WEEMSEESDET: Banal comme l’ordinaire

Mais pourquoi ? L’argent était là, les acteurs font bien leur boulot. Et pourtant, « Weemseesdet » ne fonctionne pas. Tout au plus est-elle le reflet de ce que les scénaristes croient brocarder.

Ah, si seulement l’on s’amusait autant derrière la caméra que devant !

A vrai dire, cela fait plusieurs années que nous nous demandions pourquoi le Luxembourg n’avait pas encore produit une sitcom : ce ne sont ni les moyens financiers ni les talents qui manquent. Et d’ailleurs – et il faut le souligner – il y a des talents dans « Weemseesdet ». Germain Wagner (Romain, le père de famille) n’a plus grand-chose à prouver. Quant aux jeunes, l’on peut même parler de révélations : la jeune Eugénie Anselin (Charlotte, la fille du couple Wampach) joue déjà « comme une grande ». Nous avions d’ailleurs déjà pu apprécier ses talents précoces sur les planches, il y a quelques années. Et si Luc Lamesch (Fränz, le fils) se montre parfois un peu trop timide, il dispose sans aucun doute d’un véritable potentiel. Quant à Max Thommes, qui campe le meilleur ami de Fränz, il assure avec une grande crédibilité le rôle du jeune rebelle perspicace.

Par contre, l’on pourrait parfois en venir à vouloir exécuter sur le champ et sans sommation Georgette Wampach (la femme de Rom, interprétée par Nicole Max) : ses frustrations de psychologue qui voit en son mari un « Läppchen » la mènent parfois à des accès d’hystérie … et nous poussent à nous demander pourquoi « Rom », qui aime bien de temps en temps s’envoyer un petit verre de whisky, n’en vide pas une bouteille entière dès le petit-déjeuner. Elle en fait trop et c’est irritant, même pour le spectateur.

Pourtant, Nicole Max, à l’instar de Germain Wagner, n’est pas une nouvelle venue et son talent n’est plus à discuter. Pourquoi ce surjeu ? Correspond-il à une injonction de la réalisation et si oui, pourquoi ? La réponse est peut-être très simple : les meilleurs acteurs ne peuvent pas sauver une pièce, un film ou une série dont le script et les dialogues mènent au naufrage de l’ensemble. Au mieux tentent-ils de colmater les brèches et d’organiser les secours d’urgence. Mais le vaisseau est lancé et le choc avec l’iceberg est presque inévitable (mais patience, nous n’avons vu que les cinq premiers épisodes).

« Les stéréotypes sont là pour être détournés », expliquait Marc Limpach, l’un des deux auteurs de la sitcom avec Claude Lahr, dans une interview accordée à l’Essentiel. Peut-être se sont-ils laissés piéger à leur propre jeu. Ce qui fait le succès d’une histoire, ce n’est pas la banalité de l’ordinaire, mais son originalité. Hélas, « Weemseesdet » est ordinairement banal. Et lorsque les réalisateurs tentent d’aborder certains sujets sociétaux tels que le racisme, les conflits intergénérationnels ou les problèmes de couples, les dialogues s’engluent dans des échanges sans substance.

Surtout, ne surtout rien dire d’intéressant

Au moindre surgissement du « borderline », les personnages se reprennent et redeviennent… chiants et moralisateurs. Comme dans cet épisode où Romain Wampach, prof de français et de philo, est accusé par un de ses élèves de l’avoir giflé. A tort évidemment, car Romain est une bonne pâte, ancien soixante-huitard (désillusionné, forcément, mais pas complètement). Et lorsque sa femme insinue que les origines de l’élève (il s’appelle Gonçalves) y sont pour quelque chose, Romain se braque, et lui rappelle qu’il ne faut pas être raciste. Et alors que l’on croyait ce pénible épisode clos, les scénaristes, afin d’expliquer au téléspectateur que le racisme, en plus d’être très mal, est aussi très universel, font dire à la femme de ménage portugaise qu’elle trouve les Luxembourgeois pas très honnêtes. Comme la série est diffusée sur RTL, Limpach et Lahr doivent se dire que leur public doit être forcément composé à 90 pour cent de gogols et de beaufs racistes auxquels il faut tout expliquer très len-te-ment.

Passons sur le grand-père (Fernand Fox), le « Minettsdapp » de Dudelange, ancien ouvrier à l’Arbed. Il n’aime pas les curés (il est du « Minett »), est certes sympa (il est du « Minett »), mais un peu dépassé par Facebook et n’hésite pas à rappeler à la marmaille gâtée pourrie que sa fille a engendrée, qu’à son époque, il fallait travailler dur (il est du « Minett »). Et de quand même leur refiler un billet de cinquante euros chacun, même si Fränz ne les mérite pas, parce qu’il passe son bac et qu’il ne fait pas ses devoirs et que Charlotte aurait dû s’habiller plus décemment pour se rendre au cimetière à la Toussaint… mais que c’est quand même pas si grave car la famille n’est pas catho et le « Bopa », de toute façon, il aime pas les curés (oui, il est du « Minett », faut pas oublier) et, et, et… et tout ça dure cinq minutes ! Ah oui, nous allions oublier : le « Bopa » et la « Boma » sont issus de l’immigration italienne (ils sont du « Minett »), mais de toute façon tout le monde s’en fout, à commencer par Georgette (elle n’est plus du « Minett », elle est psy).

