POLITIQUE CULTURELLE: Le flux passe à Vilnius

Les capitales culturelles européennes 2009 sont Linz et Vilnius. Une première pour les pays de l’Est, mais aussi une autre façon d’appréhender cette tradition européenne.

Un des spectacles déjà en
cours à Vilnius : l’acteur
français André Wilms dans la pièce « Eraritjaritjaka –
musée des phrases » du compositeur et metteur
en scène Heiner Goebbels.

Deux soeurs inégales à première et même à deuxième vue, les villes de Linz et de Vilnius. Alors que la première n’est avec 190.000 habitant-e-s que la troisième ville d’Autriche,
Vilnius est surtout la capitale de la Lituanie et risque fort d’être la plus spectaculaire des deux, non seulement à cause de sa taille supérieure mais aussi grâce à l’élan des pays baltiques qui s’oppose à un certain provincialisme toujours de mise en Autriche.

Mais aussi historiquement, les deux capitales de la culture s’opposent. Alors que le passé de Linz est toujours hypothéqué par le nazisme – on y trouve d’ailleurs toujours les « Hermann-Göhring-Werke », des aciéries qui ont changé de nom – Vilnius a été au centre de bouleversements qui ont changé la face de l’Europe. Le passé national-socialiste de Linz n’est tout de même pas épargné par les organisateurs de la capitale culturelle : un des premiers highlights est une exposition au titre aussi hilarant que provocateur : « Kulturhaupt-
stadt des Führers ». Et – malheureusement – le titre se réfère à une réalité historique : Effectivement, Hitler prévoyait de faire de la ville une sorte de capitale culturelle de son Reich. Non seulement la dictature national-socialiste a-t-elle fait muter Linz d’une petite ville insignifiante et rurale en une capitale industrielle, mais aussi en un centre culturel des idéologies du Reich. Il prévoyait ainsi un « Führermuseum » à sa gloire personnelle et d’autres fantasmagories mégalomanes qui ne se réalisèrent – heureusement – pas. L’expo va encore plus loin, en montrant des tableaux que Hitler et ses acolytes voulaient montrer au public et aussi en s’intéressant de près à la vie culturelle de l’entre-deux guerres qui a connu, on l’imagine, quelques bouleversements majeurs.

Mais cet highlight risque bien d’être le seul. En parcourant le programme de Linz09, on constate surtout qu’il n’y a pas de vraie ligne directrice dans tout cela. Le programmateur Martin Heller – qui, à ce que nous sachions, n’est pas lié à la famille d’André Heller – semble surtout n’avoir pas voulu prendre de risques. La culture locale n’est pas vraiment mise en vitrine, les highlights culturels se limitent à des événements grand public. Apparemment la scène linzoise ne serait pas du goût des organisateurs. En tout cas, les projets présentés restent tous calés sur un esprit d’auto-analyse et d’auto-célébration. Ainsi par exemple, une tradition disparue depuis 150 années sera ravivée : de haut de la tour de l’église communale de la ville de Linz seront émis, à intervalles réguliers, des sons de trompettes. Alors qu’elles souhaitaient à l’époque la bienvenue, ou l’adieu aux familles des régents de passage dans Linz, les trompettes sont exhumées ici pour annoncer divers événements. Un autre projet pourrait même faire grincer des dents certain-e-s nationalistes, qui ne sont pas rares en Autriche : il est prévu de remplacer les signes d’information situées à l’entrée de la ville par des panneaux dans toutes les langues parlées à Linz. Alors que le pays s’est déjà entre-déchiré sur les panneaux bilingues germano-slovènes dans la province de Carinthie, où le vaillant Jörg Haider n’a plus les moyens pour les faire arracher, une telle action ne peut être qu’une provocation. Mais elle reste de loin la seule à vraiment sortir de la mêlée. Un pays comme l’Autriche n’est pas dépourvu de culture et n’aurait surtout pas besoin de se cacher, mais le problème est que les Autrichiens ont toujours eu une relation difficile avec leurs artistes. Des gens comme Hermann Nitsch, Thomas Bernard ou encore Elfriede Jelinek ont toujours eu plus de reconnaissance internationale que nationale. Un peu le contraire du Luxembourg en somme, où personne ne connaît « nos » artistes une fois la frontière passée. En bref, le programme en dit long sur la conception des organisateurs : il est beaucoup question de tourisme et d’infrastructures, par contre la recherche et la création sont délaissées.

