Will Eisner est sans contestation un des grands de la bande dessinée engagée. Avec „Mon dernier jour au Vietnam“ l’octogénaire a encore une fois prouvé qu’il est un maî tre de son genre.
Sur la nature humaine
Né en 1917 à New York, William Erwin, dit Will Eisner, est simplement un des plus grands dessinateurs-scénaristes de tous les temps. Son influence sur le 9e art est sans égal depuis ses débuts dans les années trente. En 1935, il met au point sa première série policière „Hary Karry“ et collabore avec d’autres grands tels Bob Kane, créateur de „Batman“ et Jack Kirby, père de „Captain America“ ou encore de „The Hulk“. Eisner travaille pour les marchés américains, anglais et australiens sous différents pseudonymes et crée même son propre „syndicate“, le „Universal Phoenix Features“.
Avant d’être mobilisé en 1942, Eisner réalise son plus grand succès avec un personnage qui ne le quittera plus, „The Spirit“. Il introduit des techniques narratives et graphiques qui vont révolutionner le monde du „comic book“: cadrages cinématographiques, indications de passage du temps, onomatopées … Avec la guerre commence alors pour Will Eisner une longue carrière comme dessinateur pour l’armée américaine, que ce fut grâce à des séries comme „Private Dogtag“ et „Joe Dope“ ou grâce à des illustrations pour des journaux de l’armée comme „P.S.“ ou „Army Motors“. C’est en tant qu’envoyé spécial pour „P.S.“ en Corée et au Vietnam qu’Eisner collectionne le matériel présenté dans „Mon dernier jour au Vietnam“ (Mémoires Delcourt).
Deux v(o)ies parallèles
Tandis que Will Eisner, en civil, renoue avec „The Spirit“ où il se fait assister entre autres par le génial auteur Jules Feiffer, il continue son étroite collaboration avec l’armée, surtout comme créateur sous contrat civil de „P.S.“. Jusqu’en 1972, Eisner visite des soldats américains au front pour faire des recherches sur la maintenance préventive du matériel de guerre, qu’il transforme en bande dessinée, formidable outil de formation qui transcende les barrières linguistiques.
C’est en Corée et au Vietnam qu’Eisner se rend compte des effets de la guerre sur la population occupée: les six histoires vraies racontées dans „Mon dernier jour au Vietnam“, ne sont pas celles d’un John Wayne sorti tout frais des „Green Berets“, mais celles d’un humaniste qui a depuis longtemps compris les vaines aspirations de l’homme. Sans jamais entrer en scène lui-même – si ce n’est qu’en „touriste“ qui se fait guider par un soldat américain – Eisner analyse par une série de dessins judicieux et quelques paroles choisies le destin d’hommes qu’il a connus.
Il y a le major qui l’accompagne au front, dont le sang-froid superficiel s’évapore lorsqu’il risque de ne pas survivre à son dernier jour au Vietnam et de ne jamais voir son fils. Il y a le journaliste „cool“ qui voit la guerre devenir sa propre guerre quand son fils est tué devant ses yeux. Il y a aussi le petit chasseur qui n’a jamais pu impressionner son père et qui tente de montrer à Eisner qu’il est toujours un fin tireur en prenant comme cible une vieille femme coréenne. C’est la façon incomparable qu’a Eisner de dessiner ces personnages réels, qui fait de ces (trop) courts récits des documents d’une grande valeur, des analyses de la nature humaine, qui se passent de tout commentaire superflu.
Will Eisner est à considérer comme l’un des inventeurs du „graphic novel“, comme le prouvent „Le contrat“ (Glénat), „Big City“ (Albin Michel) ou „Le peuple invisible“ (Comics USA). Il n’a jamais cessé de développer son art et de le mettre au service d’un but plus grand que le pur „entertainment“. Cet octogénaire généreux a largement mérité les maints prix qui lui furent décernés, entre autres le Grand Prix du Salon d’Angoulême en 1975. Avec „Mon dernier jour au Vietnam“, il démontre qu’il n’a rien perdu de son talent.
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