Passons également sur la très audacieuse scène de début du premier épisode où les scénaristes se moquent du snobisme de nouvelle riche de dame Wampach : ils confrontent les tableaux d’art abstrait peints par ses soins, au « bons sens » de l’employée portugaise qui n’y comprend évidemment rien et qui explique qu’elle aurait préféré y voir des coqs de toutes les couleurs (elle est portugaise : les coqs, le Portugal, vous saisissez ?). Et comme pour se racheter de tant d’audace, ils lui font lire dans le prochain épisode le « Jeudi » (oui ! vous vous souvenez, le journal qu’est pas pour les Portugais ! Haha !) au grand étonnement de Romain Wampach, à qui les scénaristes apprennent que si sa bonne était inculte et portugaise dans l’épisode précédent au point de vouloir peindre des coqs partout, elle lit quand même des journaux et elle apprécie par-dessus tout les chroniques de Frisoni ! Parce que oui, quand même : le peuple, s’il ne comprend rien à l’art abstrait et qu’il a du bon sens, il peut parfois étonner et lire des trucs. Pas jusqu’à comprendre tout ce que le couple Wampach se dit, faut pas pousser (« Oh, je ne comprends pas ce que vous dites », dixit Maria – oui, elle s’appelle Maria). Nos scénaristes ont lu Bourdieu et savent (contrairement aux gogols qui regardent RTL) que le capital culturel, ça se transmet, que les pauvres sont pas cons parce qu’ils sont cons, mais parce qu’ils sont pauvres, mais qu’ils peuvent néanmoins se hisser au-dessus de leur condition (en lisant le Jeudi, par exemple), mais pas trop quand même, puisqu’à la base, ils sont pauvres. Attention donc : les stéréotypes, c’est bien beau, mais c’est plus compliqué que ça dans la vraie vie ! Ouf !

A partir d’un certain moment, on se demande vraiment quel est l’intérêt de regarder cette série à part qu’elle est « la-première-sitcom-lu-xembourgeoise-qui-raconte-l’histoire-d’une-famille-stéréotypée-mais-sans-rentrer-dans-les-clichés-et-même-s’il-y-en-a-c’est-pour-mieux-les-détourner-même-si-finalement-on-n’y-arrive-pas-vraiment ». Et en plus, à défaut d’être drôles, les scènes ont tendance à tourner en rond à en devenir insignifiantes. A quoi bon filmer la vie d’une famille dont le quotidien est encore plus ennuyeux que le nôtre ?

Plus chiante la vie

Exemple : dans un épisode, les Wampach invitent leurs voisins, beaux comme des camions, Jang et Francine (Mickey Hardt et Désirée Nosbusch). L’apéro se passe sur le canapé. Bien. L’on y déguste quelques canapés (y aura un jeu de mot à un moment donné, n’ayez crainte) et on y boit quelques coupes de crémant. Bien. Les gosses se joignent aux adultes. Ils peuvent même boire une coupe. Bien. Jang, qui est un self-made-man arrogant et sûr de lui (mais sympa quand même) fait remarquer à Romain sur le ton de la plaisanterie qu’il est prof, donc fonctionnaire. Et qu’il a beaucoup de vacances. Bien. Pendant ce temps, la Georgette pique sa crise car elle est frustrée et la vue de ce couple le lui rappelle. Bien. Alors, elle fait quelques remarques « acerbes ». Mais Jang croit que c’est des blagues, alors il continue à rigoler car il est toujours de bonne humeur, tellement qu’il est beau, tellement que sa femme est belle et tellement qu’il a de l’argent. Entre-temps, ils continuent à discuter. Romain fait une ou deux citations (il adore ça, il est prof… et ça permet aux scénaristes de rappeler à leur pénible public qu’ils ont une culture générale et livresque et qu’en principe, ils font des documentaires et du théâââtre). Jang trouve ça rigolo et lui tape sur l’épaule « Ah ! Mon vieux gauchiste ! » (oui, « Weemseesdet » est aussi une oeuvre politique).

Bref, un dîner chez des amis comme si on y était ! Sauf que, comme on n’y était pas, et que ce ne sont pas nos amis mais des acteurs qu’on regarde dire des choses dont on n’ose croire qu’elles ont été écrites auparavant.

Par contre, si vous avez envie de rire un peu, n’hésitez pas à taper « Comme un lundi » sur youtube. Vous y verrez les trois premiers épisodes d’un petit ovni, une mini-série calquée sur le thème de « Un gars, une fille » et dont les saynètes racontent l’histoire de quelques frontaliers belges travaillant au Luxembourg. Ce n’est pas un chef-d’oeuvre, mais cela ne manque pas de rythme, les acteurs sont bons et l’autodérision est au rendez-vous. Bref, c’est rigolo, on y retrouve tous les clichés possibles et on les détourne vraiment. De là à prétendre que les frontaliers font toujours tout mieux que les Luxembourgeois, il n’y a qu’un pas à franchir qui serait de mauvais goût. Mais peut-être qu’un épisode de « Weemseesdet » nous l’exposera pendant une demi-heure.


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