PHOTOGRAPHIE: La petite maison de la photographie

Depuis la semaine dernière, le Luxembourg dispose enfin d’une vraie « Maison de la photographie ». Le collectif derrière l’initiative « ArtgentiK » a trouvé une niche fertile.

La « Maison AK* » – une vraie niche pour jeunes talents photographiques…

La rue Tony Dutreux – bienfaiteur de la ville de Luxembourg – peut être difficile à trouver. En tout cas, si on n’est pas natif de Bonnevoie, cette maison construite au début des années 50 est similaire à tant d’autres dans les environs de la vraie « Maison de la photographie » – ou « Maison AK* » comme l’ont baptisé ses inventeurs, pourrait vite passer inaperçue. Heureusement que le propriétaire et une des têtes pensantes derrière l’initiative, Christophe Olinger, a collé une affiche sur la façade, sinon « sa » maison ne sortirait pas du lot dans ce quartier résidentiel.

D’ailleurs, la boîte à lettres porte toujours le nom de famille Olinger. Les choses sont donc allées vite. Car, ce n’est pas comme si cette initiative était le premier coup de la bande d’« ArtgentiK ». Déjà, en été 2010, ils s’étaient faits entendre en fondant le premier forum pour jeunes photographes au Luxembourg (voir woxx 1067). A ce moment-là, ils avaient installé leur petite galerie au Limpertsberg, vis-à-vis du Lycée de garçons. Tout semblait donc aller pour le mieux dans le meilleur des mondes : une nouvelle exposition thématique toutes les six semaines, des archives de tirages à la vente libre et parfois même des « slide parties » – sorte de soirées où l’on montre des diaporamas, mais pas aussi ennuyeuses que celles où l’on revoit pour la énième fois les clichés des dernières vacances familiales.

Mais pourquoi donc quitter Limpertsberg, avec sa proximité au centre-ville, lycées et même campus universitaire, pour une maison perdue dans un quartier résidentiel où il ne se passe strictement rien ? Pour Christophe Olinger, les arguments sont au nombre de trois : « Premièrement, l’espace qu’on gagne avec la maison nous permet de réaliser plus de projets en même temps, comme des expositions et des cours de photographies. Le laboratoire photographique s’est aussi agrandi et puis le fait d’avoir une maison inspire peut-être plus de confiance ». Son deuxième argument est plus matérialiste, voire d’ordre pécuniaire, car la « Maison AK* » est – au contraire de leur ancien emplacement – gratuite. « Cette fois, il y a un mécène », jubile Christophe Olinger. Surtout quand on pense que le généreux donateur, c’est lui. « J’ai grandi et vécu longtemps dans cette maison », raconte-t-il, « Et plutôt que de la laisser vide, comme c’était le cas ces dernières années, on a décidé d’y aménager notre maison de la photographie ». Ainsi, la maison unifamiliale lambda se retrouve dans de nouveaux habits : murs repeints en blanc, chambre noire et salles d’exposition à l’appui.

Le troisième argument a à voir avec leur ancien emplacement au Limpertsberg. Même avec des heures d’ouverture plus généreuses, la proximité au centre-ville n’a pas forcément payé. « Les gens viennent nous voir parce qu’ils sont intéressés et généralement informés au préalable de notre travail ». Donc, pas besoin de payer un loyer exorbitant, quand on peut disposer gratuitement de beaucoup plus d’espace. Car les gens derrière l’asbl « ArtgentiK » ne disposent d’aucune subvention étatique pour le moment.

Même si le monde politique et le menu gratin culturel commence à s’intéresser à eux. « Pour l’inauguration, nous avons même eu Lydie Polfer », se rappelle-t-il. Et des contacts avec d’autres galeries privées sont en train de se nouer en vue de coopérations futures.

