IDENTITÉS TRANSGENRES: Grands bonds et surplace

Le 17 mai, c’est le jour de l’IDAHO. Il ne s’agit non pas de la célébration d’un Etat des USA, mais de la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie. Tandis que certains pays font des pas de géants pour l’émancipation des personnes transgenres, d’autres sont à la traîne, dont le Luxembourg.

Tantôt « viril », tantôt ambivalent, l’humoriste britannique Eddie Lizzard, qui se qualifie lui-même de « mâle lesbien » ou de « fille manquée », brouille les pistes tout naturellement.

Souvent snobée par les grands médias européens, l’Amérique latine vient à nouveau de franchir un pas historique. Alors que la classe politique chez le « gran hermano » du Nord se divise sur la question de savoir si les homosexuel-le-s méritent de griller en enfer ou non, l’Argentine vient d’adopter la loi « sur l’identité de genre ». Le plus extraordinaire, c’est que cette loi n’a pas suscité de guerre civile parlementaire. Le 9 mai, la chambre haute, le Sénat de la nation argentine, a définitivement adopté le texte par 55 voix pour et une abstention. Ce n’est pas tout : comme pour donner un coup de griffe supplémentaire aux clichés, la catholique Argentine en a profité pour légaliser l’euthanasie. Il faut dire que depuis la grande crise de 2001, qui avait ruiné l’Argentine après des décennies de politiques néolibérales, l’Argentine s’est redressée sous la direction d’une majorité politique hétéroclite de gauche, passant des néo-péronistes de gauche de la présidente Cristina Fernández de Kirchner, à la gauche radicale. Au même moment, sur le même continent, la capitale du Venezuela, Caracas, fête son premier anniversaire de ville « sans homophobie » et à Cuba, une grande marche à La Havane, menée par la fille du président Raúl Castro, a défilé en vue de l’adoption prochaine d’une loi ouvrant le mariage aux couples homosexuel-le-s. Que tous ces évènements aient lieu en ce moment n’a rien du hasard : le 17 mai ne célèbre pas uniquement la très catholique fête de l’Ascension, mais également la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie (IDAHO).

Si l’homophobie est désormais entrée dans le langage commun à l’instar d’autres plaies comme le racisme ou le machisme, le terme de transphobie reste encore plus cantonné dans la marginalité. Et pour cause, car les personnes transgenres se situent encore au bas de l’échelle de l’émancipation. Ce n’est pas pour rien que l’organisation Transgender Luxembourg a publié un petit glossaire rappelant notamment que ce terme (entre autres termes comme la trans-identité) est non seulement utilisé comme terme générique englobant l’ensemble des personnes « trans », notamment dans le monde anglophone, mais qu’il est plus particulièrement utilisé pour désigner une « catégorie de personnes qui se situent en dehors de la binarité des catégories de genre et remettent en cause l’impératif d’une équivalence entre le sexe, la sexualité, la sexuation des corps et le rôle social ». En ce sens, la nouvelle loi argentine, qui parle littéralement d’« identité de genre autoperçue » rend compte de la complexité des genres et garantit des droits encore très rares sur le globe. C’est notamment le cas pour la « reconnaissance de l’identité de genre », le « droit au libre développement de sa personne conformément à son identité de genre », ainsi que le « droit d’être traitée conformément à son identité de genre et, en particulier, d’être identifiée de cette façon dans les instruments attestant de son identité en ce qui concerne son ou ses prénoms, l’image et le sexe sous lesquels elle est enregistrée ».

Tango des identités

C’est la grande différence avec les personnes transsexuelles, terme désormais plus courant, mais qui ne s’applique qu’aux personnes désirant vivre en tant que personnes du sexe « opposé ». Contrairement donc au « transgenderisme », le transsexualisme n’éclate pas l’antagonisme classique masculin/féminin, mais le « reproduit à l’inverse ». Evidemment, la question de la définition ou de l’autodéfinition du genre est encore bien plus complexe et touche toute une palette de nuances relatives à la biologie, à la culture ou à la sociologie. Mais en fin de compte, derrière la multitude des possibles apparaît la question essentielle : celle de la liberté de disposer non seulement de son corps, mais aussi de son identité, indépendamment des dogmes sociaux, religieux voire médicaux.

