
Avant d’être perçu comme un artiste, Denis Robert était surtout connu pour être l’homme qui a gravement emmerdé la place financière luxembourgeoise et surtout la compagnie Clearstream avec ses « Révélations ». Mais ce n’est peut-être pas cela la vraie chronologie, car, pour Robert, son expression artistique et ses enquêtes gênantes sont deux faces inextricables du même individu Denis Robert.
Qu’on ne s’étonne pas dès lors de retrouver ce même Denis Robert au centre de son art. Ses toiles, sur lesquelles pullulent le plus souvent des collages, des bribes de courriels et des listings, portent toujours des traces d’écriture de l’artiste lui-même. Et dans ces écrits, le pronom « Je » prime au-dessus de tout. Certes, après une chasse à l’homme judiciaire sans merci qui dura plus d’une décennie, Denis Robert a définitivement le droit de se sentir poursuivi, le droit à la paranoïa. Mais, d’un autre côté, les tableaux exposés à la galerie Miltgen donnent à voir une personne tout sauf humble. Et une autre chose étonne dans les représentations au centre desquelles se trouve toujours l’artiste-enquêteur, voire dénonciateur : en dressant des schémas fantastico-réalistes de liens entre institutions financières bien réelles qu’il orne de ses écrits, il se fait une image de ce qu’il découvre ou veut découvrir. Est-ce bien conforme à la déontologie journalistique ? De n’enquêter que sur ce qu’on veut découvrir, sur ce qu’on veut voir ? Sans vouloir mésestimer la qualité de son travail de journaliste qui n’aurait certainement pas fait l’objet d’un tel acharnement de la part de la place financière si son enquête avait été dénuée de tout fondement, on peut se poser la question de la logique de sa démarche. Comme le suggère le titre d’une des séries exposées – « Brain » – c’est à l’intérieur de l’artiste que s’établissent les connexions de l’enquête, alors qu’en fait elles devraient être extériorisées.
Heureusement, ce ne sont pas toutes les oeuvres de Denis Robert qui fonctionnent sur ce mode. Certaines toiles montrent l’artiste d’une façon strictement personnelle, d’autres démontrent qu’il n’est pas dépourvu d’humour ou d’autodérision, comme celle qui porte les lignes : « Je ne dirai plus de mal de Clearstream ».
Ironiquement aussi, les oeuvres de Robert risquent également de se retrouver dans les collections des banques – vu les prix qu’un individu normal pourra difficilement se permettre de payer. Donc, en revenant sur les « lieux du crime » – comme le Luxembourg est désigné dans le communiqué de presse de l’exposition – c’est un peu comme si l’artiste Denis Robert vendait l’enquêteur à ceux qui le poursuivaient. En somme, l’exposition vaut le coup juste pour savourer cette ironie de l’histoire.
A la galerie Miltgen, jusqu’au 30 juillet.