EXPOSITION: C’est bien un Casino

Avec sa dernière exposition « Ceci n’est pas un Casino », le Casino-forum d’art contemporain tente l’expérience auto-ironique – ce qui ne lui réussit qu’à moitié.

Détourné ludiquement : la table de billard de Stéphane Tidet.

Admettons que le titre de l’exposition prête à sourire. La double référence au célèbre tableau de Magritte et à l’anecdote récurrente qui veut que les employé-e-s du Casino doivent souvent expliquer aux touristes errants que ce Casino n’est pas fait pour jouer mais pour consommer de l’art contemporain est bien trouvée. Pourtant, elle fait aussi apparaître un soupçon de nombrilisme dans une maison d’art pourtant connue pour son ouverture à toutes les tendances.

Le thème de « Ceci n’est pas un Casino » est donc le jeu, sous toutes ses approches artistiques. Si on considère que la composante ludique est essentielle à l’art contemporain, faire une exposition sur le jeu devrait donc être assez facile, un peu trop facile même.

D’emblée, en montant les escaliers qui mènent vers le hall principal du Casino, l’installation magistrale « I, The World, Things, Life » du Suédois Jacob Dahlgren se dévoile aux yeux du visiteur. Tout le mur est pris par des cibles de jeux de fléchettes en noir et blanc et deux caisses pleines de fléchettes rouges invitent le spectateur à l’interactivité. Le ton est donné : outre de consommer seulement son art, le spectateur est invité à y participer. Car en jetant des fléchettes sur une des cibles, il ne change pas seulement l’oeuvre d’art, mais il gagne à chaque coup. Vu qu’il est assez impossible de rater une cible, on pourrait même retourner le jeu et dire que celui qui place une fléchette entre les cibles gagne des points.

L’approche du Luxembourgeois Paul Kirps est tout à fait différente. Loin d’être interactives, ses sculptures unissent la pop-art, de par leur signifié, et le graphisme minimaliste de par leur signifiant. Les deux pièces exposées dans le cadre de cette exposition « High Score » et « Terminal », représentent un flipper et un distributeur de billets. La réussite de Kirps est de donner envie au spectateur de toucher ses sculptures malgré leur froide apparence et le fait qu’elles soient réduites à leur strict minimum en se passant par exemple de toute inscription textuelle – on saisit le signe par l’esthétique. Même si on comprend mal en quel sens un distributeur de billets entre dans le concept ludique de l’exposition. L’argent, après tout, c’est pas drôle.

Une autre dimension est celle des jeux vidéo, à laquelle aucune exposition sur ce thème ne pouvait échapper. Et on est plutôt bien servis. Première installation à attirer l’oeil du spectateur : « Citizen Coombs Wins ! » d’Antoinette J. Citizen et Courtney Coombs. Ce duo d’artistes australiennes a détourné dans la meilleure tradition situationniste un jeu vidéo ultra-connu par la génération des plus de trente ans : Mortal Kombat. Jadis dans le viseur des associations parentales pour sa grande brutalité – c’était un des premiers jeux à montrer du sang pixelisé lors des coups assénés aux adversaires – il est devenu de nos jours un grand classique des jeux d’arcade. Mais la madeleine proustienne et digitale proposée ici diffère un peu de l’original. Si le début du jeu est le même – avec choix des joueurs et choix des décors – le match à mort des deux joueurs est un peu bref. Car dès l’injonction « Fight » qui invite à commencer, les deux figures tombent raides mortes et une voix proclame « Citizen Coombs Wins ! ». Par ce petit détournement, ils mettent en avant l’absurde de ces jeux qui de toute façon se terminent avec la victoire de l’ordinateur. Autre travail sur les jeux vidéos et disposé dans la même salle : « Street Fighters » d’Hermine Bourgadier. Une série de dix portraits de joueurs dans des salles d’arcade. Leurs visages en sueur, leurs yeux vides et leurs traits tirés donnent une impression de l’investissement absolu des joueurs, obsessifs ou non, et une démonstration du pouvoir magnétique des pratiques ludiques.

