Entre un café, un croissant et un pain au chocolat, la ministre de l’éducation nationale est revenue cette semaine sur les gros dossier de son mandat.
L’idée du ministère de l’éducation (MEN) d’organiser une fois par trimestre des « petits-déjeuners informels » avec la presse – au sein du temple de l’art contemporain, le Casino, qui se situe tout juste en face du ministère rue Aldringen, ce qui a l’avantage de procurer un cadre un peu plus décontracté que la bâtisse de style néostalinien – a ses avantages : café et croissants (bonjour le gavage pour celles et ceux qui ont participé une heure auparavant au « City breakfast » place Guillaume…) et ministre de bonne humeur et loquace. Désavantage : quand c’est trop sympa (n’exagérons rien tout de même), on aurait tendance à être trop d’accord. Et quand l’un ou l’autre commence à taper « gentiment » sur les syndicats, on se remémore que l’on se trouve au centre d’un combat politique et idéologique. Et la petite collation matinale redevient une conférence de presse toute banale.
L’homme fort du MEN, Michel Lanners, se veut pédagogue : L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) n’aurait pas « très bonne réputation » et il faudrait démonter des mythes. Si vous connaissez Pisa, vous ne connaissez pas forcément l’étude Talis (Teaching and learning international survey), son équivalent qui se concentre non pas sur la comparaison internationale des « performances » des élèves, mais des enseignants et des agents de direction des établissements scolaires. Comme l’OCDE le conseilla aux gouvernements, le MEN invita les syndicats de l’enseignement à participer à la deuxième édition de cette étude. Or ces derniers, après concertation, firent parvenir leur refus au ministère, à l’exception de la Féduse (CGFP).
L’incompréhension est grande auprès du ministère, qui, d’une certaine manière, a échoué dans sa mission pédagogique. Et d’en remettre une louche : en Allemagne, ce serait la situation inverse, les syndicats invitant le gouvernement à participer à l’étude alors que celui-ci le refuse. S’il n’a pas été prononcé, le message est néanmoins passé : les syndicats sont ou corporatistes ou des doctrinaires de gauche détectant des néolibéraux partout. Néanmoins, les raisons invoquées par les syndicats sont plus nuancées. Dans un article paru dans le dernier numéro du journal du SEW (OGBL), son président Patrick Arendt explique son refus de participer à l’étude, car, pour les syndicats, les conditions ne paraissaient pas réunies, en « connaissant les capacités de l’OCDE pour une mise en scène médiatique spectaculaire » de « rectifier les interprétations de Talis fournies par l’OCDE dans l’après-coup ». Et si leurs homologues allemands du GEW ont tenu à participer à l’étude, c’est parce qu’elle permettait, effet collatéral positif, de démontrer l’engagement du corps enseignant loin des clichés de « fainéantise ». Ce dernier a profité de ces informations pour revendiquer auprès des gouvernements des Länder ainsi que du gouvernement fédéral de meilleures conditions de travail et un refus de la logique utilitariste exclusivement tournée vers les besoins du marché de l’emploi propagée par l’OCDE. A noter aussi que les représentants de la TUAC (Trade Union Advisory Committee auprès de l’OCDE) envoyés par l’Internationale de l’éducation n’ont donné aucune recommandation aux syndicats nationaux quant à leur participation au projet Talis afin de leur laisser toute liberté de boycotter le projet.
Lutte idéologique
Le petit-déjeuner ministériel fut aussi l’occasion d’évoquer d’autres dossier plus « embêtants ». Il semble que l’ancienne professeure de latin qu’est la ministre Mady Delvaux, qui aurait pu se contenter d’enseigner les subtilités grammaticales d’une langue morte, ait une propension particulière pour les subtilités autrement plus explosives de la très vivante politique. Car comme le gouvernement auquel elle appartient s’est mis en tête de réformer la fonction publique, son domaine est également touché. La question qui se pose, c’est de savoir si elle a vraiment toutes les cartes en main, car elle dit devoir « attendre » ce qu’il adviendra de l’application de ces réformes aux enseignants. Comment traduire la proposition d’évaluation des fonctionnaires, concoctée par ses collègues du CSV en charge du dossier, les ministres François Biltgen et Octavie Modert, une mesure qui s’est d’ores et déjà pris une première rafale hostile de la part des syndicats ? Les enseignants sont certes des fonctionnaires, mais pas tout à fait comme les autres. Attente donc, et voir « ce que l’on pourra faire de spécifique pour les profs ».
