A l’occasion de la sortie du nouveau roman de Jhemp Hoscheit, « Mondelia », le woxx a rencontré l’auteur pour parler littérature, écriture et faire un état des lieux des auteurs luxembourgeois.
On a parfois du mal à le comprendre. Non que Jhemp Hoscheit ne sache pas s’exprimer clairement, mais de temps en temps sa voix fluctue et l’interlocuteur ne sait pas comment il doit prendre la phrase qu’il vient de sortir. Est-il en train de se fâcher ? Est-il ironique ? La polysémie semble appartenir aussi bien au littéraire qu’il est, qu’à sa littérature.
Et pourtant, en cette heure de midi eschoise où le gris des façades ternies par des décennies de pollution industrielle s’accorde parfaitement au ciel qui émet de fins crachats qui remontent le col des chemises pour mieux coller à la peau et aux os, sous ce ciel qui peut rester gris pour une éternité et qui n’a rien d’un quelconque glamour baudelairien, Jhemp Hoscheit a le coeur chaud. En effet, il revient juste de la Kulturfabrik où il a tenu deux séances de lecture pour écoliers. « Les enfants n’ont plus l’habitude qu’on leur raconte des histoires », explique-t-il, « C’est quelque chose qui s’est un peu perdu ». Cela joue d’une certaine manière à son avantage, vu que les petits ne connaissent pas ou peu la transmission orale d’une fiction, ce qui redouble leur intérêt. « Certains enseignants sont vraiment étonnés que leurs petits puissent se tenir tranquilles pendant des heures entières ».
Hoscheit semble avoir un faible pour les choses perdues ou celles qui sont en train de disparaître. Comme dans son dernier roman, « Mondelia » qui vient de paraître chez son éditeur Binsfeld. C’est certes un polar, mais c’est surtout un livre qui part d’un art qu’on croyait perdu : celui d’écouter les plantes. « J’ai débuté mes recherches avec la botanique », se rappelle-t-il. C’était il y a un peu plus de deux ans. Hoscheit se refuge alors dans les bibliothèques et se plonge dans des tomes consacrés à l’étude des vertus des plantes. Des livres sur « La vie secrète des plantes » retiennent alors toute son attention. « J’étais fasciné par le fait que les plantes puissent aussi avoir une vie, c’est-à-dire interagir avec nous ». Comme les anciens philosophes qui comptaient les plantes parmi les choses vivantes, l’auteur commence à croire à une âme qui habiterait dans chacun de nos compagnons verts. « Les plantes, c’est tout de même quelque chose de puissant. Sans elles, pas de photosynthèse, pas de vie ».
Un appareil retient aussi son attention : l’auxanomètre. Développé au début du vingtième siècle, cette curieuse construction permet de mesurer les réactions des plantes à certaines sensations. « C’est fou ce qu’on a pu faire comme expériences. Par exemple, des gens ont voulu démontrer que les plantes savaient reconnaître des personnes. Pour cela, une certaine personne a fait `mal‘ à une plante, tandis qu’elle a épargné sa voisine. Apparemment, dès que l’agresseur se tenait près de la plante, celle-ci commençait à se faner. Bon, on n’est pas obligé de le croire, bien sûr ». Lui a choisi de croire en cette vie intérieure de l’intelligence végétale, ne serait-ce que pour les besoins de la fiction qui était en train de se tramer dans sa tête.
Planta sapiens
Car la Mondelia – la plante qui tient le rôle principal dans son roman – est plus qu’une simple plante intelligente, une « planta sapiens », comme il l’appelle, c’est une plante détective. Devenue seule témoin d’un crime, un enlèvement en l’occurrence, elle est la seule capable à identifier les malfaiteurs. « Au début était cette plante et l’idée d’en faire quelque chose », raconte Hoscheit. Le reste s’est construit petit à petit dans son imagination. « Je n’avais pas l’intention d’en faire une histoire de crime. En quelque sorte, le crime s’est imposé à moi ». L’enlèvement d’une fille de banquier donc, qui a lieu devant la maison d’un vieux, type ermite, un peu spécial et taciturne. Le vieux Grimmel qui a bossé toute sa vie chez un horticulteur et a appris le langage des plantes – d’ailleurs, la Mondelia est un cadeau de son ancien employeur – tient pour seule compagnie les plantes qu’il élève avec amour et les ausculte à l’aide d’un auxanomètre de sa propre construction. Le père de la fille ne veut pas faire appel à la police de peur qu’il lui arrive quelque chose. Il dépose donc la rançon, mais au moment du l’échange – sur un parking glauque bien entendu – une deuxième voiture apparaît soudainement. Apparemment, même les premiers kidnappeurs n’avaient pas tout prévu?
