Quelques jours après la démission du ministre du Travail Georges Mischo, la présidente de l’OGBL, Nora Back, et son homologue du LCGB, Patrick Dury, reviennent, pour le woxx, sur une année sociale agitée et décrivent leurs attentes et revendications pour 2026. Ils racontent leur combat face à un patronat qu’ils jugent radicalisé.

Nora Back, la présidente de l’OGBL, et son homologue du LCGB, Patrick Dury, dans les locaux de la CSL, le 11 décembre. (Photo : Giulia Thinnes)
Pensions, conventions collectives, temps de travail : les sujets de mécontentement se sont encore accumulés tout au long de l’année 2025 pour les syndicats. Face aux attaques contre les acquis sociaux, Nora Back, pour l’OGBL, et Patrick Dury, pour le LCGB, ont mobilisé la rue et rapproché leurs organisations au sein de l’Union des syndicats. Le gouvernement et le patronat ont partiellement reculé. La nomination au ministère du Travail de Marc Spautz, représentant l’aile sociale du CSV, pourrait augurer d’une relance d’un dialogue social dans l’impasse. Les deux syndicalistes restent néanmoins sur leurs gardes, car « plus que la personne, c’est le résultat qui compte ».
woxx : Maintenant que Georges Mischo a démissionné du ministère du Travail, tout va-t-il rentrer dans l’ordre ?
Nora Back : Ce n’est pas une mauvaise nouvelle pour nous que d’avoir un nouveau ministre du Travail. Ça confirme ce que nous avons vécu avec Georges Mischo. On a eu des difficultés sur le fond des dossiers, mais aussi sur la façon de travailler ensemble. Dès le début de son mandat, il avait publiquement attaqué les syndicats, en prétendant que nous ne sommes pas représentatifs.
Patrick Dury : Nous sortons d’une période pleine de complications, et je pense qu’on aura affaire à un ministre du Travail à l’approche beaucoup plus constructive. Il connaît bien les organisations syndicales – il a été mon chef pendant de longues années – et il connaît les organisations patronales. Il a une bonne maîtrise des dossiers, du droit du travail et des négociations collectives. Mais on voit aussi que l’accord de coalition n’a pas été modifié. Il faudra donc voir si nous arriverons à porter des compromis dans l’intérêt des salariés. Ce n’est pas une question de personne, mais de résultat.
Nora Back : Et Marc Spautz a déjà dit qu’il respectera le programme de coalition.
Considérez-vous la démission de Georges Mischo comme une victoire pour vous ?
Patrick Dury : Je ne veux pas parler de victoire, car tout cela laisse un goût amer. Il a fallu la mobilisation massive du 28 juin et l’Union des syndicats pour en arriver là. Nous défendons notre modèle social tripartite et les acquis des salariés et des retraités. Le succès de notre mobilisation a empêché le gouvernement d’imposer beaucoup de ses idées malsaines, et il était nécessaire d’y recourir.
Nora Back : Dans un courrier qui a fuité dans les médias et que nous avions adressé au premier ministre en octobre, nous n’avions pas expressément demandé le départ de Mischo. Le but n’était pas de faire rouler des têtes.
Le modèle social tripartite existe-t-il encore ?
Nora Back : Nous avons l’impression d’être les derniers défenseurs de ce modèle. Il doit rester en place, et ça vaut la peine de le sauver. Mais il est toujours fortement attaqué par un patronat de plus en plus agressif et radical.
Patrick Dury : De notre point de vue, il n’y a pas d’alternative à ce modèle. Par le passé, les crises ont toujours conduit à des tripartites, qui ont eu pour résultat le renforcement du modèle social. Ça peut paraître contre-intuitif, mais c’est comme ça. C’est une différence importante avec d’autres pays. Ce modèle est le garant de notre paix sociale et, cette année, nous avons dû lutter pour le maintenir. L’un des éléments de ce succès, c’est l’Union des syndicats que nous avons constituée entre le LCGB et l’OGBL. C’est tout à fait inédit et cela nous a donné d’autres perspectives. Le travail est de bien meilleure qualité quand il est mené en commun. Le déroulement des événements nous a donné plus que raison, et il faut poursuivre cette union. Il n’y a pas d’alternative à la coopération dans ce nouveau monde.
