CINÉMA: Le cas Ketel

Le film « Dr. Ketel » – en fait un travail de fin d’année – sera présenté au festival Max Ophüls qui se déroule en ce moment à Sarrebruck. Le woxx s’est entretenu avec Nikos Welter, le caméraman luxembourgeois.

«Dr. Ketel» – un film qui met les doigts sur une plaie qui n’existe pas encore…

Chaque année, le prestigieux festival Max Ophüls de Sarrebruck récompense les meilleurs films produits par des jeunes réalisateurs allemands, autrichiens ou suisses. Autant dire qu’on attendra encore un bail avant de voir un film luxembourgeois figurer au palmarès. Cela n’empêche pourtant pas des jeunes Luxembourgeois de participer à des films en lice pour le festival. C’est le cas de Nikos Welter qui vient de terminer ses études de caméraman à la Film-
hochschule de Berlin.

En tant que tel, il a participé au film de fin d’études de ses compagnons Linus et Anna de Paoli, réalisateur et auteure du scénario de « Dr. Ketel ». Et pour un film d’étudiant, réalisé avec un minimum de budget, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il en jette, le « Dr. Ketel ». Rien que par son casting intéressant, le film devrait retenir l’attention de plus d’un amoureux du cinéma. Il est porté par deux acteurs principaux qui s’affrontent au cours de l’histoire. D’un côté Ketel Weber, dans le rôle du « Dr. Ketel », qui est un vrai diamant à l’état brut, dû à son jeu intensif et son visage qui se grave dans le cortex du spectateur dès les premières scènes et de l’autre, son contrepoids, l’actrice américaine Amanda Plummer. Le nom ne vous dit rien ? Alors souvenez-vous de « Pulp Fiction » de Quentin Tarantino où, dans une des premières scènes, un couple de brigands névrosés et psychopathes essaie de braquer un restaurant de fast food. La femme – appelée Honey Bunny dans le film – qui se met à engueuler tout le monde debout sur une table en brandissant son flingue, c’est elle.

« Pour Ketel Weber, c’était très simple. Il avait fait le figurant pour un autre film de Linus de Paoli avant, il s’agissait d’un court-métrage », raconte Nikos Welter, « Il avait même annulé sa fête d’anniversaire pour venir. Mais finalement, il a été coupé au montage. Ce qui a amené Linus et Anna à lui donner le rôle principal dans leur premier long-métrage. D’autant plus que c’est un acteur excellent, mais qui a commencé sa carrière sur le tard ». Et il se pourrait bien que cette carrière démarre aussi un peu grâce à ce film, dans lequel il déploie tout son talent. En ce qui concerne Amanda Plummer, les choses ont été un peu différentes. « Elle faisait partie d’un jury auquel Linus de Paoli avait soumis un de ses courts-métrages. Malheureusement, il n’avait raflé aucun prix, mais il avait réussi à retenir l’attention d’Amanda Plummer. Elle est entrée en contact avec Linus de Paoli et, de fil en aiguille, la coopération autour de `Dr. Ketel‘ a pris forme. Il faut cependant ajouter qu’à l’instar de tous les autres acteurs et collaborateurs du film, elle n’a pas été payée. De toute façon, de tels gages auraient fait exploser le budget ».

Ce qui fait de « Dr. Ketel » un film low-budget à l’européenne avec un petit flair d’Hollywood, un mélange assez rare en somme. Car le film reflète une hantise bien européenne : l’histoire, située dans un futur assez proche mais pas défini, se joue à Berlin, dans le quartier plutôt mal famé de Neukölln. La dernière réforme du système de santé a contribué à l’implosion totale de ce dernier. Ce qui fait que les gens pauvres, comme ceux des classes moyennes, ne peuvent plus se payer leurs rendez-vous chez le médecin. Les médicaments sont devenus hors de prix et des forces de sécurité privées et armées jusqu’aux dents montent la garde devant les pharmacies, qui malgré cela, sont braquées et volées à intervalles très réguliers. Ketel fait partie de ces braqueurs.

Le docteur Céline à Berlin.

