Les femmes sont généralement plus nombreuses à faire et à réussir leurs études supérieures. Mais elles restent minoritaires dans les domaines des hommes : les sciences techniques et naturelles.
Larry Summers est un homme intelligent. Brillant économiste, il a servi le président américain Bill Clinton dans son gouvernement au poste de secrétaire d’Etat au Trésor. Ce démocrate passé par le MIT et Harvard est un homme éclairé, aux antipodes de ces arriéré-e-s persuadés que grand-père Adam ramenait de la chasse des jambons de brontosaure à grand-mère Eve. Lorsque le mandat de Clinton prend fin et que les républicains prennent le pouvoir à Washington, il est nommé président de son ancienne alma mater, la prestigieuse université d’élite Harvard. Mais bon, était-ce par goût de la provocation – qu’il entretenait – ou par réelle conviction, qu’il s’interrogea publiquement, lors d’une allocution officielle en 2005, sur la sous-représentation des femmes dans des domaines tels que les sciences dures ou l’ingénierie en des termes politiquement très peu corrects ? Outre-atlantique, le scandale médiatique fut intense lorsqu’il suggéra que cette sous-représentation n’était peut-être pas uniquement due à des facteurs de socialisation, mais également à des caractéristiques innées différenciant les hommes des femmes.
Il est vrai que Summers est un économiste et non pas un anthropologue ou biologiste. Mais il est loin d’être le seul à partager ce point de vue. En mai 2006, l’Association des Hommes du Luxembourg (AHL) pourfendait le Girls‘ Day dans un communiqué de presse, et affirmant que « les plus récentes études psychologiques (que l’AHL ne mentionne pas, ndlr) confirment qu’il y a des différences mentales biologiques entre garçons et filles, notamment mais pas exclusivement en raison d’influences hormonales sur le cerveau et ce depuis le plus jeune âge ». À la limite, ces thèses seraient défendables si elles étaient validées par la recherche scientifique. Mais c’est loin d’être le cas.
Comme le démontrent la neurobiologiste et directrice de recherche à l’Institut Pasteur, Catherine Vidal et la journaliste scientifique Dorothée Benoît-Browaey dans leur livre « Cerveau, sexe et pouvoir » paru en 2005, les différences cérébrales entre hommes et hommes sont minimes. De fait, les différences de comportement varient bien plus entre les individus qu’entre les hommes et les femmes. Et pour cause : contrairement à ce qu’avancent les scientifiques de comptoir lorsqu’ils discutent avec les philosophes de bistrot, ce ne sont non pas les hormones qui déterminent tant le fonctionnement du cerveau, que les circuits neuronaux qui eux se construisent peu à peu en fonction des expériences personnelles. Comme le disait le biologiste François Jacob : « L’être humain est génétiquement programmé mais programmé pour apprendre ».
Non, ce ne sont pas les hormones !
C’est dans cette optique que le Ministère à l’égalité des chances et le Centre d’information et de documentation des femmes (Cid-femmes) organisent ensemble un workshop intitulé « Girls go sciences » lors de la Foire de l’Etudiant les 14 et 15 novembre. Ce workshop offrira la possibilité aux lycéennes d’envisager les branches traditionnellement masculines telles que les sciences dures ou technologiques sous un autre jour. En effet, ces disciplines restent encore largement dominées par les hommes. « Il faut montrer aux jeunes femmes des exemples de femmes ayant du succès dans la recherche scientifique », explique Christa Brömmel, chargée de politique au Cid-femmes. Voilà pourquoi Caroline Linster, une chercheuse luxembourgeoise travaillant aux Etats-Unis et qui a réalisé des découvertes sur les composantes de la vitamine B, se déplacera à la Foire pour y rencontrer les participantes au workshop.