Nora Back : Les revirements sur les pensions ou les conventions collectives montrent que nous avons effectivement eu raison. Les attaques contre les acquis ont échoué grâce à l’Union des syndicats. Et nous avons vu dans toutes nos rencontres politiques que ça les gêne fortement.
« On constate une radicalisation croissante dans les propos du patronat. Quand le directeur de la Chambre de commerce dit qu’il y a une cégétisation en cours au Luxembourg, c’est une offense pour nos collègues français qui luttent depuis des années pour la défense des acquis. On est davantage en présence d’un patronat trumpisé que de syndicats cégétisés. » Nora Back
Au Luxembourg, comme ailleurs, on constate que les syndicats en sont le plus souvent réduits à défendre des acquis sociaux, sans parvenir à en conquérir de nouveaux.
Nora Back : Il est vrai que nous sommes sur la défensive sur quasiment tous les dossiers, alors que les syndicats devraient surtout être à l’offensive afin de gagner de nouveaux acquis. Sur les conventions collectives, nous n’avons pas été que sur la défensive : nous avons présenté un catalogue de revendications, et la directive européenne sur le salaire minimum adéquat va dans notre sens sur la nécessité d’avoir plus de conventions collectives. Ensuite, il y a des sujets sur lesquels nous allons passer à l’offensive, comme la pauvreté. Les 106 mesures que le gouvernement vient de présenter jouent davantage sur la quantité que sur la qualité. Il faut une hausse structurelle du salaire minimum. Quand on voit que le Luxembourg est le pays où il y a le plus de travailleurs pauvres en Europe, il est vraiment nécessaire d’agir sur les salaires.
Patrick Dury : La question de la justice sociale est centrale. On est quand même dans une situation cocasse : pendant que les syndicats du secteur privé étaient sous pression, le gouvernement concluait un accord salarial substantiel avec la fonction publique. On voit donc que des avancées sociales sont possibles. Mais elles sont réservées à l’électorat, alors que la politique du pays doit être définie en incluant l’ensemble des gens qui y vivent et qui y travaillent. La réflexion sur la cohésion sociale ne peut pas s’arrêter aux frontières. Une politique corporatiste, menée uniquement en faveur d’une partie de la population, nous mènera vers de gros problèmes. De façon générale, tout au long de cette année, il a été beaucoup question de modernisation et de flexibilisation dans les propos du patronat. Mais la flexibilisation à outrance qu’il veut imposer vise une réduction des coûts et une maximisation des bénéfices. Ça peut paraître simpliste de le dire comme ça, mais c’est la réalité. J’ai été choqué par cette approche.
Au cours d’une récente réunion commune des délégué·es de l’OGBL et du LCGB, vous avez défendu une réduction du temps de travail. Pourquoi cela ?
Nora Back : L’été dernier, nous avions conditionné notre participation aux tables rondes sociales à l’établissement d’un ordre du jour concret, et c’est le patronat qui a demandé à mettre ce point au menu des discussions. Nous savions que cela allait arriver, car le programme de coalition évoque l’annualisation de la période de référence. Nous en avons aussi discuté lors de rencontres bilatérales avec les ministres, mais nous n’avons eu aucun retour du gouvernement. C’est pour cela que nous avons réuni nos délégués, pour les informer et les mobiliser sur le sujet.
Patrick Dury : Je dois dire que c’est une discussion un peu étrange pour moi, car 80 % des revendications patronales sur le temps de travail sont réalisables dans le cadre de conventions collectives. Si un patron a un problème avec les temps de pause ou de repos, la convention collective sectorielle ou d’entreprise est l’instrument adéquat pour imaginer des adaptations. Je suis étonné que l’on veuille mettre ça dans un texte de loi. On a quand même l’impression qu’on ne veut plus de conventions collectives, mais des accords d’entreprise sans les syndicats et des bases légales propices aux revendications patronales.
