LES ÉLÈVES ET LA RÉFORME: Le troisième élément

Une fois n’est pas coutume, le woxx s’est entretenu avec des élèves engagés dans le débat de la réforme scolaire. Dans un climat extrêmement tendu entre le ministère et les syndicats d’enseignants et des invectives qui frisent le ras des pâquerettes, les analyses des « jeunes » témoignent d’une étonnante maturité.

L’irruption des élèves dans la question scolaire a une longue tradition au Luxembourg. Ici, lors de la grande grève des élèves en décembre 1996, avec, au centre, le regretté Sascha Wagener, figure de proue de la contestation.

On aura tout dit ou presque à propos des élèves : qu’ils sont conformistes, paresseux, matérialistes, incultes, apathiques et nous en passons. Et alors que le débat – pardon, la bataille – autour de la réforme scolaire fait rage et voit s’opposer ministère et syndicats d’enseignants de manière de plus en plus brutale, les principaux concernés, les élèves, viennent de rejoindre la mêlée.

Au mois de novembre dernier déjà, ils étaient environ 300 à s’être rassemblés devant leur ministère de tutelle pour y faire part de leur ras-le-bol scolaire. Faute de revendication et de slogan unitaire, il était néanmoins difficile de se forger une idée précise de leur démarche. Lapalisse en conviendrait : « les élèves » ne sont pas une catégorie sociale, mais une masse hétérogène qui traverse toutes les couches et origines de la société. Mais face à cette nouvelle levée de boucliers, le ministère a fait ce qu’il aurait dû faire en amont de sa grande entreprise réformatrice : engager le dialogue ou, du moins, la discussion.

Et celle-ci se poursuit : le Parlement des jeunes, la Conférence générale de la jeunesse (CGJL), l’Union nationale des étudiant-e-s du Luxembourg (UNEL) ainsi que la Conférence nationale des élèves (CNEL) ont formé le « Comité d’action Réforme 2011 » en vue d’aider les élèves à se forger une opinion au sujet des réformes en cours et, le cas échéant, de formuler des propositions. Une première initiative a été lancée avec la mise en ligne d’un questionnaire que tous les élèves pourront remplir. Afin de donner une assise encore plus représentative à la consultation, ce questionnaire sera également distribué à cinq pour cent des élèves à travers le pays.

Bottom up

Dernière étape en date : la tenue, vendredi dernier, d’un forum au Geesseknäppchen où les participant-e-s ont été distribué-e-s dans quatre ateliers différents (cycle inférieur classique et technique, cycle supérieur classique, cycle supérieur technique et réforme scolaire en général). Dans chacun de ces ateliers, deux « experts » – un représentant du ministère contre un représentant syndical, Apess ou SEW – ont pu confronter leurs points de vue. Prochainement, un rapport de ces travaux devrait être publié. Combiné aux résultats de l’enquête qui devraient être rendus publics au printemps (elle se terminera le 23 mars), cela pourrait donner un aperçu intéressant de l’état d’esprit des élèves et de leur positionnement par rapport aux réformes. Et, qui sait, peser dans le débat. Pour autant qu’un certain nombre de lignes claires se dégagent de cette consultation.

« Les élèves n’ont pas d’opinion univoque », analyse Gary Diderich de « 4Motion », qui a fait figure de « modérateur » de l’un des quatre ateliers. « Ils semblent toutefois estimer qu’une réforme soit nécessaire bien qu’ils en critiquent certains aspects », poursuit-il. Une des pierres d’achoppement fut toutefois la question du redoublement. « Ce qui me gêne particulièrement de la part de certains enseignants, c’est qu’ils ont du mal à sortir de la logique de la carotte et du bâton, qu’ils estiment que seules les sanctions peuvent contribuer à motiver les élèves ». Un constat partagé par Patrick Weymerskirch, élève en deuxième à l’Athénée qui est en charge du rapport de l’atelier des questions de réforme en général : « Ce n’est pas vrai que les élèves chercheraient par principe le chemin de la facilité. Moi-même, je me suis inscrit dans une classe optionnelle d’espagnol, comme une trentaine d’autres de mes camarades. Pourtant, nous aurions pu choisir d’autres options bien moins ardues ». Il ne comprend d’ailleurs pas au nom de quelle vertu pédagogique le redoublement devrait être maintenu : « Le Luxembourg est parmi les champions du redoublement. Mais quand on voit les résultats médiocres du système scolaire actuel, on se demande à quoi ça sert ». D’autant plus qu’il dit avoir déjà remarqué assez souvent auprès d’élèves redoublants que le regard « stigmatisant » que leur portent certains enseignants qui les considèrent comme étant des élèves « en échec » ne contribue guère à les motiver davantage. Quant à un éventuel « contrat de redoublement », il n’enthousiasme pas Pol Reuter, rapporteur de l’atelier du cycle supérieur technique. Celui-ci serait trop hiérarchique et pourrait servir comme moyen de pression de la part de l’enseignant. C’est à nouveau la loi du bâton et de la carotte qui joue. Reuter préférerait l’élaboration conjointe d’un contrat dont les clauses devraient être négociées sur un pied d’égalité. Ce qui est en fait le principe même d’un contrat.

