La perquisition dans les locaux de la rédaction de l’hebdomadaire en langue portugaise « Contacto » le 7 mai dernier constitue une violation supplémentaire du quatrième pouvoir de la part du troisième. Le woxx s’est entretenu avec l’avocat spécialiste de la législation sur la presse, Pol Urbany.
woxx : Suite à la perquisition du 23 janvier 2006, dans le cadre de l’affaire sur le « Bommeleeër », dans les locaux du Broadcasting Center Europe, filiale de la CLT-UFA, le Procureur d’Etat et le Conseil de presse s’étaient mis d’accord pour introduire dans le Code de déontologie de la presse que de telles perquisitions ne pourront se faire à l’avenir qu’en la présence d’un représentant du Conseil de presse. Le code étant mentionné dans la loi, il se pose la question de savoir dans quelle mesure les dispositions du code ont force de loi.
Pol Urbany : Un code de déontologie n’a pas force de loi, même si c’est une loi qui a évoqué sa mise en place. Dans notre cas, il est un fait que l’article 23 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias, donc la « nouvelle loi sur la presse », a bien prévu que « Le Conseil de presse est en outre chargé (?) d’établir un code de déontologie ayant pour objet de définir les droits et devoirs des journalistes et éditeurs ». Mais ceci ne donne pas force de loi à ce code de déontologie. Dans notre démocratie parlementaire, c’est la Chambre des députés qui fait fonction de législateur et qui dispose du pouvoir normatif. Seuls des détails d’exécution de normes peuvent être délégués au pouvoir réglementaire, à savoir au grand-duc. Mais même un règlement ou un arrêté grand-ducal est hiérarchiquement inférieur à la loi. Dans l’affaire qui nous intéresse, le Code de déontologie du Conseil de presse, d’un point de vue strictement juridique, ne peut donc pas efficacement s’imposer aux autorités, plus particulièrement au parquet et au pouvoir judiciaire. Ainsi, à mon avis, l’accord entre le Conseil de presse et le procureur, accord que vous citez, serait en réalité, à supposer qu’il ait été dûment formalisé et publié, ce qui resterait à vérifier, purement moral. Sa violation ne serait donc guère susceptible de constituer une véritable illégalité, mais l’indignation qu’appelle cette violation est absolument légitime. Par contre, les perquisitions dont nous parlons pourraient être contraires à la loi sur la presse et à la Convention européenne des droits de l’Homme. C’est sous cet angle que l’affaire est à examiner.
Le juge d’instruction était-il dans l’obligation de communiquer son intention de réaliser cette perquisition au Conseil de presse?
Si on part de mon raisonnement ci-avant, la réponse est claire: d’un point de vue juridique, non. Moralement peut-être, encore qu’on se demande si le juge d’instruction, magistrat indépendant, devrait respecter les accords du Procureur d’Etat avec le Conseil de Presse.
Si la loi sur la liberté d’expression dans les médias, selon vous, manquait de clarté, devrait-elle être réformée ?
Je ne pense pas que la loi doive nécessairement être changée, elle devrait tout simplement être respectée et appliquée par les autorités. L’article 7(3) de la loi sur la liberté d’expression dans les médias prévoit clairement que « les autorités de police, de justice ou administratives doivent s’abstenir d’ordonner ou de prendre des mesures qui auraient pour objet ou effet de contourner ce droit (le droit à la protection des sources, n.d.l.r.), notamment en procédant ou en faisant procéder à des perquisitions ou saisies sur le lieu du travail ou au domicile du journaliste (?) ». L’article 8 de la loi sur la liberté d’expression dans les médias prévoit limitativement les seules exceptions à cette règle. Dans des cas où il en va de la recherche d’infractions très graves, à savoir : les crimes contre les personnes, le trafic de stupéfiants, le blanchiment d’argent, le terrorisme ou l’atteinte à la sûreté de l’Etat. Vous remarquez que des poursuites dans le cadre de diffamation ou de calomnie ou même dans le cadre de la protection de la jeunesse ne sont pas des exceptions légales permettant des perquisitions. On constate que malgré ce texte de loi clair, institué en 2004, des autorités judiciaires ont, à plusieurs reprises, tout simplement violé la loi. Pour le surplus, cette façon de procéder est contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme, norme supérieure à notre loi. L’Etat a ainsi été condamné en 2003 par la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation des droits de l’Homme, à savoir de l’article 10 sur la liberté d’expression garantissant implicitement la protection des sources. La condamnation est intervenue en raison des perquisitions et saisies dans les locaux du Lëtzebuerger Journal et au domicile du journaliste Rob Roemen. Récemment encore, par un arrêt du 8 mai 2008, la Chambre du conseil de la cour d’appel a annulé une perquisition d’un juge d’instruction et toute la procédure ayant suivi la perquisition pour les mêmes motifs.
Il est très regrettable que malgré l’existence de règles claires, en présence d’une loi précise et de principes jurisprudentiels constants, des organes de poursuite agissent comme si toutes ces normes étaient inexistantes. Je comprends donc fort bien que les journalistes supportent très mal de devoir respecter les lois alors que des autorités judiciaires n’en font pas de même.
La loi sur la protection de la jeunesse interdit la publication de l’identité d’une personne mineure qui fait l’objet d’une procédure prévue par la loi, ce qui est le cas du jeune homme, dont parle l’article incriminé du « Contacto ». La rédaction du « Contacto » se défend en arguant qu’elle a obtenu la permission des parents pour révéler l’identité. Ceci est-il suffisant?
Concernant les perquisitions et saisies, si ces dernières avaient comme objet ou comme effet de trouver la source de l’information, cette question n’est d’aucune pertinence. L’article 8 de la loi sur la liberté d’expression permet ces perquisitions uniquement dans les cas très exceptionnels que je vous ai cités. Les infractions relatives aux mineurs n’en font pas partie. Il en va de même concernant les infractions de diffamation et de calomnie. Si pour le surplus, le journaliste avait l’accord des parents, le reproche de la violation des dispositions relatives à la protection de la jeunesse semble peu étoffé. Mais je répète que même au cas où ce reproche était fondé, il ne pourrait pas légalement justifier la perquisition et la saisie d’objets.
D’une manière générale, estimez-vous que la procédure engagée à l’encontre du journaliste du « Contacto » est à qualifier de « disproportionnée »?
La loi sur la liberté d’expression dans les médias de 2004, en prenant par là référence au texte de la Convention européenne des droits de l’Homme et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, précise dans son article 2 que toute ingérence dans la liberté de la presse doit notamment « répondre à un besoin social impérieux et être proportionné au but poursuivi ». En utilisant ce texte, le législateur a commandé le strict respect de la Convention et du principe jurisprudentiel de la Cour européenne des droits de l’Homme. La Cour européenne des droits de l’Homme vérifie toujours si l’ingérence dans la liberté de la presse ? et cette Cour estime que des perquisitions constituent une ingérence très grave dans la liberté de la presse ? est proportionnée au but poursuivi. Connaissant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, je pense que les mesures ordonnées dans le cas de « Contacto » par le juge d’instruction seraient jugées disproportionnées et que le Luxembourg serait, de nouveau, condamné pour violation des droits de l’Homme.?
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