EXPOSITION COLLECTIVE: Difficile à traduire

« Found in Translation, Chapter L » – la nouvelle exposition du Casino-Forum d’art contemporain déçoit par son manque de cohérence et la pauvreté de certaines pièces.

Jani Ruscica
Beatbox, 2007
film still

Une fois n’est pas coutume, le Casino a failli à sa tradition d’assommer le visiteur dès qu’il pénètre dans le hall. Au lieu d’y installer des écrans vidéos énormes ou des cibles à fléchettes, cette fois il faut faire diablement gaffe de ne pas marcher dans une oeuvre d’art étalée à même le sol : « Unpacked Painting » de Liudivikas Buklys. On y voit une croûte anonyme qui pourrait provenir du 18e siècle, avec un homme dessus, mais toujours dans sa boîte en carton. Comme si ce portrait, tout à fait anodin, aurait retrouvé une place dans un musée d’art contemporain par le biais d’une petite installation. Certes, le geste est beau, mais on voit mal sa pertinence et comment il se raccorde aux autres oeuvres exposées dans « Found in Translation, Chapter L ». Serait-ce parce qu’il s’agit de la troisième mouture d’une exposition qui s’est déjà tenue deux fois à Bruxelles, sous la tutelle du même commissaire d’exposition, Emmanuel Lambion, qui travaille pour Bn-Projects ? Cela se peut, même si ce dernier assure dans sa préface au prospectus de l’exposition que le : « Chapter L luxembourgeois est (?) assurément la plus importante et diversifiée à ce jour, tant par le nombre d’artistes invités (trente) que par le caractère spécifique de l’institution qui l’accueille ». Il se peut que ce soit ce surpoids, ce surdosage si typique de la vie culturelle locale, qui rend « Found in Translation, Chapter L » un peu indigeste.

Car, si le but de l’exposition est de rendre visible comment « par le simple basculement d’une perspective ou d’un contexte donné vers un autre (?) s’opère un phénomène implicite et subtil de remise à plat, de questionnement, de normes, de codes, de langages et de pratiques consacrés », il est un peu généraliste.

Ou autrement dit : c’est cela le but de l’art depuis le berceau de l’humanité. Les oeuvres d’art qui ont trouvé leur place dans la grande Histoire ont toutes été des pièces, tableaux, sculptures et installations qui dérangeaient, qui questionnaient et qui par cela ouvraient des portes à la perception humaine, qu’elle soit esthétique, politique ou sociologique. C’est donc de cette « translation », de cette traduction d’un geste à la fois critique, créateur et novateur dans un langage artistique que traite « Found in Translation, Chapter L ». Autant dire que le risque de nombrilisme artistique est assez élevé.

Comme les installations de Sophie Haesarts, qui sont éparpillées un peu partout dans le Casino. Ce sont des objets quotidiens, à peine détournés et dont les titres – le plus souvent des noms et un petit topo, genre « Grace Has One Leg To Stand Upon » – donnent l’apparence de transfigurations d’objets en personnes. Une idée touchante certes, mais pourtant, ce n’est ni vraiment révolutionnaire, ni vraiment gratifiant à voir. Une autre perspective aussi simpliste d’apparence, mais plus intéressante, est celle opérée par Simon Starlin et Edith Dekynth, que l’on peut trouver dans la salle gauche du rez-de-chaussée. Edith Dekynth nous propose de voir quelque chose dans une nouvelle perspective que la plupart des bobos connaissent déjà : la petite lumière fluctuante, le petit témoin d’un ordinateur portable Apple qui s’allume et s’éteint tout le temps. En projetant cette lumière sur le mur, elle ne fait pas seulement personnaliser cet atout du tout créatif, car cela ressemble à la fréquence d’un pouls, mais elle donne aussi un « statement » ironique sur la société qui l’utilise. Le travail de Simon Starling se situe dans la même voie ironique. « D1-Z1 » est un projecteur vieux modèle qui projette des images de l’intérieur d’une machinerie qui pourrait se trouver dans son boîtier. Donc, nous voyons une machine introspective qui se filme elle-même. Le concept de Starling s’appuie sur toute une tradition de questionnements artistiques et philosophiques qui traitent de l’intelligence possible des choses inanimées.

Des chauves-souris aux beat-boxeurs

Mais les choses vraiment intéressantes attendent le visiteur quand il pénètre la dernière salle du côté droit. Ce sont les vidéos de Jani Ruscica : « Batbox » et « Beatbox, Alternate Take ». Tandis que le premier s’intéresse à un bio-acousticien anglais qui a développé une « Batbox » pour rendre audibles, et donc de traduire, les sons émis par les chauves-souris dans les grottes du Dorset, le second se concentre sur le lyrisme de D’Janau Morales aka Vocab, une jeune artiste new-yorkaise évoluant dans le milieu des beatboxeurs. Pas de rapport, dites-vous ? Et pourtant, il y a des parallèles entre ces deux milieux, car les chauves-souris, tout comme les slammeurs et les beat-boxeurs urbains, explorent leur terrain par des bruits et des gestes et évoluent d’une même façon dans leurs environnements respectifs. C’est d’une beauté insolite et fascinante que les parallèles entre les deux vidéos éclosent après avoir vu les deux films. En d’autres mots : une oeuvre d’art contemporaine qui permet de ressentir quelque chose comme de l’esthétisme et qui fait penser en même temps, c’est assez rare et donc à voir absolument.

De toute façon, une chose est apparente : la qualité des travaux vidéo dans « Found in Translation, Chapter L » est d’une très haute qualité. Comme celle de Saskia Holmkvist, « Blind Understanding », qui se trouve au premier étage. Ici aussi, les apparences sont trompeuses : le spectateur se trouve embarqué dans un canot sur une rivière paisible dans une atmosphère bucolique de soleil couchant. En même temps, il est bercé par la voix monotone de l’artiste, qui développe au cours de ce petit voyage un fil narratif des plus intéressants. Elle commence par décrire comment au début du 19e siècle, certains chants d’oiseaux se modifiaient déjà dans les régions urbaines et commençaient assez étrangement à ressembler à des chansons ouvrières pour finir sur une réflexion sociopolitique très intéressante. Ce n’est pas seulement le contenu qui frappe dans « Blind Understanding », mais aussi la forme, puisque Holmkvist n’abuse pas de la technique vidéo pour agacer le spectateur, comme c’est trop souvent le cas. Elle n’a pas peur d’entretenir le spectateur, c’est cela qui rend son travail remarquable, cette volonté de communiquer de sortir de cette manie de l’art contemporain de rester cryptique et hermétique.

Car de ces cas aussi on en trouve dans « Found in Translation, Chapter L », comme « Twelve Birds, Five Horses and a Small Fire », de Freek Wambaq. Les éléments évoqués dans le titre se trouvent symbolisés sur une table sous forme de noix de coco vidées, de gants en caoutchouc et d’un sac en plastique. Transposition magique ? Un sens plus profond ? Même le prospectus se cache dans un blabla postmoderniste quand il évoque cette oeuvre. Et pour cause, le seul lien causal entre les objets et le titre est le bruitage : on peut utiliser les noix de coco pour les chevaux, les gants pour les oiseaux et le plastique pour le feu. Mais bon, ce n’est pas gagné.

Donc, en général, on retiendra que « Found in Translation, Chapter L » comporte certes quelques pièces admirables (dont certaines n’ont pas été évoquées ici), mais ne peut pas vraiment percer par un manque de cohérence que peut-être les experts et les commissaires comprendront et apprécieront mais où le visiteur lambda se sent vite dépassé, voire désintéressé.


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