QUESTIONS DE GENRE: Ces sexes qui compliquent tout

Quand on veut bien faire, mieux vaut bien le faire dès le premier coup. Ce n’est pas le cas du projet de loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels.

Malgré certaines réformes, ladiversité des genres ou descouples est une idée qui nes’impose que très lentement.

Que font des responsables politiques lorsqu’ils ne sont pas à même de trouver des réponses à des questions complexes ? Ils instituent un truc. Dans les sociétés du paléolithique, cela équivalait à une sorte de conseil des sages regroupant sorciers, chamanes ou vieux guerriers. Au Luxembourg, nous avons la Commission nationale d’éthique (CNE). Confiez-leur alors un dossier sur un sujet sensible comme l’homoparentalité et vous voilà confrontés à des théories qui étaient déjà fumeuses à un âge où ces sages ne l’étaient pas encore.

Lors de la présentation de leur avis notamment sur la question de l’homoparentalité, en novembre 2009 (voir notre édito « Inepties et naphtaline » dans le woxx 1033), ils n’avaient pas hésité à déclarer les choses suivantes : « le développement psychologique de l’enfant ne s’accomplit dans des conditions optimales que si l’enfant peut s’imprégner (…) de l’exercice complémentaire d’une fonction paternelle et maternelle (…) ». Lors de cette conférence de presse, avait été soulevée la question des critères de sélection des pédopsychiatres interrogés et mandatés par le CNE pour se prononcer sur l’homoparentalité. La réponse était aussi sincère que déroutante : aucun critère. Et même si les vénérables membres de l’honorable commission étaient conscients que cet avis n’était pas partagé par l’ensemble de la corporation, cela ne les a pas empêché d’embrasser cette position. Ils se sont malgré tout prononcés en faveur de l’adoption simple, en excluant toutefois l’adoption plénière et, histoire de s’enliser un peu plus dans la contradiction, ils ont admis que les couples de même sexe peuvent avoir les mêmes qualités éducatives que leur congénères hétérosexuels, mais que trop peu d’études scientifiques le confirmeraient.

« Une démarche qui nous paraît être ni démocratique ni scientifique » ont rappelé en ce début de semaine les associations Rosa Lëtzebuerg, Transgender Luxembourg et l’initiative « Och fir eis ! », lors d’une conférence de presse de présentation de leur avis au sujet du projet de loi réformant le mariage et l’adoption. D’autant plus que, contrairement à ce qu’affirme le CNE, les études et avis à ce sujet abondent.

Le problème, c’est que le gouvernement et son ministre de la justice, François Biltgen (CSV) ont préféré s’inspirer d’un avis minoritaire et peu compétent pour la rédaction de leur projet. Et l’on se retrouve dans une situation similaire à celle de la réforme de l’interruption volontaire de grossesse (voir page 3). C’est la méthode Biltgen : une réforme sociétale qui, tout en contenant des avancées, entérine les discriminations, consolide les clichés et gâche une occasion de progresser. Deux pas en avant et un pas en arrière mais le pied reste enlisé dans une grosse flaque boueuse.

On avance un peu, beaucoup, pas du tout ?

Cette ambiguïté est reflétée par François Diderrich, le président de Rosa Lëtzebuerg : « Le projet de loi va dans notre direction, mais certaines dispositions nous font trébucher ». Pour rappel : le texte entend bel et bien consacrer l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Néanmoins, les modalités de l’adoption (que le projet réforme également pour les couples hétérosexuels) se distinguent sur un point essentiel : l’adoption plénière restera un privilège de ces derniers, les couples gays devant se contenter de l’adoption simple. Rappelons que l’adoption plénière se distingue en ce qu’elle coupe juridiquement tout liens avec les parents d’origine.