Province vs. Capitale

Les différences énormes qu’il peut y avoir dans la conception d’une année culturelle éclate aux yeux lorsque l’on compare Linz à Vilnius. Ici, le temps est aux échanges de tous bords, la curiosité règne en maîtresse de cette année 2009, qui promet d’être plus passionnante que celle que vont passer les habitant-e-s de Linz. Peut-être est-ce dû au fait que déjà la ville est tellement différente. D’abord c’est une « vraie » capitale administrative, puis c’est une ville qui historiquement parlant a beaucoup plus
à dire que Linz : fondée au 14e siècle par un seigneur païen qui, ainsi le veut la légende, aurait vu en songe un loup en acier siéger sur la place où il construira sa première forteresse. La christianisation n’a frappé la Baltique que sur le tard, préservant ainsi un certain esprit d’indépendance qui fût pourtant rudement mis à l’épreuve par l’histoire lituanienne où s’alternent occupations et prises d’influences étrangères et cela jusqu’à l’époque contemporaine pendant laquelle le pays se défaisait du joug soviétique pour finalement entrer dans l’Union européenne.

Déjà, la base du programme est innovante et se place décidément dans un esprit d’ouverture : les organisateurs y proclament s’être inspirés du mouvement d’avant-garde allemand « Fluxus » pour la conception de leur année culturelle. Cela mis à part, on peut s’attendre à des manifestations comblées : plus de 900 projets sont prévus, dont 60 pour cent seront gratuits – un pourcentage dont Luxembourg 2007 ne pouvait que rêver – et plus de 90 pour cent des projets seront des premières pour les Vilnoises et Vilnois. De plus, les organisateurs se sont engagés – volontairement ou pas – à réadapter leur budget en fonction de la crise financière. Le fait remarquable est surtout qu’ils le disent haut et fort sur leur page web, où le comité de Vilnius 2009 s’explique longuement sur les raisons qui l’a amené à de tels coupes, et comment il a procédé : en ne publiant pas certains appels d’offre et surtout en annulant tous les projets dont ils n’étaient pas sûrs, comme ceux où manquait un organisateur ou où le financement n’était pas garanti à cent pour cent.

Tout de même, la variété et la qualité des projets dépassent de loin la « s?ur » autrichienne. D’autres festivals qui devraient être pérennisés seront crées pour chaque saison. Des programmes d’échanges européens qui misent surtout sur la mobilité des artistes à l’intérieur de l’Union européenne – car c’est vrai, après la libre circulation des biens et des services, celle des artistes est un peu oubliée – et qui devraient mettre l’accent sur la valorisation de l’Europe centrale et celle de l’Est.

Mais l’intérêt des organisateurs va aussi au-delà de notre cher et vieux continent : ainsi un programme de poésie décorera la ville de haïkus – une vieille forme de poésie qui nous vient du Japon. Un haïku se compose en général de trois vers et essaie d’approcher son thème de façon poétique mais directe. De toute façon, les vilnois-es semblent aimer la poésie, car tout un pan du programme est dédié à cette discipline quelque peu « out » aux temps des installations vidéos et autres super-projets artistiques.

En tout cas, si vous projetez de visiter une capitale européenne de la culture en 2009 : le ticket pour
Vilnius est à plus ou moins 800 euros?

http://www.culturelive09.lt/
http://www.linz09.at


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