FRONTALIERS LÉSÉS: Jeu de bascule

La réforme des aides étudiantes présente des faiblesses. Mais Juncker s’est habilement servi des faiblesses de l’argumentation de ses détracteurs pour marquer des points.

Tour à tour gauchiste et chauvin, Jean-Claude Juncker, l’homme qui sait parler aux micros.

Un cadeau pour les uns, une insulte pour les autres. Voilà l’impression qui se dégage de la réforme combinée des allocations familiales (« Kannergeld ») et des aides étudiantes, passée dans le cadre des économies budgétaires. Avec un chèque de 6.000 euros par an, non remboursables, plus le remboursement de frais d’inscription et un prêt à taux favorable, les étudiant-e-s luxembourgeois-es devraient se situer parmi les mieux aidés au monde. Pourtant, plusieurs plaintes ont été déposées contre le Luxembourg, dans la mesure où cette réforme est considérée comme discriminatoire pour les enfants étudiant-e-s de frontalier-ère-s, qui n’auront pas droit à cette manne tout en perdant les allocations familiales à partir de 18 ans.

Entre la tripartite du printemps, où le gouvernement avait pris des décisions sans l’accord des partenaires sociaux, et celle d’automne, pour laquelle rien ne laisse présager un aboutissement consensuel, les syndicats ont choisi le sujet des aides étudiantes pour marquer le coup. Ce choix est généreux dans la mesure où le sujet concerne avant tout une frange souvent négligée du salariat luxembourgeois, mais il n’est pas particulièrement habile. Un sujet plus global comme la répartition injuste des augmentations d’impôts, ou plus national comme les mesures touchant à la politique familiale aurait sans doute été plus mobilisateur. Quant aux injustices envers les frontalier-ère-s, l’exclusion des chèques-service est bien plus criante et lourde de menaces.

Jean-Claude Juncker a donc eu beau jeu pour contrer, le lendemain de la manif syndicale du 16, le discours syndical. Faisant son gauchiste, il a rappelé que le « salaire étudiant » était une revendication de longue date des associations d’étudiants de gauche. La mesure gouvernementale représenterait un « changement de paradigme » allant dans ce sens, puisque les bourses seront versées directement aux étudiants sans considération de la situation financière de leurs parents. Cela aurait été en projet indépendamment des économies budgétaires, car le gouvernement entendait augmenter le nombre de diplômés universitaires pour satisfaire à la stratégie européenne de Lisbonne. Concernant la soi-disante exclusion des frontaliers, Juncker s’est contenté d’affirmer que les systèmes de bourses étaient basés sur le lieu de résidence dans tous les pays. Enfin, l’arrêt Meeusen de la Cour de justice européenne, pièce maîtresse des argumentations syndicales, aurait été mal interprété : il n’aurait concerné qu’une condition de résidence pour les étudiants non néerlandais qui aurait été rejetée parce que discriminatoire. « Je n’ai aucun doute que notre nouveau système est conforme au droit européen », a déclaré le premier ministre.

Et de rajouter : « Les frontaliers conservent tous les droits, et en ont parfois un peu plus que les Luxembourgeois. » Or, l’habileté de la présentation de sa version des choses par Jean-Claude Juncker ne peut occulter qu’il opère, au moins autant que les syndicats, sur un terrain glissant. Ainsi le prétendu « projet indépendant » de réforme des aides étudiantes est bizarrement absent du programme gouvernemental de 2009. Aussi bien face à l’opinion publique que face à la Cour européenne, il sera difficile de nier que les allocations familiales qui diminuent et les aides étudiantes qui augmentent représentent des vases communicants, aux dépens des frontalier-ère-s. Présenter alors le Luxembourg comme Européen modèle du simple fait que ses bourses sont exportables, frise le ridicule – puisque cela est motivé en premier lieu par l’insuffisance notoire des structures universitaires nationales. Et fustiger la Belgique pour son numerus clausus dans la filière de kinésithérapie et ses places de parking gratuites pour étudiants bruxellois apparaîtra comme un encouragement aux nationalistes et comme une ineptie à tous les autres.

Il faut souligner qu’à part quelques dérapages, Juncker a opéré avec finesse, en confessant par exemple qu’il avait un « problème émotionnel » par rapport au sentiment d’injustice causé par les mesures gouvernementales.

Cela change de sa prestation maladroite voire rustre d’avant les vacances d’été. Le camp syndical, dont le soutien populaire a peut-être été ébranlé par la manoeuvre « boursière », aura intérêt à se méfier d’un chef de gouvernement capable de retourner l’opinion publique quand il est au mieux de sa forme.


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