendications sur la libéralisation du secteur médical, sur laquelle la CNS n’a aucune prise, car relevant du politique, c’est-à-dire du gouvernement (lire ci-dessous).
Mais la fronde de l’AMMD et les provocations de son vice-président n’ont pas eu d’incidence sur la réunion de la quadripartite santé, qui s’est donc tenue ce 13 octobre dans l’enceinte de l’École nationale de santé, à Strassen. À l’issue d’un peu plus de deux heures de discussions, la ministre CSV de la Santé, Martine Deprez, salue « une rencontre constructive », selon la formule convenue. Elle annonce une feuille de route qui maintiendra la caisse de maladie à flot au moins jusqu’en 2026, lors d’un point presse où le premier rang des sièges réservés aux journalistes est squatté par les responsables de l’AMMD qui s’y sont invités…
Les cordons de la bourse
Martine Deprez confirme que le gouvernement augmente sa contribution annuelle à la caisse de 20 à 59 millions d’euros dès cette année, pour la pérenniser les années suivantes. Cette somme couvre tout d’abord les dépenses liées aux congés de maternité, prises en charge par la CNS suite à une décision de l’ancien ministre socialiste de la Sécurité sociale Mars Di Bartolomeo, alors que cela ne relève clairement pas de la maladie. La contribution de l’État doit aussi couvrir une partie des investissements des hôpitaux.
La ministre annonce en outre 140 millions d’économies, dont 60 millions à « court terme ». Il s’agit de la « maîtrise médicalisée de certaines prestations, telles que la prescription médicamenteuse, les analyses biologiques et les séances de kinésithérapie », précise Martine Deprez. Reconnaissant qu’il s’agit de dispositions techniques complexes, elle cite l’exemple de séances de kiné dispensées dans le cadre d’affections de longue durée qui, passé un certain délai, devraient être prises en charge par l’assurance dépendance, et non plus par la caisse de maladie, la première étant de surcroît largement bénéficiaire. La ministre cite également le cas de prises de sang répétitives et qui doublonnent parfois, sans avantage évident pour le ou la patient·e.
« D’autres mesures portant notamment sur la lutte contre le gaspillage médicamenteux, le renforcement des moyens de contrôle des abus et de la fraude au sein de la CNS, ainsi qu’une augmentation de la dotation étatique » viendraient compléter le dispositif, mais elles nécessitent des changements législatifs qui demanderont donc un peu plus de temps.
Cet accord, qui devrait être validé sans problème par le conseil d’administration de la CNS, doit beaucoup à la présence du ministre CSV des Finances, Gilles Roth, veulent croire plusieurs participant·es à la réunion, qui saluent son sens de l’écoute et du compromis. Et comme c’est lui qui, in fine, tient les cordons de la bourse, son approbation paraît indispensable.
Les patient·es préservé·es

Face à des comptes dans le rouge, la quadripartite santé propose des économies de 140 millions d’euros pour la caisse de maladie, alors que gronde un conflit avec les médecins. (Photo: National Cancer Institute/unsplash)
À l’issue de la rencontre, tant Martine Deprez que les délégations syndicales et patronales – qui siègent au conseil d’administration de la CNS avec l’État – disent leur satisfaction sur l’élaboration de cette « feuille de route ». Tout le monde insiste sur le fait qu’elle sera sans conséquence pour les patient·es, comme devra l’être toute décision prise à l’avenir. « Nos efforts ont payé : les prestations ne sont pas détériorées et la participation personnelle demandée aux assurés n’augmentera pas », constate Carlos Pereira, membre du conseil d’administration de la CNS, où il siège en qualité de représentant des salarié·es, au titre de l’OGBL. « À plus long terme, cela ne suffira cependant pas », tempère-t-il, estimant que cela ne résout en rien le problème structurel auquel est confrontée la caisse.
Se basant sur l’évolution des dépenses, le ministère de la Santé et de la Sécurité sociale prévoit une poursuite critique de la dégradation des comptes en 2027, qui ferait plonger la réserve globale sous le seuil légal de 10 % des dépenses, alors qu’il ne s’établit plus déjà qu’à 16 % en 2025. Face à cette perspective, il faudrait augmenter le taux de cotisation. Il passerait de 5,6 à 5,85 %, détaille Martine Deprez. Une perspective qui n’enchante pas le patronat : Marc Wagener, le directeur de l’UEL, espère que l’augmentation sera la plus limitée possible. Il avance l’argument de la compétitivité des entreprises, qui, selon lui, seraient pénalisées par cette hausse. Martine Deprez, pour sa part, espère une embellie économique qui redynamiserait le marché de l’emploi, entraînant automatiquement une hausse des cotisations. Un pari très hypothétique.
Côté syndicat, on avance le déplafonnement des cotisations, actuellement bloquées à cinq fois le salaire minimum. Cela rapporterait 300 millions d’euros par an, selon leurs calculs. Et cela constituerait une mesure de justice sociale, car les hauts revenus bénéficient des mêmes prestations que les autres, alors qu’ils cotisent proportionnellement moins. « Nous ne lâcherons pas sur cette proposition », assure Christophe Knebeler, du LCGB et membre du conseil d’administration de la CNS.
Cette piste à même de générer des recettes nouvelles est en revanche balayée d’un revers de la main par Martine Deprez : « Tout comme pour les pensions, le gouvernement est opposé au déplafonnement », confirme-t-elle au woxx en marge de la réunion. « Le CSV n’en veut pas, car cela toucherait une partie non négligeable de son électorat, qui dispose de revenus élevés », avance Carlos Pereira, qui explique donc ce blocage par des considérations purement électoralistes.
Quoi qu’il en soit, pour la ministre, les décisions à venir sur le financement de la caisse de maladie par la CNS seront prises par « les payeurs », c’est-à-dire l’État, les syndicats et le patronat, qui siègent à son conseil d’administration. Une manière polie de renvoyer l’AMMD dans ses cordes, alors que celle-ci souhaite être plus étroitement associée à la gestion de la CNS, dont elle demande une réforme de la gouvernance. L’association des médecins a manifestement le don d’agacer tout le monde.