C’est qu’au niveau du choix des études supérieures, les chiffres sont sans appel. Le Centre de documentation et d’information des études supérieures (Cedies) a ainsi réparti par origine sexuelle et domaine d’étude l’octroi des aides financières qu’il a concédé pour l’année académique 2007/2008. Ainsi, pour les formations d’ingénieurs, si 411 étudiants ont reçu une aide, elles n’ont été que 46 côté étudiantes. Le cas est similaire pour l’informatique : 313 aides pour les hommes contre 35 pour les femmes. En sciences, le rapport est moins choquant mais tout de même flagrant : 402 pour les hommes et 280 pour les femmes. Par contre, la tendance s’inverse en sciences humaines et sociales (762 femmes contre 373 hommes), en lettres (398 femmes contre 156 hommes) et surtout en pédagogie où les femmes, avec 761 octrois d’aides battent à pleine couture les 182 hommes. Toutefois, dans le domaine des sciences, une discipline fait office d’exception : la médecine et la branche paramédicale, où le Cedies a enregistré environ le double d’aides financières accordées : 574 pour les femmes contre 286 pour les hommes.
Pour la médecine, le phénomène n’est pas si nouveau. Si cette discipline, tout comme la biologie, exige certes la maîtrise de sciences « dures », elles restent « dans l’imaginaire des femmes, étroitement associées à la vie », comme le notait en 1997, dans un article du Monde diplomatique, Claudine Hermann, professeure à l’Ecole polytechnique en France. Cliché de la femme soucieuse de son prochain dû à son instinct maternel ? Il est vrai que la transmission des modèles joue un rôle prépondérant dans l’image des femmes que la société renvoie et qu’un grand nombre d’entre elles ont intériorisé. Selon Christa Brömmel, les femmes qui intègrent ou plutôt dirigent des entreprises dans des domaines « typiquement mâles », donc techniques, ont appris à connaître ce monde dès leur enfance. « Ce phénomène s’observe particulièrement dans des familles où le père qui dirige l’entreprise n’a que des filles. Elles reprennent alors tout naturellement la relève », note Brömmel.
Une tendance européenne
Le Luxembourg ne déroge en tout cas pas à la tendance européenne. D’après un recensement pour l’année 2003 effectué dans toute l’Union, les sciences pédagogiques comptent 60,5 % de troisièmes cycles, contre 60 % d’hommes dans les mathématiques et l’informatique et 78,1 % dans l’industrie et la construction.
Aussi, la sélection est opérée très tôt : si la section des langues dans l’enseignement secondaire compte 80 % de filles, la section mathématique compte 77 % de garçons. Entre choix subjectif conscient ou inconscient, la frontière est ténue, et peut parfois donner lieu à des situations absurdes. Comme le cas de cette élève cité par Christa Brömmel : bonne élève, celle-ci souhaite s’orienter vers une profession technique, choix original pour une jeune fille. Alors que l’élève lambda, garçon ou fille d’ailleurs, aurait choisi d’intégrer le « lycée classique », celui destiné aux « bons élèves » ayant les « meilleures notes », la jeune fille désirait intégrer l’enseignement secondaire technique. Si les services d’orientation scolaire n’avaient pas d’autres choix que de respecter la volonté de la lycéenne, ils lui préconisèrent par contre la filière « technique générale », donc celle accueillant les « meilleurs élèves » de l’enseignant technique. Ce qu’elle fit. Or, cette filière ne correspondait plus à sa volonté de se spécialiser dans les télécommunications. Si elle entreprit tout de même des études dans cette branche, elle perdit plus d’une année pour rattraper les connaissances de base que l’enseignement de la « technique générale » ne lui avait pas transmises.
