AVORTEMENT: Courage, fuyons !

A part l’ADR, tous les partis sont d’accord pour revoir la loi sur l’avortement. Mais l’hostilité du CSV combinée à l’excès de loyauté des socialistes envers lui retardent cette réforme urgente.

L’objet du délit : cette affiche du Planning familial constitue selon la députée chrétienne-sociale Martine Stein-Mergen une incitation à l’avortement…

Le médecin et député libéral Alexandre Krieps a le don de détendre l’atmosphère. Lorsqu’il raconte, du haut de la tribune de la Chambre des député-e-s, comment son père, l’ancien ministre Emile Krieps, tentait d’expliquer à son adolescent de fils les rudiments de la reproduction humaine, il conclut : « A la fin, je n’avais toujours rien compris … et lui non plus, d’ailleurs ! ». Hilarité générale sur tous les bancs.

Une note d’humour pour entamer un sujet bien moins joyeux : ce mercredi, la Chambre a débattu des grossesses adolescentes et de l’avortement dans le cadre de l’interpellation de Krieps à ce sujet. « Il est temps de se débarrasser de cette chape de plomb qui couvre ce sujet depuis des décennies », entame-t-il son discours. Chape de plomb, c’est peu dire. Concernant la thématique des grossesses non désirées chez les jeunes filles et de l’avortement en général, le Luxembourg fait figure de lanterne rouge. Non seulement parce que la législation luxembourgeoise régissant les interruptions volontaires de grossesse est particulièrement archaïque (seules les IVG sur indication médicale sont autorisées), mais également parce que le Luxembourg ne dispose d’aucune statistique officielle concernant le nombre d’avortements. Seul le Planning familial tente de récolter un maximum de données, en allant « à la pêche », selon l’expression de sa directrice, Catherine Chéry.

Si le nombre de « naissances vivantes » auprès des jeunes filles entre 15 et 19 ans s’élevait en 2007 à 141, le Planning estime le nombre d’avortements pratiqués pour cette catégorie d’âge à 37, tout en soulignant le caractère incomplet de ces chiffres. Finalement, ce taux est probablement plus élevé : chez nos voisins belges, le rapport se situe à une naissance pour une IVG dans cette tranche d’âge. En France, l’on compte même deux IVG pour une naissance, alors qu’aux Etats-Unis la proportion est inversée.

En tout cas, le nombre de grossesses adolescentes n’est pas excessif au Luxembourg : les 141 cas recensés en 2007 révèlent un taux de 10,2 pour mille. A titre de comparaison, il est d’environ 10 en France, 9 en Belgique, 8 au Danemark, 7 en Suède et seulement 5 aux Pays-Bas. Il semble évident que ce taux décroît en fonction du niveau de l’éducation sexuelle et des facilités contraceptives des différents pays. En revanche, la pudibonde Amérique du Nord connaît un taux de grossesses adolescentes bien plus élevé : 50 pour mille aux USA et 30 pour mille au Canada. La polémique autour de la grossesse de la fille de la très bigote gouverneure d’Alaska Sarah Palin ancienne colistière de John McCain, par ailleurs était en ce sens symbolique de cette partie de la société américaine sexuellement arriérée.

Revenons au Luxembourg. Malgré le retard du pays en matière d’émancipation féminine, les mentalités ont néanmoins évolué, ce qui peut se mesurer à l’aune de l’acceptation d’une grossesse précoce : actuellement seul un quart de ces naissances surviennent au sein du mariage (33 en 2007). L’évolution a été rapide : en 1985, le rapport était encore inversé. Ce n’est qu’en 1999 que les naissances chez les jeunes filles se sont majoritairement déroulées hors mariage. « Les parents ont plus de mal à concevoir que leur fille puisse avoir des activités sexuelles, qu’elle ne tombe enceinte », a affirmé dans ce sens Alexandre Krieps pendant le débat.