Ni bâton, ni carotte

Patrick Weymerskirch est un de ces élèves qui devrait donner à réfléchir aux tenants de la méthode dure. Et il n’hésite pas à formuler concrètement des propositions originales : ainsi voudrait-il que l’école encourage davantage l’engagement des élèves (qu’il soit « éthique », associatif ou politique) par le biais d’une sorte de « congé » : « Pour ma part, mon engagement en-dehors de l’école a déjà bien plus contribué à mon émancipation que ma participation aux cours. Le ministère prétend que c’est prévu dans la réforme, mais c’est formulé d’une manière très vague dans un jargon lourdement formulé ».

Mais Weymerskirch n’est pas le seul à se poser des questions fondamentales. Dans le même registre, Rafaël Lombardi, rapporteur de l’atelier du cycle supérieur classique, estime que la priorité de la réforme scolaire doit contribuer à réduire les inégalités sociales. De la part d’un élève du classique, cette affirmation a le mérite d’être rafraîchissante. La question d’un certain conservatisme social des élèves du secondaire classique, issus majoritairement des classes moyennes aisées, est souvent soulevée. Une réforme scolaire plus égalitaire est souvent perçue comme une « dévalorisation du diplôme » mettant en cause des « privilèges sociaux », comme le formule Gary Diderich. « Il est certain que les points de vue divergent parmi les élèves du classique. Mais j’aurais tendance à penser qu’ils sont néanmoins bien moins conservateurs que les enseignants », tient à nuancer Lombardi.

Le profs plus réacs que leurs élèves ? En tout cas, ces derniers se montrent plus ouverts au dialogue : « Les enseignants doivent comprendre qu’une réforme est nécessaire. Et le ministère doit accepter qu’elle n’est pas parfaite et que l’on puisse la critiquer », continue Lombardi. Et de regretter que certains enseignants utilisent trop la salle de classe pour communiquer leur opposition à la réforme (« certains tous les jours »). Il concède également que d’autres en parlent tout en tentant de garder une certaine objectivité. Néanmoins, il voit d’un mauvais oeil ce qu’il considère être des tendances utilitaristes de la réforme, notamment concernant l’apprentissage des langues. « Je suis moi-même élève dans une section scientifique, mais je souhaite avoir une idée plus large des langues qui aille au-delà de la simple `communication‘. C’est une question de culture générale ».

Plus de culture générale, mais aussi plus de flexibilité dans l’organisation des cours, c’est ce pourquoi plaide Pol Reuter, rapporteur de l’atelier pour le cycle supérieur technique. Pour l’instant, seules les dominantes (les trois nouvelles « sections » prévues) de l’enseignement classique permettent aux élèves de choisir leurs matières plus librement. Par contre, ce ne serait pas le cas pour l’enseignement technique où des sections telles que celles de l’ingénieur, du paramédical ou du commerce resteraient fortement cloisonnées. L’argument du ministère repose sur le fait que les spécialisations du classique se différencient moins les unes des autres que dans l’enseignement technique. Mais la ministre serait néanmoins en train de plancher sur la question. En plus des nombreuses autres questions qui ressortiront de cette mobilisation des élèves. Et peut-être que l’irruption dans le débat de ce « troisième élément » pourra contribuer à adoucir les moeurs d’un monde d’adulte qui ne montre pas toujours l’exemple à suivre.


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