EMPLOI DES JEUNES: Salarié mais gratuit

La crise a bon dos. Elle permet de faire passer sans problème des lois qui, à d’autres époques, auraient fait éructer les syndicats. Le projet de loi sur le chômage des jeunes en fait partie.

Une armée de jeunes salarié-e-s presque gratuit-e-s : le rêve du patronat.

« Le texte est très bon pour moi ». Le jugement semble sans appel. Il vient de Roger Negri, député socialiste et rapporteur du projet de loi « concernant certaines mesures visant à atténuer l’effet de la crise économique sur l’emploi des jeunes ». Le hic, c’est qu’à l’heure actuelle, plus ou moins tout le monde donne l’impression d’être d’accord avec ce projet de loi déposé il y a environ un mois par le nouveau ministre du travail, Nicolas Schmit (LSAP) (voir woxx 1025). Pourtant, le texte est basé sur les fondements du fameux projet de loi « 5611 », qui avait, en hiver 2006, fait descendre des milliers d’élèves et d’étudiant-e-s dans les rues. Aussi bien que le ministre du travail de l’époque, François Biltgen (CSV), fût contraint de l’aménager. Les jeunes socialistes, dont le parti mère était alors déjà partenaire junior de la coalition, s’étaient même joints opportunément à la fronde emmenée par des organisations de gauche et le syndicat OGBL. Petit rappel schématique : le projet étend temporairement la possibilité d’employer des jeunes (« Contrat d’appui-embauche » pour le public et « Contrat d’initiation à l’emploi » pour le privé, créés par le « 5611 ») et ajoute un « Contrat d’initiation à l’emploi – expérience pratique » pour les jeunes diplômes de moins de 30 ans. Ces contrats seront rémunérés entre 80 et 150 pour cent du salaire social minimum (SSM) et remboursés partiellement par le Fonds pour l’emploi (40 ou 50 pour cent). En plus, une prime correspondant à 30 pour cent du salaire sera accordée aux entreprises qui embaucheront par la suite le jeune. Evidemment, les cotisations patronales sont prises en charge par la collectivité.

Mais cette fois-ci, rien. Même la Chambre des salariés, dominée par l’OGBL a déjà donné son « approbation de principe » aux trois nouvelles mesures temporaires. Le syndicat chrétien LCGB quant à lui « salue le rapide dépôt d’un projet de loi, dont les travaux préparatoires et les concertations avec les partenaires sociaux ont commencé encore sous le gouvernement précédent et qui vise à étendre et compléter les instruments en faveur de l’emploi des jeunes ». Pourtant, la troupe de Robert Weber est consciente des effets pervers de cette loi, prévenant déjà qu’elle « dénoncera le cas échéant publiquement les cas d’abus ». Les syndicats auraient-ils reçus d’autres garanties en échange de leur docilité sur ce texte ? Car les abus ne sont pas chimériques : le ministre lui-même concédait, lors de la présentation à la presse de son texte, que le risque existait. Même en commission parlementaire le 22 septembre, il fut retenu qu’il « est évident que ce genre d’instrument véhicule toujours un certain risque d’abus ; toutefois le législateur ne saurait rester figé dans l’inaction sous ce prétexte ». Quand l’on pense à la chasse aux « abus » que les autorités s’empressent régulièrement de dénoncer lorsqu’il s’agit des congés maladies des ouvriers ou dans le cadre de différentes aides sociales, l’on ne peut que s’étonner de la légèreté avec laquelle la majorité actuelle envisage les abus potentiels du patronat. Quant à Roger Negri, s’il partage cet avis, il pense néanmoins « qu’il ne faut pas trop s’attarder sur les détails et qu’il faut réagir de manière expéditive ». Nicolas Schmit l’avait annoncé, Negri confirme : la loi doit très vite être adoptée par la Chambre. Et le député d’envisager le vote le 27 ou le 28 octobre.

Fin ou début de crise ?

Car il faut faire vite, d’autant plus que la loi devrait déjà prendre fin le 31 décembre 2010, date à laquelle le gouvernement estime que la crise devrait commencer à s’atténuer, ce qui arrache au Conseil d’Etat, corporation pourtant peu encline à la rigolade, cette remarque moqueuse (dont l’avis est par ailleurs truffé, comme pour conjurer son approbation de principe peu enthousiaste) : « personne n’ose raisonnablement faire à ce sujet de pronostics ». Et bien, le gouvernement et ses oracles, eux, ils osent.