« Quand je suis arrivé à ce moment, j’avais un gros problème », confesse Hoscheit, « Cette deuxième voiture, même moi je ne l’avais pas prévue. Elle est apparue comme ça, et je ne pouvais plus l’ignorer. J’étais arrivé à la page 200 et il a fallu que je repense mon intrigue, que j’introduise d’autres caractères, que je change aussi un peu le ton de mon récit ». Finalement, tout est arrivé à une « bonne » fin et le roman a trouvé sa place dans les rayons des librairies.
Alors, Jhemp Hoscheit, se serait-il lui aussi plié au zeitgeist de la littérature luxembourgeoise, qui, depuis peu, raffole de littérature criminalistique ? « Non », répond l’intéressé, « Comme je l’ai déjà dit, le crime s’est imposé à moi, je n’avais aucune idée au début que ce serait un roman d’enquête. D’ailleurs, ce n’est pas un `Eifel-Krimi‘ comme en font Marco Schanck et consorts. Ce n’est pas `Mord in Remerschen‘ ou je ne sais où. Je ne fais pas dans le coloris local, les lieux où se déroule l’action sont fictifs et pourraient se trouver n’importe où au Luxembourg. Moi, ce que je voulais faire, c’était m’éloigner encore un peu plus de l’autobiographie. Car si `Perl oder Pica‘, c’était définitivement moi, le suivant `Aacht Deeg an der Woch‘, qui parlait des années 68, s’éloignait déjà plus et `Mondelia n’a presque plus rien à voir avec ma personne ». Quoiqu’il admette s’être un tant soi peu identifié aux parents qui attendent leur enfant qui ne rentre pas le soir. Non que cela ne lui soit arrivé, mais Hoscheit partage cette inquiétude. « De toute façon, à partir d’un certain degré, il est impossible de ne pas s’identifier à ses personnages. C’est une des lois inhérentes à la création fictionnelle. C’est ce qui rend les personnages pluridimensionnels, ce qui leur enlève le côté superficiel, voire plat, que l’on trouve malheureusement chez quelques auteurs de nos contrées ».
Pourtant, il trouve que la scène littéraire grand-ducale a beaucoup évolué ces dernières années. « Il y a plus de productions et comme le prouve l’explosion des polars, une certaine évolution. Peut-être même qu’un début d’histoire littéraire est en train de se construire. De plus, il y a beaucoup de nouveaux auteurs qui remplacent petit à petit le vieux canon littéraire », estime-t-il.
Plus loin du moi
Toujours est-il qu’Hoscheit estime qu’il reste des choses à améliorer. Beaucoup de choses, même. Son problème principal, c’est la réception des livres produits par des Luxembourgeois. « Elle est encore loin de ce qu’elle pourrait ou devrait être », constate-t-il. C’est vrai que la sphère publique luxembourgeoise a toujours une double tendance envers « ses » auteurs : d’un côté, ils sont cajolés, de l’autre, on ne les prend pas vraiment au sérieux. Un peu comme si les Luxembourgeois avaient envie de protéger « leurs » auteurs de l’extérieur en les dénuant de la responsabilité de produire de la vraie et bonne littérature. Une étreinte somme toute étouffante, surtout pour un processus créatif qui, dans le cadre national restreint qu’est le nôtre, reste une petite plante sensible.
« Je déplore qu’il n’y ait pas de vraie critique littéraire dans la presse luxembourgeoise. Certes, il y a des exceptions dans quelques hebdomadaires, mais généralement, la presse se satisfait de présenter un livre, de dire quelque chose de bon et d’anodin et puis c’est tout ». Pour sa part, Hoscheit n’aurait aucun problème à être critiqué, même très négativement. A partir du moment où cette critique serait objective et non pas intéressée, car venant d’un camp adverse. Car voilà un autre endroit où, d’après lui, le bât blesse : les querelles entre éditeurs qui viennent d’enflammer les feuilletons cette année et surtout au courant de l’été. « Je trouve cela lamentable », déclare-t-il, « J’ai envie de dire à ces gens qu’ils devraient parler de nos livres, de nos contenus, de mener une vraie discussion sur la littérature, sa place dans notre imaginaire collectif, ses valeurs, sa nature. Mais quand je vois des pages entières remplies par les tenants des deux côtés, je trouve que cela n’arrive pas à la hauteur du travail qu’on fait. Lisez nos livres, bordel ! ». C’est une vraie carence pour lui, qui se traduit aussi au niveau commercial. « Quand j’entre dans une libraire au Luxembourg, je n’y vois que des best-sellers étrangers. Normalement, aucun livre luxembourgeois n’y figure. Cela m’attriste beaucoup. Car ce ne sont pas les plans d’un ministère de la culture de nous assurer une meilleure présence à l’étranger qui vont changer la donne. Je suis un auteur luxembourgeois et je veux vendre mes livres ici, je veux être lu ici ».
Fin de la séquence. En sortant de la pizzeria où a eu lieu cet entretien, on voit des têtes qui se tournent à son passage – on le reconnaît. C’est déjà ça, un petit début d’implantation.
Mondelia, paru aux éditions Binsfeld.