Mais contrairement à son compagnon Pit, il ne risque pas sa liberté pour s’enrichir personnellement. Quand Ketel vole des médicaments, c’est pour pouvoir soigner « ses » patients. Ainsi, il opère les gens chez eux, fait des césariennes dans des cuisines de restaurant et cautérise les plaies des clochards en pleine rue. Une sorte de mère Theresa des temps post-modernes en somme, ne serait-ce que Ketel – tout comme mère Teresa – a aussi son côté obscur. Car, même si tout le monde l’appelle docteur, cela ne fait pas de lui un médecin confirmé. Et, comme le film va le dévoiler petit à petit, il n’a jamais été docteur de quoi que ce soit, mais seulement un infirmier qui, par dégoût du système, a quitté son hôpital et son boulot pour se forger une nouvelle vie dans l’underground illégal. Toutefois, il a encore gardé un contact avec son ancien mentor, le Dr. Wissmann – interprêté par Lou Castel, que les cinéphiles connaîtront de certaines productions de Fassbinder – qui l’aide de temps en temps avec des cas difficiles, comme des opérations qu’il ne peut exécuter faute de matériel.

Mais c’est aussi à travers le Dr. Wissmann qu’il se trahit. Car les services de sécurité traquent depuis longtemps le docteur fantôme qui soigne sans demander une contrepartie. Et c’est grâce à une collègue américaine – jouée par Amanda Plummer – qu’ils vont pouvoir le coincer de plus près. Sauf que, lors de la rencontre des deux personnages principaux, quelque chose d’inattendu se produit?

On l’aura compris, « Dr. Ketel » est une fable socio-critique qui dépeint un monde dystopique, mais pas impossible. « En fait, nous sommes à deux pas d’un tel cas de figure. Si les économies européenne et mondiale continuent à dégringoler comme elles le font en ce moment, on aura bientôt besoin non pas d’un mais de beaucoup de `Dr. Ketel‘ », explique Nikos Welter. Et en effet, rarement un film qui se déroule dans le futur n’aura fait autant froid dans le dos. Le « Dr. Ketel », qui n’est pas uniquement un saint homme, évoque aussi Céline, ce grand auteur français, poursuivi et haï par tout le monde à juste titre pour sa collaboration et ses pamphlets antisémites, mais aussi et jusqu’à la fin de ses jours un médecin de la banlieue parisienne qui exerçait gratuitement si ses patients ne pouvaient le payer. On assiste au déchirement intérieur d’un homme qui a fait des choix qu’il ne peut que difficilement assumer sans s’autodétruire. Car Ketel souffre, de sa vie dans les sous-sols, de son manque chronique d’argent, de sa solitude et surtout de la société qui a produit toute cette triste réalité.

Une réalité qui, pour la rendre encore plus pesante et morne, est montrée uniquement en noir et blanc, avec un jeu de contrastes éblouissant qui donne une vraie profondeur à cette histoire pas banale du tout. « C’était assez nouveau pour moi de travailler aussi intensément dans le noir et blanc », confie Nikos Welter, « Mais c’était très intéressant. Quand tu tournes en noir et blanc, tu utilises d’autres ressources et tu dois faire attention à d’autres facteurs que si tu réalises un film en couleurs. Surtout, le jeu des contrastes offre des libertés que tu ne connais pas autrement. Par contre, d’un point de vue de la perspective et de la profondeur de l’espace filmé, c’est plus difficile et plus important qu’en couleur ».

Ce weekend est donc le grand rendez-vous pour le « Dr. Ketel » avec son public potentiel. « Les chances ne sont pas minces, vu qu’il a déjà obtenu le prix du jury au festival d’Oldenburg », raconte Welter, « On verra ce que ça donne. De toute façon, ce n’est pas le seul festival où le film sera montré, il y en a encore qui suivent tout au long de l’année. Et ce n’est qu’après qu’on pourra envisager une sortie dans les salles, car beaucoup de festivals n’admettent pas des films déjà passés par les cinémas grand-public ». En d’autres mots, on attendra encore un bail avant de voir « Dr. Ketel » débarquer dans nos salles. Espérons du moins que ce soit avant que la réalité ne dépasse la dystopie.


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