Alors que la CNE en avait appelé à quelques pédopsychiatres pour statuer sur l’intérêt de l’enfant, l’Ombuds-Comité fir d’Rechter vum Kand (ORK), qui est l’institution officielle à laquelle cette mission est dévolue, s’est exprimé dans son avis d’une manière sibylline mais non moins claire : « Dans la mesure où les droits de l’enfant ne sont pas directement concernés, l’ORK n’entend pas aviser la principale disposition de ce projet qui consiste en l’ouverture du mariage aux couples de même sexe ». Une manière comme une autre de rappeler que l’épanouissement d’un enfant ne dépend pas de l’orientation sexuelle de ses parents. D’ailleurs, la présidente de l’ORK, Marie-Anne Rodesch, avait confié dans un entretien au Quotidien en novembre 2010, qu’elle, mère de quatre enfants, aurait très bien pu les confier à un couple homosexuel « les yeux fermés » alors qu’elle n’aurait pas osé le faire ne serait-ce qu’un quart d’heure à certains couples hétérosexuels. Et l’ORK d’affirmer que, « d’un point de vue légal », il n’est pas justifié d’exclure systématiquement du droit à l’adoption plénière les couples homosexuels et que « en ouvrant légalement la possibilité de l’adoption par un couple homosexuel, le législateur ne ferait que tenir compte des réalités sociales et mettrait un terme à une certaine hypocrisie qui n’est pas non plus dans l’intérêt des enfants ». Cette prise de position au nom d’une stricte égalité de la diversité des couples ne fait toutefois pas oublier que l’ORK a déjà mis en question le principe même de l’adoption plénière dans le contexte de la discussion au sujet de l’accouchement anonyme et rappelle que l’adoption simple devrait, en règle générale, constituer l’approche privilégiée. Une approche partagée par le Centre pour l’égalité de traitement (CET), qui s’en réfère à la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 ratifiée par le Luxembourg et qui stipule dans son article 7.1, que l’enfant a « dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et être élevé par eux ». Une question que Rosa Lëtzebuerg préfère ne pas aborder, car il dépasserait le cadre du principe des mêmes droits accordés aux différents couples.

Ces différences qui n’en sont pas

Le problème se corse toutefois dans l’éventualité d’une union d’un « troisième genre », c’est-à-dire lorsque l’un des deux partenaires change de sexe après s’être marié mais que les époux tiennent à maintenir cette union. Et c’est peut-être justement cette éventualité qui « explose » littéralement les argumentations contre le mariage gay que celles hostiles à l’homoparentalité. Voulant bien faire, afin de « protéger les personnes qui ont changé de sexe au cours de leur mariage », les auteurs du projet de loi argumentent que la possibilité d’ouvrir le mariage aux couples de même sexe permettra aux personnes qui se trouvent dans un tel cas de figure de maintenir les liens du mariage. Seul problème : le mariage changera de nature, passant d’une union hétéro- à une union homosexuelle. Les conséquences peuvent être « cocasses » : un homme qui aura procréé avec une femme dans le cadre d’une union « hétéronormale », puis change d’état civil, devient femme, ne pourra pas, dans l’éventualité où le couple désirait adopter un enfant, procéder à une adoption plénière, puisque la version actuelle du projet ne prévoit que l’adoption simple pour les couples de même sexe.

Mais d’autres batailles juridiques s’annoncent : notamment celle concernant la reconnaissance d’un mariage gay si l’un des partenaires est un ressortissant d’un pays qui ne reconnaît pas ce type d’union. La Convention de La Haye de 1978 relative à la célébration des mariages, dans son troisième article, stipule que les mariages peuvent être célébrés si une conditions parmi deux est respectée : ou bien l’un des deux époux répond aux « conditions de fond » de son Etat d’origine ou de résidence, ou bien les deux époux sont ressortissants d’Etats reconnaissant les mêmes conditions de fond. En clair, l’article permet le mariage, à l’heure actuelle, entre un-e Espagnol-e (pays qui reconnaît le mariage homosexuel) et un-e Français-e (pays où une telle union n’est pas reconnue). Or, les auteurs du projet de loi s’en réfèrent à l’article 171 du Code civil luxembourgeois, qui, comme ils l’affirment eux-mêmes, provient de la Convention de La Haye. Sauf qu’il semble qu’ils aient remplacé le « ou » par le « et », déformant ainsi l’esprit du texte. En effet, le projet de Biltgen n’accorderait le mariage homosexuel qu’aux couples dont les deux parties sont des ressortissants d’un pays qui le reconnaît. Mais comme le Conseil d’Etat n’a pas encore avisé le projet de loi, la possibilité d’une retouche juridique n’est pas à exclure. D’autant plus qu’il arrive parfois que le Conseil d’Etat se montre capable d’approfondir certaines réflexions.


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