EXPOSITION COLLECTIVE: Le château rebelle

Loin de la capitale et de ses galeries bling-bling se tient chaque année une manifestation à l’écart du business culturel : « L’Art-Rochette », qui donne une visibilité à des artistes qu’on ne voit que trop rarement ailleurs.

Derrière les coulisses de « L’Art-Rochette », le chaos règne. Mais c’est un chaos joyeux et créatif, non pas une pagaille où des membres d’une hiérarchie s’engueulent et harcèlent ceux qui se trouvent sous eux. Au volant de sa vieille Honda rouillée, Evi Krieps, la présidente de l’association qui organise ce grand raout annuel dans les murailles du château de Larochette, voit son téléphone sonner sans cesse. « Ce n’est pas si simple de satisfaire tout ce que demande la presse », soupire-t-elle, avant d’énumérer une bonne vingtaine de formats d’images numériques dans la jungle desquelles elle s’avoue un peu perdue. A part le travail de presse, elle est encore responsable de l’organisation qui demande aussi parfois, selon les désirs de l’artiste, une attention particulière. Comme les poulets d’Aïda Patrizia Schweitzer, la jeune artiste assise sur la banquette arrière. Oui, des poulets vivants, ni en plastique, ni congelés, qu’elle compte utiliser pour sa performance baptisée « Chicken Life. Not so easy », qui inaugurera en quelque sorte les festivités. Elle se retrouvera donc dans un enclos avec deux poulets totalement bio pour donner une performance qu’elle veut avant tout ironique. « C’est un peu mon point de vue sur la scène artistique et la vie d’artiste », explique Schweitzer, « Car honnêtement, la vie d’artiste au Luxembourg n’est pas si simple, surtout si on est en froid avec quelques grandes figures de la soi-disant `scène‘ ».

Elle sait de quoi elle parle, vu qu’en décembre 2010 elle devait en théorie occuper le kiosque MPK à la place de Bruxelles, le petit espace d’art qu’anime l’association internationale des critiques d’art (Aica). Mais, après que son projet fut élu à la majorité par le jury des pontifes de l’herméneutique de l’art contemporain, sa curatrice a tout de même fini par la lâcher, à cause de pressions exercées par un membre du jury, pourtant absent au moment du vote. A l’époque, seulement l’hebdomadaire satirique « Den Neie Feierkrop » avait raconté cet épisode abracadabrantesque, qui démontre une fois de plus que dans le business, il suffit de tirer les bonnes ficelles pour parvenir à ses fins. « On me reprochait d’ailleurs qu’avant de devenir artiste, j’étais coiffeuse », rigole Schweitzer, « Ce qui ne m’a pas empêché d’emporter un prix international et d’être curatée à l’étranger. C’est pourquoi je pense que je vais bientôt m’exiler en Belgique pour un certain temps ».

Mais Schweitzer ne semble pas être la seule à avoir une dent contre la haute bourgeoisie culturelle de la capitale. « C’est difficile d’attirer l’attention sur notre manifestation », admet Krieps, « Même avec un programme plein à craquer, on a toujours l’impression de ne pas être vus ou pris au sérieux ». D’un autre côté, il semble que cette sorte de dilettantisme jouissif soit aussi un côté assumé de la manifestation culturelle. « L’Art-Rochette » s’est tenu pour la première fois en 2006 avec pour objectif de donner une meilleure visibilité à des artistes qui ne l’étaient pas et aussi pour inhaler une autre vie aux ruines du château, qui attire certes les touristes, mais reste méconnu du public luxembourgeois, qui – comme l’auteur de ces lignes – l’a peut-être visité une fois, en tant que gosse, à l’occasion d’une excursion scolaire.

« Pourtant, on fait beaucoup pour attirer du monde, surtout les locaux », raconte Evi Krieps. « Cette année, j’ai même organisé une journée portugaise, le 24 septembre, avec notamment le Marc Demuth Trio et un ensemble portugais ». C’est vrai que pour la commune de Larochette, qui compte plus de Portugais que de Luxembourgeois, cela pourrait attirer du grand monde. Même s’il reste le fait que cantonner la culture lusophone à une journée revient aussi un peu à l’exclure des autres – un leurre vu la situation démographique. Mais bon, il faut bien commencer quelque part et vu que c’est une première, on ne sait pas encore ce que ça va donner.

Des poulets bio, vivants.

Le site du château de Larochette, lui, semble idéal pour une manifestation de ce genre. Les murailles qui cernent les bouts de gazon bien entretenu donnent un beau contraste aux sculptures qui peuplent les espaces vides, les vieilles et hautes bâtisses laissant beaucoup de place à l’imagination des artistes qui s’occupent eux-mêmes de l’accrochage des tableaux et autres sculptures. Une autre salle plus petite et à l’allure d’une crypte accueillera des projections.

Dans la première grande salle, les couleurs des grands tableaux du peintre Edgar Kohn semblent exploser sur le fond des murs centenaires. Kohn, qui n’est certes pas un inconnu dans la scène, montre ses dernières créations, notamment un très long tableau qu’il faut lire de haut en bas, un peu comme une tapisserie médiévale. Autobiographique, elle raconte le long périple de l’artiste pour obtenir une dérogation afin de consommer du cannabis médical. Du moins, le ministre de la santé, parfaitement reconnaissable, ne devrait pas trop apprécier cette représentation. Mais que veut-on ? L’art est libre?

« Pour moi. Il s’agit avant tout de donner une plateforme », explique Evi Krieps en parcourant les salles de l’exposition. « Cela implique aussi qu’on expose des tableaux qui ne me disent absolument rien, qui sont plutôt décoratifs », admet-elle. C’est certainement le prix à payer si on ne veut pas s’exposer au reproche de l’élitisme. Mais la belle brochette d’artistes venus de tout les coins du pays et même de l’étranger qui s’exercent dans presque toutes les disciplines artistiques devrait compenser l’un ou l’autre maillon faible. Ainsi, dans le seul domaine de la peinture, on peut voir, outre les oeuvres d’Edgar Kohn : Guy Braun, Simone Dietz, Roby Flick, Theo Geschwind, Laurence Gudendorf, Mane Hellenthal, Yvette Rischette, Lena van den Kerkhove, Seyma Soydan, Carlos Wembou et Désirée Wickler. Les sculptures viennent de : Denis Brassel, Denise Grégoire, Assy Jans, Kingsley Ogwara, Hans Pfeifer, Adriano Scenna, Rafael Springer et Martin Steinert. Tandis qu’une partie des bâtisses sera réservée aux photos d’Anna Krieps.

Mis à part l’exposition qui reste ouverte en semaine, aux heures d’ouverture du château, les animations du week-end seront un autre point fort de « L’Art-Rochette », qui propose non seulement une soirée portugaise, mais donne aussi la possibilité à quelques musiciens de se produire dans le cadre merveilleux du château de Larochette. Ce week-end par exemple, ce sera au tour des newcomers de « Superheroes in Ties » de prendre la scène, avant que la soirée ne se termine par un visionnage proposé par le collectif « Filmreakter ». L’après-midi, les visiteurs pourront d’ailleurs assister à une lecture scénique de l’actrice Vicky Krieps, la fille de la présidente, et à un concert de « Noah Classic ». Outre la musique et les performances, il y aura aussi des séances de « live painting », et, le dimanche suivant et dans les semaines à venir, une journée porte ouverte sera dédiée à l’attention du troisième âge.

En d’autres termes, « L’Art-Rochette » propose une alternative certes imparfaite, mais joyeuse contrastant avec les stériles halls culturels de la capitale. Autant par son contenu que par le lieu où se tient la manifestation.


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