Mais un facteur, plus matériel, freine les femmes à s’engager dans des domaines plus techniques. Que cela corresponde à la réalité ou non, ces entreprises ont la réputation de connaître des rythmes de travail largement plus intensifs que dans d’autres secteurs. « Ces branches, déjà dominées par les hommes, ont souvent des cadences de travail de 60 heures par semaine et laissent peu de place à la flexibilité. C’est un obstacle pour beaucoup de femmes, qui doivent encore s’occuper des enfants », explique Brömmel. Mais il ne faut pas leurrer : si ces entreprises peuvent encore faire douter des femmes désirant les intégrer, les hommes, même s’ils sont bien plus nombreux à y travailler, ne sont pas plus séduits par la réputation de « dureté » que ces entreprises véhicules. En témoignent les plaintes régulières de la branche qui ne trouve pas toujours son compte dans le recrutement de la main-d’oeuvre. C’est que l’appréciation de la qualité de vie ignore les différences sexuelles. « Il s’agit également de changer la culture d’entreprise dans ces branches », conclut Brömmel. Et de se référer à la chercheuse Franziska Schreyer, auteure du livre « Akademikerinnen im technischen Feld ? Der Arbeitsmarkt von Frauen aus Männerfächern », paru cette année. Son étude se concentre sur l’analyse de l’activité professionnelle de femmes dans des branches « typiquement masculines », comme l’électrotechnique, la physique, l’ingénierie ou l’informatique. Elle en déduit que les femmes actives dans ces branches restent défavorisées non seulement par rapport à leurs collègues masculins, mais également par rapport aux femmes travaillant dans des métiers plus « féminins » et qu’elles seraient deux fois plus touchées par le chômage que ces dernières. Les raisons en seraient les conditions de travail et des facteurs historico-culturels profondément enracinés. Par conséquent, l’auteure préconise des transformations profondes du monde du travail.
Mesures proactives mais inefficaces ?
Les mesures proactives peuvent donc s’additionner, elles ne semble pas suffire pour inverser sensiblement la tendance. À l’Université du Luxembourg (UDL), la création il y a quelques années de cela du poste de chargée aux questions de genre n’a pas contribué à améliorer le déséquilibre. Elle établit un constat similaire quant aux Girls‘ Day et Boys‘ Day que le Cid-femmes organise depuis quelques années déjà. Malgré un taux de participation honorable, cette journée qui immerge les filles et garçons dans un métier « typique » du sexe opposé, une étude non représentative réalisée par le Cid-femmes a démontré que les choix professionnels « classiques » n’ont pas connu de grands changements par rapport aux stéréotypes sexués. Elle ne se fait non plus pas d’illusions quant aux workshops « Girls go science » : « Au fond, c’est une bonne chose, mais pour l’instant, nous n’avons que peu d’inscriptions. Il nous faudra encore mobiliser sérieusement dans les jours qui viennent ». Et de se demander si la transmission d’informations entre le Cid-femmes et le ministère de l’égalité des chances vers les établissements scolaires fonctionne bien.
Et encore une chose : Brömmel est particulièrement relevée contre le genre exclusivement masculin de l’intitulé de la Foire. Les initiateurs et initiatrices de la « Foire de l’étudiant » – sans « e » – n’ont apparemment pas intégré l’orthographe sexuellement neutre. Puisque nous y sommes : la responsabilité des enseignements scolaires, primaires et secondaires est aussi très lourde dans le façonnage des stéréotypes sexuels des métiers et de l’imaginaire qui l’entourent. Cela commence par les livres scolaires qui mettent, par exemple, systématiquement un homme dans la fonction d’architecte et une femme dans celle de l’institutrice. Et existe-t-il, au fait, dans la langue luxembourgeoise, l’équivalant masculin de la « Spillschoulsjoffer » ?
Quoi qu’il en soit, les femmes ont depuis longtemps prouvé qu’elles égalaient, voire dépassaient largement les hommes dans la réussite scolaire et universitaire. Au niveau des inscriptions à l’UDL pour le semestre d’hiver 2008/2009, leur nombre est même légèrement plus élevé : 2.213 étudiantes, contre 2.190 étudiants. Par rapport au semestre d’hiver de l’année précédente, leur nombre a d’ailleurs augmenté plus sensiblement que celui de leurs congénères masculins (9,6 % contre 7,4 %). Mais la tendance redevient défavorable aux femmes lorsqu’il s’agit de se lancer dans la recherche scientifique, voire de d’occuper des postes à responsabilité dans ces domaines. C’est à ce moment où intervient à nouveau la question de la disponibilité (horaires flexibles, voyages fréquents) que requièrent ces fonctions. Cette réalité démontre finalement, que même dans nos contrées industrialisées où la condition de la femme a le plus progressé ces dernières décennies, les derniers obstacles à franchir ne sont pas uniquement d’ordre psychologique. Ils restent fondamentalement matériels.
La Foire de l’Etudiant aura lieu les 14 et 15 novembre aux Halles d’exposition du Kirchberg, le woxx sera présent avec un stand (Nr. 3A18).