« Out-of-Sync – The Paradoxes of Time », la nouvelle exposition au Mudam se prend le temps de nous montrer que le temps en soi n’est peut-être pas si linéaire qu’on croyait.
De la machine à remonter le temps de H.G. Wells aux films d’action américains qui veulent retourner vers le futur, la dimension temporelle a toujours su faire exploser les imaginations artistiques. Mais ce n’est pas le temps comme on le perçoit au quotidien – implacable, impardonnable et toujours en manque – mais le temps étendu, soumis à l’imaginaire humain qui prime sur les considérations philosophiques et scientifiques du temps. Car depuis qu’Einstein a démontré que le temps était malléable et donc que son influence n’était pas une fatalité, qu’il a donc aussi ses limites, toutes les spéculations sont permises pour échapper à une temporalité linéaire qui rythme nos vies. D’ailleurs une conférence sur le thème « La Discordance des temps – Einstein et l’art contemporain » par Elie During aura lieu le 29 mars au Mudam.
« Out-of-Sync – The Paradoxes of Time » propose justement de briser cette perception linéaire du temps. Au lieu de lignes temporelles, elle traite le phénomène plutôt comme une boule de laine avec des bouts qui dépassent de partout. Comme l’explique le communiqué de presse, l’exposition « s’intéresse à des oeuvres dans lesquelles plusieurs temporalités se superposent, se contredisent, développant ainsi une relation paradoxale au temps ». C’est donc le temps éclaté que le Mudam propose de synthétiser à travers sa nouvelle exposition. Des temporalités paradoxales, immobiles et surtout ressenties différemment par rapport au cours « réel » du temps.
Mais d’abord, il faut trouver une façon de représenter le temps dans le cadre d’une pièce exposée dans un musée. Si l’apparition dans le courant des années 1970 de la vidéo comme moyen d’expression artistique a certainement été propice à des représentations d’une temporalité disjonctée, faire la même chose avec un tableau requiert un peu plus d’imagination. Comme celle dont fait preuve l’artiste argentin David Lamelas avec la photographie « Time ». Sur l’image, un groupe de personnes alignées, certains sur des skis, dans un paysage alpin. En examinant de plus près, on se rend compte que la personne à l’extrême gauche de l’attroupement regarde sa montre. Ce ne serait pas grand chose si on ignorait le contexte dans lequel cette photo a été prise : une performance organisée par l’artiste en 1970 dans les Alpes françaises. Lamelas a demandé aux participants de s’aligner et – à partir d’un certain moment précis choisi à l’avance – de se passer l’heure à la manière du téléphone arabe. Celui qui reçoit l’heure patiente 60 secondes pour la repasser à son voisin jusqu’à ce que le dernier participant donne l’heure finale, qui ne doit pas forcément correspondre à la réalité tant les secondes perdues en chemin et les différences entre les montres étendent le « vrai » temps. C’est donc une expérience collective de la réception subjective du temps, que chaque visiteur du Mudam pourra d’ailleurs revivre s’il le souhaite vu que la performance est répétée tous les dimanches vers 16 heures dans le « Jardin des sculptures » du musée.
Le temps éclaté et musical
Mais c’est surtout une discipline artistique plus que toutes les autres qui nous montre les limites de notre perception du temps et comment celles-ci se distendent : la musique. En effet, qui n’a pas l’impression de perdre la notion du temps en écoutant une pièce de musique ? C’est un des effets secondaires de l’écoute musicale dont on ne parle pas assez souvent. Car rares sont les gens qui écoutent la radio avec un chronomètre à la main? Une première pièce exposée permet d’approcher cette temporalité subjective instaurée par la présence de sons est silencieuse. « Melancholia » de Laurent Montaron montre en toute simplicité l’intérieur d’une boîte à effets qui date des années 1970 : la « Space Echo ». Destinée à produire des effets d’écho, donc de multiplier électroniquement chaque son qui passe par elle, la « Space Echo » est vite devenue un outil irremplaçable pour tous les producteurs de musique, tellement son effet appartient de nos jours au langage de base musical. Montaron montre l’intérieur du boîtier qui comporte une longue bande magnétique qui tourne en boucle, mettant ainsi en évidence la relation entre le temps « vrai » qui règne à l’intérieur du boîtier et le temps distendu qu’il produit lorsqu’un son le traverse.
Une autre approche musicale de la notion de temps passe par les ondes des radios. Ainsi, Anri Sala a transposé une expérience qu’il a lui-même vécue en performance artistique. En traversant le désert de l’Arizona en voiture, l’artiste albanais écoutait de la musique baroque. Une expérience qui fut toutefois interrompue à l’approche d’une aire de repos dédiée aux gros trucks. La présence de ces bolides a interféré l’émission écoutée par Sala et l’a remplacée par de la musique country, pour rechanger après. Dans sa vidéo « A Spurious Emission », Anri Sala répète cette expérience sonore avec des musiciens. A gauche un quatuor avec clavecin, violoncelle et violon, joue de la musique baroque, tandis qu’à droite, un groupe de country joue ses morceaux. Les deux formations alternent leur musique de façon à créer un petit chaos musical – avec la violoniste comme seule personne jouant avec les deux ensembles.
Intersections et interférences sont aussi au coeur de l’installation la plus dérangeante de l’exposition. « Present Continuous Past(s) » de Dan Graham est une oeuvre datant de 1974 et qui propose au visiteur une expérience unique : se retrouver au coeur du temps éclaté. D’abord, on est intrigué par l’apparence de l’installation, une pièce close avec des miroirs sur presque tous les côtés et un moniteur ainsi qu’une caméra. Ce qui se produit en entrant est un décalage temporel qui se montre sur le moniteur. Tandis que les miroirs rendent l’image en temps réel, le moniteur produit un décalage qui fait qu’à partir d’un certain moment, le visiteur se dédouble dans le moniteur et refait les gestes qu’il a fait en entrant dans la pièce. On a rarement vu une installation interactive aussi simple que géniale.
Mais le temps – ou sa représentation artistique – touche aussi le niveau politique comme le démontre l’installation de Laurent Montaron. « After » de 2007, est une projection d’un diapositif montrant un soldat en camouflage d’hiver accroupi au milieu d’un paysage enneigé de studio. Un ventilateur placé devant l’objectif du projecteur produit cependant un effet de clignotement et brise l’effet de stabilité implacable diffusé par l’image en soi. Ainsi, l’image d’Epinal d’un soldat en monture de combat est rendue aux temps présents qui courent et nous rappellent que la guerre est réelle et cruelle et ne correspond pas forcément aux images qu’on nous montre.
En tout, « Out-of-Sync – The Paradoxes of Time » est une exposition bien composée et pas du tout surchargée qui prend en compte une problématique qui – si elle nous concerne tous – n’est que trop rarement abordée. A voir et à méditer.
Encore jusqu’au 22 mai au Mudam.