Nora Back : La question du temps de travail sera toujours un clivage entre salariés et capital, c’est dans la nature des choses. Les patrons ont toujours eu des revendications extrêmes dans ce domaine. La différence est que, cette fois, ils bénéficient avec un gouvernement qui leur donne raison, ce qui les décomplexe. Ils étaient davantage dans la retenue en 2016, quand nous en avions parlé. L’étude « Quality of Work Index », publiée chaque année par la CSL, montre que les gens sont attachés à la réduction du temps de travail, qu’il s’agit d’une demande récurrente. On nous reproche parfois d’être dans une forme d’illusion quand nous demandons cela, mais je pense que dépenser la plus grande partie de notre vie sur le lieu de travail n’est plus d’actualité. Le covid nous l’a montré. Avec la digitalisation et l’évolution du monde du travail, il est plus opportun que jamais de parler de réduction du temps de travail.
« Quand je vois la FindelClinic, je ne peux pas croire qu’un investisseur se lance dans une telle aventure sans avoir des engagements quant à sa possible réalisation. Il faudrait qu’un jour quelqu’un dise quels engagements ont été pris vis-à-vis de l’UEL, de l’AMMD, de Giorgetti et de tous les autres… » Patrick Dury
Contrairement à d’autres pays, le Luxembourg semble pour l’instant épargné par la convergence entre patronat et extrême droite.
Nora Back : Je pense que c’est lié à l’extrême droite luxembourgeoise. Heureusement, il n’y a pas ici un parti avec des orateurs forts qui arrivent à conquérir un public, comme en Allemagne ou en France. Mais on constate une radicalisation croissante dans les propos du patronat. Quand le directeur de la Chambre de commerce, Carlo Thelen, dit qu’il y a une cégétisation en cours au Luxembourg, c’est une offense pour nos collègues français qui luttent depuis des années à la défense des acquis. On est davantage en présence d’un patronat trumpisé que de syndicats cégétisés. Quand ils nous accusent en permanence de diffuser des fake news, je pense que ce n’est pas le patronat qui nous épargne une alliance avec l’extrême droite, mais plutôt la faiblesse du parti luxembourgeois d’extrême droite qui empêche cette convergence.
Patrick Dury : Le discours est très polarisant et populiste quand des représentants patronaux disent que les syndicats n’ont pas le droit d’aller contre l’intérêt général et de nuire à l’économie. C’est vraiment culotté. On nous dénigre en nous comparant à des syndicats de pays voisins, qui mènent leur engagement de la manière dont ils le conçoivent, ce dont je ne peux pas juger, car chaque pays a son modèle. Les 25.000 personnes mobilisées le 28 juin dernier n’étaient pas des radicaux. Dans un sondage, on a vu que les syndicats ont quasiment le même soutien que la monarchie, c’est une première pour nous. Dans cette enquête, les personnes interrogées ont aussi demandé le retour au modèle tripartite. Nous serons les premiers à y revenir si les conditions sont à nouveau réunies. Tout le monde a toujours dû mettre de l’eau dans son vin, et il faut maintenant espérer le meilleur… mais nous sommes aussi prêts à nous préparer au pire.
Pourquoi le patronat est-il aussi intransigeant que vous le dites ?
Nora Back : Ils ont eu des promesses du gouvernement. Après la démission de Georges Mischo et à la nomination de Marc Spautz, le président de l’UEL, Michel Reckinger, a plus défendu le programme de coalition que ne le font les ministres. On pourrait croire que c’est son programme.
Patrick Dury : On ne peut que spéculer sur les promesses. Mais la conviction intime de nos deux organisations est qu’il y a eu des engagements sur les accords d’entreprise, sur ce que j’appelle un démontage de notre droit du travail. Quand je vois la FindelClinic, je ne peux pas croire qu’un investisseur se lance dans une telle aventure sans avoir des engagements quant à sa possible réalisation. De ce point de vue, on est dans une situation malsaine. Il faudrait qu’un jour quelqu’un dise quels engagements ont été pris vis-à-vis de l’UEL, de l’AMMD, de Giorgetti et de tous les autres…

