Vidéos/photos : Élysées taïwanais

L’actuelle BlackBox du Casino est consacrée aux artistes taïwanais Yao Jui-chung et Su Hui-yu. Leur exploration des systèmes de croyances de leur île et de son quotidien méconnu nous transporte dans des mondes bien étranges.

Deux approches très différentes de l’île de Formose attendent les visiteurs au Casino. D’abord les travaux de Yao Jui-chung, artiste né en 1969 à Taipeh. Celui-ci s’intéresse de prime abord à la photographie, qu’il aime à mettre en scène dans des diaporamas sonores. Comme dans « Incarnation », où il a mis en perspective de multiples images de déités, de prophètes ou de représentations religieuses trouvées à Taïwan et ses environs. Souvent, les contrastes sont poignants, voire comiques – tel ce bouddha qui médite en toute bienheureuse sérénité devant un énorme chantier ou un ensemble de figurines religieuses surmonté de la réplique d’un T-rex plus grand que nature. Ce qui frappe le regard occidental, c’est avant tout l’absence de la monoculture morose chrétienne. Les signes, les visages sont multiples, mais ne semblent jamais incarner une domination : plutôt des invitations à méditer et à se réjouir. Certes, les mises en scène de Yao Jui-chung ciblent aussi le ridicule, le kitsch et l’absurde de ces représentations religieuses, et pourtant leur légèreté s’impose aussi.

Tout le contraire en tout cas de son second travail : « Hell Plus », dans lequel il montre sa récolte de photos captées dans des parcs construits par des artistes amateurs. On y voit les 18 enfers différents qui, dans la croyance populaire, attendent celles et ceux qui se comportent mal lors de leur passage terrestre. Et ces représentations n’ont rien à envier aux cercles de l’enfer dantesque. Démons bleus qui torturent, arrachent des membres ou attaquent les torses à la scie, pécheresses et pécheurs qui mijotent dans de l’huile bouillante et autres supplices pas toujours très fins abondent dans ces caveaux. Ici aussi, l’artiste joue sur le contraste entre les reproductions et les détails banals, comme un extincteur rouge qui se fond dans le décor.

Les travaux de Su Hui-yu sont plus ancrés dans le quotidien des Taïwanais-e-s. Dans « The Walker », il s’est approprié les pratiques et histoires du Walker Theatre – fondé après la levée de la loi martiale en 1987 –, et qui s’est spécialisé dans l’improvisation pour mieux libérer les pensées et les désirs d’une population tiraillée entre décolonisation et contact étroit avec l’Occident. Le résultat est un condensé de trois pièces produites entre 1993 et 2000, dans lesquelles se retrouvent les pratiques sexuelles (esprits sensibles s’abstenir), les modes de vie bohémiens et la valorisation du passé et des traditions anciennes. En superposant intelligemment ses plans augmentés d’un chœur de voix dans le off, il propose un travail d’une intensité qui laisse perplexe.

L’autre œuvre, « The Glamourous Boys of Tang (Chiu Kang-chien, 1985) », s’empare d’une thématique similaire mais s’approprie le moyen du palimpseste pour le réaliser. Le film est un remake et un hommage à une œuvre déjà produite en 1985 par le poète, scénariste et réalisateur chinois Chiu Kang-chien – connu entre autres pour « Boat People ». L’original, qui montre une orgie sexuelle débridée sous l’empire Tang, a été sévèrement censuré à l’époque, amputé de tellement de scènes que le film en devenait incompréhensible. Su Hui-yu s’est certes basé sur le scénario original, mais en a fait à nouveau une œuvre énigmatique dans laquelle la violence et l’érotisme battent leur plein – comparable à certains films de Pasolini.

Bref, « Elysium – The Spiritual Journey of Yao Jui-chung and Su Hui-yu » est un voyage qui n’amène pas uniquement à Taïwan, mais aussi dans l’âme compliquée de cette île à l’histoire si difficile.

Jusqu’au 26 août au Casino.

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