Contre mais pour quand même

C’est vrai, les mentalités évoluent. Même au Luxembourg. Mais pas chez tout le monde. Le débat mercredi à la Chambre a de nouveau dévoilé qui entrave le progrès sociétal. D’une voix parfois à la limite du larmoyant, la députée et médecin Martine Stein-Mergen (CSV), pourtant réputée plus progressiste sur ces questions que la plupart de ses collègues de fraction, s’est lancée dans un discours proprement hallucinant. Expliquant que la priorité de la politique devrait être d‘ « éviter les avortements », la députée chrétienne-sociale a produit un plaidoyer inhabituel pour une représentante de cette famille politique en faveur d’une meilleure éducation sexuelle. Mettant en relation le nombre de grossesses adolescentes et les divers moyens de contraception, elle constate que cette éducation serait « mauvaise à s’en faire dresser les cheveux sur la tête ». Et d’appeler le personnel scolaire ainsi que les médecins de famille à s’impliquer plus dans l’éducation sexuelle des jeunes. Aussi, et cela semblait constituer à ses yeux une grande avancée : « Et le CSV dit clairement oui à la gratuité des moyens contraceptifs pour les jeunes ». Plus tard dans son intervention, le ministre de la Santé Mars Di Bartolomeo (LSAP) annoncera que son ministère mène actuellement des discussions avec le Planning en vue de fixer les modalités de remboursement.

Mais cette prise de court de Stein-Mergen ne fut pas l’unique occasion pour le ministre de remettre à sa place la pasionaria. Celle-ci s’emporta en effet contre la campagne du Planning intitulée « Si je veux » : « Passons sur le détournement du lion gouvernemental en lionne enceinte. Je trouve qu’il est proprement scandaleux que le Planning lance une campagne d’incitation à l’avortement avec l’argent du contribuable ! » Lorsque le ministre demande à la députée de répéter sa phrase, prétextant ne pas l’avoir entendue parce qu’il était en conversation, le président de la Chambre Lucien Weiler (CSV), prit sa collègue sous sa protection en l’invitant à ne pas avoir à répéter son accusation. Ainsi privé de droit de réplique, Di Bartolomeo la corrigea plus tard dans son intervention. D’un, le Planning n’est pas conventionné avec le ministère de la Santé mais avec celui de la Famille, dirigé par la ministre CSV Marie-Josée Jacobs. Hilarité générale. De deux, le Planning finance cette campagne à partir de ses propres fonds. Pan sur le bec, comme dirait le « Canard Enchaîné».

Si l’interpellation de Krieps avait pour objet principal la grossesse chez les jeunes filles, le débat tourna principalement autour de la libéralisation de la législation actuelle sur l’IVG. En ce sens, le député déposa une motion invitant le gouvernement à aviser la proposition de loi de la députée socialiste Lydie Err, ainsi qu’une résolution enjoignant la Chambre à mettre le texte à l’ordre du jour de la Commission de la Santé. L’occasion était trop belle pour l’opposition libérale de mettre les socialistes dans une situation embarrassante. De son propre aveu, Di Bartolomeo affirma que c’est à cause de lui que le texte ne fut pas avisé par le gouvernement. « Je vous laisse deviner pourquoi », lance-t-il sur un ton amusé aux députés. Conscient de l’opposition du partenaire de coalition – bien que Stein-Mergen se prononça, malgré ses réticences face à la « banalisation » de l’avortement, pour une réforme de la loi ? Di Bartolomeo argumenta que si le gouvernement n’avisait pas une proposition de loi endéans six mois, c’est la règle du « qui ne dit mot, consent » qui s’applique. En d’autres termes : la balle est dans le camp du parlement qui peut enclencher la procédure législative.

Or, la Commission de la Santé, pourtant présidée par une socialiste, Lydia Mutsch, n’a jamais cru bon de mettre la proposition de loi d’Err à l’ordre du jour. C’est précisément ce que cherchait le DP avec sa résolution. Alors que la motion fut rejetée, considérée par la coalition comme étant « sans objet », la résolution connut le même sort. Chose étrange : contrairement à la motion qui fut rejetée par l’ensemble des députés LSAP et CSV (38 voix), le rejet de la résolution n’obtint que 36 voix. L’on peut soupçonner les deux députées socialistes ayant pris part au débat – Lydie Err et Claudia Dall’Agnol – d’avoir voté avec l’opposition pour contraindre la Commission à mettre le texte à l’ordre du jour. Mais Lydia Mutsch s’y opposa sous le prétexte d’autres priorités jusqu’à la fin de la législature.

Chose étrange : seul l’ADR, trop occupé à défendre les intérêts de machos frustrés, s’est ouvertement opposé à une réforme de la loi sur l’avortement. Le parlement dispose donc aussi bien d’une volonté politique que d’une majorité arithmétique pour libéraliser la loi. Si les socialistes s’étaient montrés un peu plus solidaires de leur collègue Lydie Err et s’étaient abstenus de bloquer le processus par de pénibles chipotages réglementaires, ils auraient pu sortir grandis du débat d’hier. Mais c’est le contraire qui fut le cas.


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