Tunisie : Gabès n’en peut plus de la pollution chimique

von | 27.11.2025

Depuis quelques semaines et après plusieurs incidents sanitaires, la population de Gabès, dans le Sud-Est de la Tunisie, manifeste contre une entreprise produisant et exportant du phosphate vers l’Europe.

Le Groupe chimique Tunisien a profondément modifié l’environnement de la ville de Gabès. (Photo : Maryline Dumas)

À l’extérieur de l’hôpital de Gabès, ce mercredi 22 octobre, quelques parents cherchent leurs enfants. D’autres patientent dans un semblant de calme. Pourtant, la colère est là. Ce jour-là, c’est la quatrième fois en moins d’un mois que des élèves du collège de Chott Essalam, un quartier de Gabès, suffoquent dans leurs classes. Les crises se poursuivent, puisque le 14 novembre, les élèves d’une école primaire ont également souffert d’asphyxie. Au total, plus de 200 personnes, principalement des enfants, ont été hospitalisées ces dernières semaines. Le fautif est connu : le Groupe chimique tunisien (GCT), situé en bordure du quartier de Chott Essalam.

Gabès, ville de 116.000 habitants à 415 kilomètres au sud de Tunis, était autrefois une région reconnue pour son agriculture et sa pêche. Les ancien·nes racontent que la région était luxuriante, grâce à son oasis littorale unique en Méditerranée. Mais ses eaux profondes, permettant aux grands navires d’accoster, ont attiré des industries chimiques dans les années 1970. En novembre 1975, le président français Valéry Giscard d’Estaing s’était rendu à Gabès pour inaugurer les chaînes de production du Groupe chimique tunisien (GCT), se souvient le docteur Taoufik Kraiem, alors enfant. Cinquante ans plus tard, l’usine transforme toujours du phosphate en engrais pour une exportation vers la France et l’Italie majoritairement. Surnommée « El Ghoul » (l’ogre en arabe), le GCT est accusé de nuire à l’environnement en pompant dans les nappes phréatiques, en évacuant en mer du phosphogypse – visible à l’œil nu sur les plages – et en relâchant des gaz dans l’atmosphère.

Sarah Ben Abdallah, responsable des campagnes de sensibilisation à la pollution de l’air et mobilisation communautaire chez Greenpeace, affirme : « De nombreuses études ont documenté des niveaux de contamination alarmants dans la région. La pollution la plus élevée étant observée à proximité des zones périurbaines et industrielles, avec des concentrations élevées de métaux lourds tels que le zinc, le plomb, le cuivre, le nickel et le cadmium. Les écosystèmes marins sont tout aussi touchés. Les analyses de l’eau de mer dans la zone côtière centrale du golfe de Gabès montrent que les zones proches des complexes industriels sont classées comme ‘fortement à gravement affectées’ par la contamination. Les industries des engrais et des phosphates y contribuent de manière significative : des études estiment que les terres rares rejetées dans le golfe pourraient atteindre 1.523,67 tonnes par an, entraînant des pertes économiques d’environ 58 millions de dollars américains par an. » Le docteur Taoufik Kraiem, qui a ouvert son cabinet en 1988, en constate les conséquences tous les jours : « Dans les années 90, on découvrait un cancer tous les trois mois. Aujourd’hui, c’est un cancer par jour. On voit aussi beaucoup plus de problèmes respiratoires, d’allergies, d’ostéoporose chez des jeunes femmes et des lésions dermatologiques. »

« On était content d’avoir un emploi »

Faycel Hamida attend sa fille, dans la cours de l’hôpital de Gabès. C’est la troisième fois que l’adolescente de 15 ans est conduite ici, suite à des crises de suffocation débutées dans son collège. (Photo : Maryline Dumas)

Longtemps, la colère des habitants ne s’est pas fait entendre. « Sous Ben Ali, personne n’osait vraiment parler », explique un syndicaliste qui reconnaît : « C’est notre faute. Nous n’avons pas exigé le respect des normes. Ce n’est pas dans nos coutumes. Et puis, il faut bien avouer qu’on était content d’avoir un emploi. » La zone industrielle, qui englobe une dizaine de sociétés dont le GCT, qui est considéré comme le plus polluant, emploie 3.500 personnes selon l’UGTT, la centrale syndicale. À ce chiffre doit s’ajouter un bon nombre d’emplois indirects pour le transport, le gardiennage… Alors que le chômage s’élève à 15,3 % et que le salaire minimum interprofessionnel garanti s’élève mensuellement à 528,32 dinars (154,45 euros) pour 48 heures hebdomadaires, les jeunes recrues au GCT peuvent compter sur un salaire d’environ 1.500 dinars (438,5 euros) toutes les primes comprises. « On estimait que ce salaire était une récompense. C’est la première fois que je me bats pour des principes, pour ma famille, pour ma région », avoue le syndicaliste qui préfère témoigner de façon anonyme, car le sujet reste brûlant. En fin de carrière, l’homme souhaite la fermeture du GCT, mais certains de ses collègues redoutent le chômage. « Nous n’avons pas le choix », explique le militant. « Le GCT a plus de 50 ans. C’est au-delà de la durée de vie d’une installation comme celle-ci. Si on fait vérifier les fondations, on verra qu’elles sont finies, qu’elles baignent dans un bassin d’acide. »

Un rapport d’une mission d’audit environnemental et social de juillet 2025 est consultable sur le site du GCT. Plusieurs critères sont en « non-conformité majeure ». La présidence de la République a publié le 22 octobre des photos de l’intérieur de l’usine, confirmant le mauvais état des installations dénoncé depuis des années par les activistes. Le président Kais Saïed a assuré suivre personnellement la situation « jour et nuit ». Celui qui s’est arrogé les pleins pouvoirs en 2021 et a été réélu au premier tour avec 90,7 % des suffrages en octobre 2024 a dénoncé des manœuvres passées de certaines parties « mues par des forces étrangères ». La situation est délicate pour les autorités : en mars, le gouvernement a annoncé l’objectif de quintupler la production annuelle de phosphate d’ici 2030, la faisant passer de 3 à 14 millions de tonnes. Une production, source de devises pour la Tunisie en pleine crise économique.

