Au Luxembourg, le logement est en crise depuis plus longtemps que l’économie mondiale. Le débat organisé par le woxx « Hütt amplaz Palais ? », témoigne de la gravité du problème.
Au moment où la rédaction du woxx se creusait les méninges pour proposer un certain nombre d’activités dans le cadre de la célébration des 20 ans de l’hebdomadaire, le monde était encore différent. Nous n’étions pas encore en septembre, et personne ne se doutait qu’une crise économique mondiale était à tel point imminente. Mais le grand-duché couvait déjà une autre crise, bien plus ancienne : celle du logement. Entre-temps, le sujet n’a pas perdu de sa pertinence. D’une, parce que c’est bien le logement, par le biais des « subprimes » aux Etats-Unis, qui fut l’élément déclencheur de la dépression mondiale. De deux, parce que cette crise aggrave encore plus l’autre.
Ainsi, la table ronde organisée par nos soins mardi passé au Carré Rotondes et modérée par notre collaboratrice Renée Wagener, tombait à pic. Et les cinq participant-e-s avaient des choses à dire : Camille Gira, député de déi Gréng et bourgmestre de Beckerich, Vera Spautz, députée socialiste et échevine d’Esch-sur-Alzette, Jean Langers, membre du comité de direction du Statec, Christine Muller, architecte urbaniste et Paul-Henri Meyers, député CSV, conseiller municipal de Luxembourg et ancien vice-président de la Société nationale des habitations à bon marché, ont fourni des contributions claires et nettes.
Aussi, la première question fut-elle précise : le logement est-il trop cher au Luxembourg ? La question paraît candide, mais les réponses bien moins évidentes. Si tout le monde s’accorde pour dire qu’il y a pénurie en logements, il en va autrement du calcul des besoins. D’un côté, le ministre du Logement, Fernand Boden (CSV) estime le besoin à 3.000 logements par an, tandis que le Statec l’élève à 4.800. Le problème, c’est que pour l’instant, aucun des deux objectifs n’est atteint : Renée Wagener indique qu’en 2004, seuls 2.100 ont été créés. En bon économiste, Jean Langers reste dans les chiffres. Il est évident qu’avec une augmentation annuelle de la population de 4.000 personnes, principalement due à un fort solde migratoire, le Luxembourg atteindra les fameux 700.000 habitant-e-s dans les 50 prochaines années. C’est évidemment sans compter avec les effets de la crise mondiale qui peut influencer cette tendance. Cependant, Langers souligne également l’évolution des ménages qui voit une nette hausse de l’individualisation des foyers. L’ère des grandes familles réunies sous le même toit est bel et bien révolue.
En tant qu’échevine chargée du logement dans une ville où les problèmes sociaux sont déjà plus exacerbés qu’ailleurs, Vera Spautz en témoigne : « Maintenant où la crise commence à avoir des effets concrets, où certains projets sont stoppés, la demande en foyers bons marché augmente ». Et de prévoir que dans une année, avec la crise, le problème risquera d’être encore plus sérieux. Problème supplémentaire : le Pacte logement (qu’elle a voté, comme elle le dit, « avec le poing dans la poche »), ne prend pas en considération les locataires qu’elle estime entre 30 et 35 pour cent (Langers corrigera le chiffre vers 20-25 pour cent). « Une chose est claire, avec la crise financière, ce seront les plus faibles qui en souffriront en premier », lance sans ambages Paul-Henri Meyers. D’après lui, la crise aura des effets indirects sur l’allocation de prêts par les banques, car elles auront tendances à demander plus de garanties financières et à les plafonner plus tôt.
Camille Gira s’en prend tout autant au Pacte logement : « Ce pacte va produire exactement le contraire de ce qu’on attend de l’IVL. D’un côté le ministre du logement invite les communes à signer son pacte qui prévoit des aides en cas de croissance démographique, de l’autre, le ministre de l’intérieur les accuse de trop se densifier à chaque fois qu’elles construisent un lotissement ». Verdict : le gouvernement « navigue à vue » et sa politique se montre totalement incohérente.
« Le pacte logement et l’IVL produisent des effets contraires. » ( Camille Gira )
Meyers tente tant bien que mal de défendre la politique du gouvernement et de son parti : certes, admet-il, le principe du Pacte logement repose sur les incitations fiscales pour les communes à construire, mais il concède qu’un certain nombre de mesures auraient pu aller plus loin. « Et dans ce contexte de crise, il reste à voir si elles prendront ». Pour Spautz, le dilemme n’est pas mince : avouant que les mesures proposées par son parti pour le pacte ont été diluées par le partenaire de coalition, elle ne croit pas à son succès.
Après les regrets des politiques, l’avis de l’experte du « terrain », Christine Muller. Si le pacte trouve grâce à ses yeux sur le point de l’introduction d’un droit de préemption, elle estime qu’il n’apporte rien à l’augmentation de la qualité du logement. Car au-delà du nombre de logements qu’il convient de créer, l’architecte pose la question de la manière de construire et vivre. « Les gens doivent adapter leurs besoins à leurs moyens », affirme-t-elle en estimant qu’un logement peut être à la fois plus compact sans perdre en qualité, au contraire. Elle pointe ainsi du doigt un problème déjà relevé par le professeur Ewringmann, qui critiquait dans une étude effectuée pour le compte du Mouvement écologique la propension du Luxembourgeois moyen à vouloir accéder à la propriété d’une maison familiale avec jardin.
Camille Gira va dans le même sens en reprenant l’argument développé par Spautz au sujet de la fixation grand-ducale sur la propriété. « L’on peut noter que la pénurie des logements est inversement proportionnelle au rapport entre locataires et propriétaires », affirme le bourgmestre de Beckerich. Il cite pour exemple l’Espagne qui ne connaît pas une telle pénurie et où les propriétaires ne constituent que 30 pour cent contre 70 pour cent de locataires, un taux inverse au Luxembourg. Et de plaider en faveur de la création d’un Fonds du logement bis, qui promouvrait, ensemble avec les communes, des logements locatifs.
Reste un autre dommage collatéral de l’échec de la politique de logement au Luxembourg : l’exode des Luxembourgeois-e-s vers les régions frontalières. Est-ce le résultat d’une situation d’urgence ? Spautz relève que ce phénomène cause des désagréments aux habitant-e-s de la Grande Région, qui voient les prix augmenter en raison de l’installation des colonies luxembourgeoises. Mais ces « frontaliers » luxembourgeois, y gagnent-ils au change ? Rien n’est moins sûr selon Meyers, qui rappelle qu’ils toucheront, en cas de chômage, le taux de leur pays d’élection. Pour Gira, non seulement les frais de transports, dans un contexte de hausse du prix de l’essence, leur font perdre de l’argent, mais ils doivent être conscients qu’à cause des droits de succession élevés, leurs enfants n’hériteront que de « deux tiers » de la maison.
Finalement, lorsque Wagener demande aux participant-e-s quelles mesures ils ou elles souhaiteraient prendre en premier lieu en tant que ministre du logement, il y a un certain consensus : l’extension du domaine locatif. Sauf pour Meyers, qui préférerait utiliser au mieux le Pacte logement. Le CSV n’entend donc pas revenir sur ses échecs. Comme disaient les Latins : errare humanum est perseverare diabolicum.