A propos : « Les enseignants veulent-ils être traités différemment des autres fonctionnaires de la carrière supérieure ? », au sujet de la question de la réforme de l’examen-concours. Le débat fait rage, y compris entre les syndicats, de savoir s’il faut maintenir le principe de l’examen-concours ou bien le remplacer par un concours. La différence n’est pas anodine : dans le premier cas, le candidat ne doit pas se contenter de se classer parmi les postes à pourvoir, mais il doit également obtenir la moyenne exigée. Le désavantage, c’est qu’en période de pénurie d’enseignants, en tout cas dans un certain nombre de matières, il se peut, comme cela est le cas parfois, que le nombre de candidats recrutés soit inférieur aux postes vacants. A l’inverse, le concours simple permettrait de recruter plus facilement en nombre suffisant. D’aucuns poseraient la question de la question de l’enseignement qui en découlerait ; mais à l’heure actuelle, ces postes vacants sont de toute façon occupés par les « chargés de cours » qui ont échoué au processus de sélection.
Evaluation partout, mais aussi et surtout pour les élèves. Et c’est là le gros chantier, car le ministère, après avoir réformé le système d’évaluation de l’enseignement fondamental, doit désormais faire de même avec les classes inférieures de l’enseignement post-primaire. Une chose est sûre : la notation « babylonienne » hexadécimale risque de passer à la trappe. « Ce n’est pas mon avis, mais c’est celui des groupes de travail et je dois en tenir compte », confie la ministre pour qui il n’est pas nécessaire de changer un système auquel tant de monde s’est habitué. Mais quoi qu’il advienne, il y aura une notation. « Que ce soit sur 60, en pourcentage ou `A, B, C, D‘ », ajoute Delvaux.
Mais la partie la plus complexe ne réside pas dans le choix du style de notation. En effet, la notation devra être harmonisée avec la nouveauté de l’acquisition des compétences, puisque les bulletins seront plus détaillés qu’à l’avenir. Et cela pourra varier en fonction des branches. Les langues par exemple sont subdivisées en quatre « domaines », comme l’expression orale, l’écrit ou la compréhension de texte. La question sera de savoir comment pondérer les notations des différents domaines au sein d’une branche.
Finalement, Delvaux a dû revenir sur le « top topic », à savoir le pénible débat subséquent à la proposition de remplacer les trimestres par des semestres. Non, affirme-t-elle et ses conseillers avec, personne n’avait prévenu le ministère, comme l’a suggérée notre consoeur du « Land », qu’une telle proposition provoquerait une méchante levée de boucliers syndicale. Soit. Et si l’avant-projet a été retiré, l’idée quant à elle ne l’est pas. D’ailleurs, ce n’est pas autant le principe des semestres qui est mis en cause par les syndicats, qui y sont d’ailleurs peu ou prou, à une exception près – l’Apess – favorables, mais plutôt les éventuels changements au niveau des vacances scolaires. Mais il semble que tout reposait sur un malentendu : le ministère proposait notamment de ne plus fixer la rentrée scolaire au 15 septembre, mais plutôt au lundi de cette semaine afin d’entamer l’année scolaire avec une semaine pleine. Le date du 1er septembre par contre, n’aurait pas due être prise au pied de la lettre. Celle-ci ne fait qu’indiquer légalement le début de l’année scolaire, mais non pas l’ouverture officielle des cours. Si ce dossier a des chances de se voir réaliser, la ministre doit faire l’amer constat qu’entre-temps, les syndicats sont capables de se mobiliser quasi unanimement. Même sur un sujet mineur.