Cours, expos et plus si affinités

Mais que peut-on faire au juste dans la « Maison AK* » ? A part flâner dans les différentes pièces de la maison à la découverte des expositions en cours, on peut aussi se mettre à l’abri dans le « Book Corner » situé près de la cuisine et qui offre une large collection de livres et de portfolios de photographes. Si les expositions ne vous inspirent pas, un passage par le « Print Room » s’impose, un espace dédié à la vente de photographies. Des oeuvres exposées antérieurement, mais aussi des portfolios de photographes nationaux et internationaux sont consultables sur place. Pour celles et ceux qui préfèrent s’activer au lieu de regarder ou acheter, le « Dark Room » est l’endroit idéal. Dans cet espace, communément appelé « Chambre noire », tout amateur de photographie peut faire développer ses films ou le faire lui-même. Enfin, le garage de la maison servira surtout comme petit studio photographique et de salle de réunion. De plus, un espace « Work in Progress » a aussi été aménagé à l’étage : il est réservé à des projets en cours, où des photographes invitent d’autres artistes à participer.

Car la « Maison AK* » ne se résume pas seulement à une offre pour photographes avertis. L’asbl propose aussi des cours de photographies. De cours pour débutants à des workshops – qui s’apparentent plutôt à des masterclass – avec des professionnels du métier, comme Claudine Doury ou Jean-Christophe Béchet, tout y est.

Toujours est-il que la question de savoir pourquoi cela a pris tellement de temps pour que le Luxembourg dispose d’une « Maison de la photographie » reste sans réponse. Surtout dans le contexte d’une politique culturelle qui est fière d’imiter nos voisins en matière d’infrastructures culturelles, ce trou blanc laisse penser que le lobby des photographes luxembourgeois n’avait pas de voix assez forte pour se faire entendre. Difficile à croire, si l’on pense qu’un Edward Steichen est régulièrement encensé comme un héros national. Mais bon, le travail est fait et les voies sont libres pour de nouvelles impulsions photographiques au grand-duché.

Et la nouvelle exposition, la bien nommée « New Blood », démontre amplement qu’il y a toujours du nouveau à découvrir. Trois femmes, Lara Gasparotto, Léa Habourdin et Anne Michaux occupent en ce moment les espaces d’exposition de la « Maison AK* ». Au rez-de-chaussée, les grandes photographies de Léa Habourdin happent le regard du visiteur. Photographe reconnue – elle a notamment participé aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles – Léa Habourdin se concentre surtout sur le monde animal et les relations qu’il entretient avec la sphère humaine. On peut y voir des merveilleuses photographies de poissons ou de gorilles, mais ce n’est l’esthétique qui prime dans ses images. C’est la tension sous-jacente qui leur donne une autre dimension, comme la photo d’un aquarium où l’on peut toujours apercevoir les plaques d’explication du zoo où la photo a été prise. Toute la perversité de vouloir montrer la nature vivante comme on montre des pages d’une encyclopédie éclate dans cette image.

Dans un tout autre registre, la maquettiste Anne Michaux construit ses images et son univers elle-même. Titré « Un-/Veiled », sa partie de l’exposition est éminemment politique et même doublement dans l’actualité : d’abord par les femmes voilées qu’elle montre en contraste avec des images de femmes occidentales et puis, cette semaine tombait aussi la journée internationale de la femme. L’artiste propose ainsi de juxtaposer les images de la femme en Orient et en Occident et de méditer sur la validité des deux clichés. Mais les images les plus impressionnantes sont sans doute celles de Lara Gasparotto. Enfant prodige de la photographie belge – elle n’a que 21 ans et vient de Liège – Lara Gasparotto a développé un style qui lui est particulier. Ici, pas de jeux et pas de mise en scène. Les clichés semblent un peu pris au hasard de fêtes ou d’après-midi passés dans la nature ou dans des cadres plus urbains, en tout cas, elles recèlent cette atmosphère faussement naturelle que nous ne connaissions que des travaux de maîtres, comme Nan Goldin par exemple. Mais, là ou cette dernière se complaisait souvent à tirer le portrait de ses amis en pleine déchéance droguée ou pendant leurs maladies, les travaux de Gasparotto sont plutôt des célébrations de la vie, de ses chemins croisés et de ses instants magiques.

En tout cas, un passage à Bonnevoie s’impose au futur? du moins pour celles et ceux qui, d’une façon ou d’une autre, sont fascinés par l’art.

www.ArtgentiK.lu


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