« L’Union européenne est en partie responsable »

Mehdi Telmoudi prépare une plainte collective au nom des familles victimes de la pollution du GCT. (Photo : Maryline Dumas)

Mais cette fois, la colère est plus forte car des enfants sont touché·es au sein de leur établissement scolaire. À chaque fois, les parents sont prévenus par le bruit des sirènes ou par le bouche-à-oreille. Lorsqu’ils arrivent à l’hôpital pour retrouver leurs enfants, aucun responsable de l’établissement scolaire n’est présent. Ce 22 octobre, Faycel Hamida attend Fatma, sa fille de 15 ans. Il s’agissait de la troisième fois, que la jeune fille avait besoin de soins. « C’est toujours la même chose : ils lui donnent un peu d’oxygène, puis ils nous disent de rentrer à la maison. Il n’y a ni traitement, ni examen poussé, ni suivi. Et puis ça recommence la semaine suivante ! » Depuis le premier incident, Fatma boite et se plaint de douleurs ressemblant à des crampes au mollet. Dès le lendemain, comme a pu le constater le woxx le 23 octobre, les cours ont repris comme si de rien n’était. Les parents se plaignent de ne pas être suffisamment informé·es sur les risques réels. Dans son cabinet, le docteur Taoufik Kraiem considère que ces crises de suffocation sont « des exacerbations d’une intoxication chronique, dont les enfants (de Chott Essalam, ndlr) sont victimes depuis leur naissance » : « Il n’y a pas de traitement particulier, si ce n’est l’extraction du site devenu toxique. » Taoufik Kraiem voudrait voir la région classée zone sinistrée en Europe, « car les produits chimiques sont vendus en Europe, donc l’Union européenne est en partie responsable ». Fin novembre, Mehdi Telmoudi déposera une plainte collective des familles touchées par ces crises de suffocation. L’Ordre des avocats de Gabès a déposé un référé pour demander la suspension des activités polluantes du GCT. La seconde audience a eu lieu le 13 novembre et une troisième le 20 novembre. Le verdict est attendu le 4 décembre. « Nous espérons compter sur un juge audacieux qui fermera l’usine en attendant un processus judiciaire qui pourrait prendre quelques années », estime Mehdi Telmoudi.

Des manifestations réprimées

Dimanche 16 novembre, des parents d’élèves ont suspendu la participation aux cours de leurs enfants et organisé un sit-in devant le collège de Chott Essalam. Dans la soirée de ce même jour, des manifestations ont éclaté. Elles ont été réprimées. « Encore une fois, l’État choisit la voie facile et dangereuse : traiter la sécurité au lieu de s’attaquer au crime original. Encore une fois, la voix du peuple est reniée plutôt que d’être entendue, et les exigences justifiées sont persécutées plutôt que d’être satisfaites », a indiqué le collectif Stop pollution sur sa page Facebook.

Déjà le 10 octobre, les protestataires s’étaient heurtés à la police. Les premiers avaient convergé vers le GCT et en avaient forcé l’accès. Plusieurs jours et nuits de mobilisations ont suivi, fortement réprimés par les forces de l’ordre. Le 15 octobre – jour férié en souvenir de l’évacuation des derniers soldats français après l’indépendance – plusieurs milliers de personnes sont descendues dans les rues. « Comme on a chassé les soldats français, on évacuera le groupe chimique » s’exclame Khayreddine Debaya, leader du mouvement local Stop Pollution. Des dizaines de protestataires ont été arrêtés pour violences ou dégradations. Le 21 octobre, une journée ville morte a été organisée et plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans les rues de Gabès. Le président tunisien, Kais Saïed, a demandé, début novembre, à Ali Ben Hammoud, un ingénieur en pétrochimie, de constituer une équipe pour trouver rapidement des solutions.

Pour décrédibiliser les manifestations, les partisans du pouvoir, comme le chroniqueur de télévision Riadh Jrad, ont pointé du doigt les associations qui manipuleraient les protestataires pour servir des « agendas étrangers ». Elles recevraient des financements de l’Open Society Foundations, un réseau crée par l’Américano-hongrois George Soros. Ce milliardaire, devenu une des cibles privilégiées de Donald Trump, dit promouvoir l’état de droit, les droits humains et la démocratie libérale dans le monde. L’accusation a fait le tour des réseaux sociaux tunisiens. Depuis fin octobre, au moins une dizaine d’associations ont été suspendues. Certains opposants estiment qu’il s’agit d’un « contre-feu » pour faire oublier Gabès.

Basée à Tunis, Maryline Dumas suit l’actualité nord-africaine pour le woxx.

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