Nous avons cité plus haut quelques exemples émanant du continent sud-américain. De l’autre côté de l’Atlantique, en Europe, la question de la libération des personnes transgenres et la lutte contre la transphobie ont encore un long chemin à parcourir. Et au Luxembourg plus particulièrement. Comble de l’ironie, c’est un député ADR, l’iconoclaste médecin Jean Colombera, qui avait posé une question parlementaire à la ministre de l’Egalité des chances au mois de décembre de l’année passée, Françoise Hetto-Gaasch (CSV), à laquelle son collègue à la Justice, François Biltgen (CSV) répondit. A la question de savoir quelles mesures le gouvernement entendait prendre afin de protéger les droits des personnes transgenres, Biltgen répondit laconiquement, estimant qu’il ne voyait aucune raison d’agir tant au niveau constitutionnel qu’au niveau législatif. Pour mieux faire passer la pilule, il assura néanmoins au député que le Luxembourg continuait à suivre « les discussions et évolutions » au niveau international. Cette réponse en dit long sur l’absence de prise de conscience de la transphobie au Luxembourg. Et le fait que la ministre de l’Egalité des chances ne se soit pas sentie concernée n’augure rien de bon. A deux jours de l’IDAHO, en se rendant sur le site internet du ministère, l’on cherche en vain toute indication ayant trait à cet évènement. Et au sein du ministère même, nous avons fait choux blanc. La personne en charge du dossier étant absente, personne d’autre ne semblait être au courant.

Pas un problème au Luxembourg ?

Le bilan est un peu plus positif du côté du ministère de la Famille et de l’Intégration : il a tout de même fait l’effort d’envoyer un communiqué de presse rappelant la célébration de cette journée, la qualifiant toutefois uniquement de « journée internationale contre l’homophobie ». Un oubli peut-être, le communiqué se reprend toutefois en rappelant qu’au Luxembourg, « la discrimination à l’égard des personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles et transgenres est illégale » et annonce une série de projets de sensibilisation contre l’homophobie, sans pour autant les nommer, qui auront lieu en plus d’une conférence sur la discrimination en collaboration avec le Centre d’information gay et lesbien.

Ce n’est pourtant pas comme si la situation concernant les discriminations contre les personnes transgenres ne demandait aucune initiative de la part des pouvoirs publics, comme le laisse entendre le ministre de la Justice. En témoigne notamment le taux de participation à l’enquête en ligne européenne (qui touche l’ensemble des Etats membres de l’Union et la Croatie) réalisée par l’Agence des droits fondamentaux. Cette enquête anonymisée invite toutes les personnes LGBT (lesbiennes, gays, bisexuel-le-s et transgenres) ayant vécu des situations discriminatoires à témoigner. Au jour où nous rédigeons ces lignes, seule une centaine de personnes du Luxembourg auraient participé, ce qui place notre pays en queue de peloton, juste devant Chypre. Pourtant, l’enquête tourne depuis le début du mois d’avril dans tous les milieux concernés et même au-delà : même le site officiel de la ville de Luxembourg y participe.

Qu’il s’agisse du milieu psychiatrique – prompt à vouloir traiter des cas de personnes transgenres considérées comme « malades » – ou de l’acceptation des identités de genre dépassant les schémas considérés comme normaux au niveau administratif mais également dans différentes sphères de la vie sociale, le Luxembourg accuse des retards qui expliquent probablement les réticences que les personnes transgenres peuvent éprouver face à un questionnaire pourtant anonyme. Et la promiscuité sociale de ce pays exigu « où tout le monde connaît tout le monde » ne facilite pas les choses. Raison de plus de parler offensivement de ce sujet.

Pour plus d’informations au sujet de l’enquête ou pour y participer,
rendez-vous sur www.lgbtsurvey.eu/html/lgbt2t/startpage.php


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