Le ministère de l’éducation nationale (MEN) termine sa réforme de l’enseignement secondaire. Reste à savoir s’il s’agit d’adapter l’école aux défis d’aujourd’hui ou d’adapter les élèves aux galères de l’économie libérale.
Ça y est : le dernier étage du vaisseau de l’éducation nationale s’apprête à connaître à son tour sa rénovation. Après l’enseignement fondamental, le cycle inférieur, voilà que la ministre de l’éducation nationale, Mady Delvaux-Stehres (LSAP), expose ses pistes de réforme du cycle supérieur de l’enseignement secondaire (ES) et secondaire technique (EST), à savoir respectivement les classes de 4e à 1ere et de 10e à 13e.
Les réformes structurelles sont profondes : adieu le bel alphabet qui distingue les différentes sections dans l’ES. Arrivés en 2e, les élèves ne se retrouveront plus dans une des sept sections, mais uniquement dans deux : l’une pour les langues et les sciences humaines, l’autre pour les sciences et les mathématiques.
Au début du cycle, c’est-à-dire en 4e, l’élève est confronté à une première orientation en vue de sa spécialisation en 2e et 1ère. Ce choix est concentré sur les deux branches qui présentent traditionnellement les principales difficultés aux élèves : le français et les mathématiques. Il peut opter pour l’une des deux comme « cours d’excellence », voire les deux pour les plus téméraires. L’affinage continue en 3e, avec, comme l’on peut s’en douter, un enseignement plus approfondi en sciences pour la section maths et sciences et l’introduction, pour les « littéraires », d’une 4e langue vivante. L’on peut se demander si trois années suffiront à maîtriser l’espagnol ou l’italien.
Mais ce seront surtout les deux dernières années qui offriront le flanc aux débats les plus mouvementés, notamment la nouvelle pondération de l’importance des langues. Car, que ce soit dans la section langues ou sciences, l’anglais est prévu comme unique langue obligatoire jusqu’en 1ere. A l’instar de Guy Foetz, vice-président du SEW (il s’exprime en son nom personnel, la position de son syndicat n’ayant au moment de l’entretien pas été arrêtée), qui dit n’être pas « très chaud » pour laisser tomber le français, les débats risquent d’être houleux. D’autant plus que le français est la langue la plus utilisée au Luxembourg (membre de la Francophonie) sans parler de son statut de langue officielle et de son importance autrement plus importante sur le marché du travail que l’anglais, dont seule la variante « pidgin » suffit souvent.
Par contre, depuis qu’un certain nombre d’élèves se sont vus refuser l’entrée de certaines universités étrangères au motif que la section A (anciennement A1) n’offre plus de cours de mathématiques en dernière année, le ministère a décidé de mettre fin à cette lacune en prévoyant néanmoins pour la section sciences humaines et langues une « approche moins formaliste » des mathématiques.
Dans l’EST, la nouvelle structure est similaire, à l’exception près que – professionnalisation oblige – les sections sont plus diversifiées (communication, commerce, sciences appliquées, informatique, ingénieur et artistique). Dans cet ordre d’enseignement, le français ne trouvera de salut que dans les deux sections issues de la dominante « commerce et communication », tandis que celles issues de la dominante « sciences et technologies » se contenteront, en 13e en tout cas, de l’anglais.
La réforme semble en tout cas de prendre en compte un des problèmes majeurs de l’actuel système d’enseignement secondaire : sa rigidité. L’intention du ministère est claire : « un système plus flexible et une formation générale plus étendue ». Par contre, le ministère passe à côté d’une réforme indispensable : l’introduction du tronc commun. Les auteurs du projet ont beau gloser à longueur de pages de la grande hétérogénéité sociale et culturelle des élèves du Luxembourg moderne. Il n’empêche qu’ils se refusent, pour des raisons plus politico-idéologiques que rationnelles, à introduire le tronc commun. L’avenir des élèves continuera donc à se dessiner vers l’âge de douze ou treize ans, et cela en grande partie en fonction de leur origine sociale ou culturelle.
Si les détails de la réforme n’ont pas été présentés ce lundi en conférence de presse, c’est aussi pour une bonne raison : le projet présenté ne constitue en fait qu’un « document d’orientation » qui servira de cadre pour de futures discussions. Le ministère n’hésite d’ailleurs pas à détailler sa démarche : le projet de réforme ne sera élaboré qu’au mois de mai après une concertation avec les partenaires, notamment les enseignant-e-s, au cours des deux mois précédents. Suivront encore d’autres affinements au niveau des contenus, des méthodes et de l’organisation pour déboucher au dépôt du projet de loi en janvier 2012.