Mais une des questions fondamentales que pose le projet de loi se situe justement au niveau de la crise. Cet outil est-il vraiment adapté à la crise ? Comme le remarque l’économiste français Michel Husson, dans un article paru au mois de septembre dans la revue « Regards » : « Supposer que la récession puisse être effacée par une mini-reprise, c’est ne pas voir plus loin que le bout de son nez. Que l’ajustement sur l’emploi ait été (relativement) modéré compte tenu de l’ampleur du choc, c’est possible. Mais la contrepartie est un recul brutal de la productivité que Rexecode (centre de recherche proche du patronat français, ndlr) chiffre à 2,2 %. Cela veut dire que les résultats des entreprises se dégradent d’autant, ainsi que les finances publiques pour la part du chômage partiel qu’elles prennent en charge. Qui peut croire que les entreprises ne vont pas chercher à rétablir leurs profits, en bloquant les salaires, ou en ajustant leurs effectifs ? Tous les dispositifs, comme le chômage partiel qui joue un rôle considérable en Allemagne, ont une durée d’utilisation limitée. Et, lorsqu’ils seront épuisés, les licenciements secs prendront le relais. Le gouvernement le sait bien, qui a fait plutôt profil bas à propos du « recul » récent du chômage acquis à coup de radiations, et qui n’empêchera pas son augmentation ultérieure (sous réserve de nouveaux traitements « statistiques ») ».

Malgré le caractère temporaire du projet de loi, il n’en reste pas moins qu’il s’inscrit dans une logique bien connue : sous prétexte de « favoriser » l’emploi ou la formation, la collectivité prend en charge une partie des salaires (revus à la baisse ou oscillant autour du salaire social minimum), exonère les entreprises de leurs cotisations sociales, et dilue progressivement le Code du travail en accumulant de nouvelles formes de travail contractuel. De surcroît, il est par principe accordé un blanc-seing de moralité au patronat, alors que le salariat, occupé ou chômant, se voit imposer de plus en plus des mesures de contrôle. Ainsi, si le projet de loi prévoit une priorité à l’embauche dans une entreprise où un jeune a bénéficié d’un CIE, rien n’empêche le patron, une fois le CIE échu, d’embaucher le jeune avec un contrat à durée déterminée (CDD). Une fois ce contrat épuisé, la priorité à l’embauche est caduque. Interrogé en commission par le député André Hoffmann (déi Lénk), le ministre répond que le jeune conservera une « priorité morale qu’il est toutefois difficile de couler juridiquement dans le texte ».

Si les réponses progressistes en temps de crise consistent traditionnellement à engager des pistes de relance qui favorisent le pouvoir d’achat, donc les salaires, et à redistribuer les richesses, le projet de loi a pris la voie opposée. Déjà faut-il noter que les subventions accordées aux entreprises émanent du Fonds pour l’emploi, en partie financé par la collectivité. En ce qui concerne la contribution patronale (par le biais de l’impôt de solidarité), il est particulièrement croustillant de remarquer que celle-ci diminue justement en temps de crise, où les bénéfices des entreprises sont censés s’amoindrir. De plus, la possibilité envisagée par la majorité d’abaisser encore plus l’impôt sur les sociétés ne laisse présager aucune tendance à la redistribution.

Et comme les contrats proposés ne s’éloignent que peu du salaire minimum, voire y sont inférieurs dans certains cas, la question du pouvoir d’achat des « bénéficiaires » se pose. La majorité est-elle consciente des difficultés à survivre de manière autonome avec un salaire minimum luxembourgeois ? Il ne faut pas se leurrer : la tendance est à la baisse généralisée des salaires. Le fait d’« aider » les entreprises à embaucher les jeunes pour des salaires proches du SSM, conduit à un dumping salarial malvenu en temps de crise.

Dans le jargon néolibéral, il s’agit en fait de rendre les salariés (en commençant par les jeunes) « employables » : c’est-à-dire « sans charges sociales », et aux bas salaires payés en partie ou entièrement par la collectivité. Evidemment, de ce point de vue, embaucher un salarié devient alléchant. Marx définissait le prolétaire comme celui qui ne possède rien d’autre que sa force de travail qu’il vend au capital. Au 21e siècle, il ne la vend même plus.


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