Autre obsédé de la manette, le Néerlandais Walter Langelaar avec son installation « nOtbot ». Ici, la manette est aux commandes dans le premier sens du terme, vu qu’elle bouge d’elle-même et donne l’impression que le jeu – projeté sur un écran – se joue de manière autonome. Pourtant, le type de jeu est différent, vu que Langelaar s’intéresse davantage à la pratique de l‘ « ego shooter » où le joueur se trimballe seul dans un monde virtuel et doit faire usage dans la plupart des cas d’un armement lourd pour se défendre contre ses adversaires. Mais le plus intéressant dans son travail est la fétichisation de la manette de contrôle – métaphore inquiétante de notre monde de plus en plus automatisé. Une autre référence à ce fétiche se trouve au premier étage avec le travail de l’Allemand Olaf Val, baptisé « Verstärker ». Ici, une manette d’un producteur bien connu est reliée à une simple ampoule électrique que le spectateur peut allumer en maniant les contrôles. Là où l’oeuvre de Langelaar broie du noir et tourne autour d’elle-même, celle de Val verse dans l’ironie en reliant deux objets aussi distants dans leur usage que dans le temps – si l’on considère les moments de leurs inventions respectives.

Autre installation ironique, voire vraiment ludique, « Landscape » d’Antoinette J. Citizen déjà mentionnée. Ici, c’est carrément le rêve de toute une génération qui devient réalité. La pièce est décorée d’objets tirés directement des jeux vidéos Super Mario, avec lesquels la firme Nintendo a conquis les chambres d’enfants partout dans le monde. Qui n’a jamais rêvé de se promener un jour dans Marioland ? C’est surtout en intégrant – en dimensions réelles – les fameuses caisses frappées du point d’interrogation qu’elle parfait l’illusion. Pourtant, « Landscape » est loin d’être une oeuvre essentiellement positive. Une fois entré dans la pièce, le visiteur a aussi une impression de claustrophobie qui peut vite devenir gênante.

Tandis que les salles du rez-de-chaussée du Casino sont dédiées aux jeux ludiques, celles du premier étage se consacrent plus au jeu sous l’angle sportif. C’est l’installation « Golemball » du Français Laurent Perbos qui ouvre le bal. Une sculpture géante faite de balles de tennis transpercées de javelots fait allusion à la dimension de combat inhérente à toute pratique sportive. Le golem, ce monstre fait de glaise et sorti tout droit de l’univers fantastique judaïque est ici l’incarnation du combattant tout autant qu’il rappelle une figure de l’imagerie chrétienne : le martyr Saint Sébastien transpercé de flèches.

Autre pièce qui relie la violence et le sport : « Afterhours », du Néerlandais Marc Bjil. Ici, c’est le terrain de basket en tant que symbole d’une certaine urbanité pauvre mais fière qui est signifié. Cette image du terrain coincé entre deux barres d’HLM qui est la seule distraction et la seule ambition des jeunes de ces quartiers a tellement été médiatisée que sa signification en tant que telle s’est depuis longtemps érodée. En effet, le terrain de Bjil est cloisonné par des grillages et les marques au sol remplacés par des tubes en néons. L’atmosphère glauque – encore renforcée par des barbelés et des détritus par terre – est celle d’un symbole de fin de vie et marque aussi le contraste avec le travail de la Luxembourgeoise Letizia Romanini. Son installation « Sans titre » se compose d’un anneau de basket et d’un filet, avec la seule différence que celui-ci est en laine et semble interminable – une subtile allusion au fait que le monde ludique se définit par lui-même comme inépuisable avec comme seule limite l’homme.

Sans vouloir aller plus loin dans les détails – il resterait encore nombre d’oeuvres à présenter – on peut retenir deux choses : ou bien le monde ludique manque de profondeur ou l’exposition n’en tient pas assez compte. Car même si certaines oeuvres sont amusantes, le spectateur ressort du Casino en restant sur sa faim.

Au Casino-Forum d’art contemporain jusqu’au 5 septembre.


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