Le MEN aime l’esprit critique, surtout lorsqu’il est d’accord
La ministre se veut ouverte au dialogue : en amont de l’élaboration du document d’orientation, cinq réunions régionales ont eu lieu, impliquant en tout 250 enseignant-e-s délégué-e-s des différents établissements. Cela suffira-t-il ? Il faut en effet se demander si la conception du dialogue du ministère se veut ouverte ou si elle fonctionne selon le principe du « causes toujours, tu m’intéresses ». En tout cas, les mandarins du ministère ne semblent pas toujours apprécier la contradiction. En témoigne notamment la conférence publique organisée par le SEW le 17 mars, où l’enseignant et journaliste belge Nico Hirtt, présentera à l’Athénée une vue critique de l’« enseignement par compétences ». Le SEW avait en effet proposé d’inclure cette conférence dans le programme de formation continue du Script (Service de coordination de la recherche et de l’innovation technologique et pédagogique), ce que ce dernier a refusé au motif que les textes du conférencier « ne semblent pas aller dans la même direction que celle préconisée par le MENFP ». Et lorsque le MEN se targue d’avoir consulté « des associations estudiantines », il semble qu’il en ait oublié l’une ou l’autre : c’est notamment le cas de l’Unel. L’on peut comprendre le ministère, car l’Unel n’a pas la réputation de se montrer très docile.
C’est étrange, car le ministère tartine en long et en large d’innocentes feuilles d’une mauvaise prose louant l’esprit critique dont l’école est sensée doter les élèves. Certains passages valent par ailleurs le détour : « L’école doit également définir les connaissances et compétences nouvelles dont auront besoin les jeunes demain pour comprendre les enjeux de la société et pour assumer en connaissance des causes (sic) leurs responsabilités de citoyen ». En plus de l’usage intempestif de pseudo-anglicismes technocratiques (dans la catégorie « j’invente des mots en français, parce que ça sonne bien en anglais, la Palme d’Or va à « implémenter »), d’associations de mots lourdes de sens (on y parle de « métier d’étudiant »), les fonctionnaires du MEN abreuvent le lecteur de considérations aussi vides de sens que définitives (« les grands dogmes se sont effondrés »), que de lieux communs douteux enveloppés dans des phrases grouillant d’effets de manches : « L’obsolescence des savoirs et le développement technologique ont des répercussions importantes sur les processus de travail et les besoins en qualifications professionnelles ».
Le problème, c’est qu’après avoir ingurgité ces pages faisant l’éloge de l’enseignement par compétences – car c’est aussi de cela qu’il s’agit – l’on commence à douter sérieusement de la direction que prend l’éducation nationale.
L’on comprend aisément pourquoi le Script (dirigé jusqu’à récemment par un Michel Lanners, ancien candidat malheureux du CSV, et actuellement premier conseiller de gouvernement) dédaigne d’associer Nico Hirtt à ses formations : ce dernier, de l’école progressiste, voit dans cet enseignement un détournement des pédagogies dites « constructivistes » inspirées notamment par Freinet. Il estime notamment que cet enseignement « sous le couvert d’un discours parfois généreux et moderniste pourrait bien se cacher une opération de mise au pas de l’enseignement : sa soumission aux besoins d’une économie capitaliste en crise » et craint que les enseignants ne se voient enfermés, ce dont nombre d’entre eux de l’enseignement fondamental témoignent déjà, « dans un travail routinier, bureaucratique extrêmement normatif ». Il n’est pas étonnant que l’OCDE appuie de toutes ses forces cette approche, qui s’inspire également de la supercherie du « processus de Lisbonne ». Le MEN, dont les réformes poursuivent ouvertement le dessein d’aider les jeunes à « s’adapter aux développements futurs » et de les préparer à un « apprentissage qui doit se poursuivre tout au long de la vie », bref, à s’insérer dans le modèle économique néolibéral, devrait néanmoins faire attention à ce que ses élèves, à l’instar de l’Unel, ne fassent pas preuve de trop d’esprit critique. Car cela ne se ferait pas forcément en faveur du système qu’il défend. Au risque de voir ressurgir les « grands dogmes » – comme ils disent.