FONDS DU LOGEMENT: Les grands travaux

Rattrapant un grand retard, le Luxembourg aménage quartiers et anciennes friches industrielles pour y installer logements sociaux et entreprises. Entre projets modèles et dérives de « gentrification », le Fonds du logement a présenté cette semaine au grand-duc ses projets phares.

Derrière un aspect triste et austère se cache un morceau de choix : la parcelle accueillant le bâtiment administratif d’Arcelormittal dans le quartier « Schmelz »
de Dudelange reste dans le giron du géant sidérurgique.

Si le temps avait été de la partie, tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes. Car après tout, il s’agissait pour le Fonds du logement (FdL) de réaliser une opération de communication d’envergure. Et qui de mieux comme faire-valoir pour une telle opération que le chef de l’Etat lui-même, S.A.R le Grand-Duc Henri ? Le monarque que la constitution prive de toute grâce divine ne joue pas vraiment de rôle enviable. Flanqué de son aide de camp en uniforme de lieutenant-colonel et de deux gardes du corps civilement cravatés, son activité est principalement limitée « à regarder des choses » tel un Kim nord-coréen – les pleins pouvoirs en moins. Et à l’occasion, de tenter une question pertinente mais pas trop, car il ne faut froisser personne. Difficile équilibre que doivent tenir ces représentants aux fonctions nullement légitimes mais hautement symboliques que les vieilles monarchies constitutionnelles européennes s’évertuent à préserver en souvenir d’autres temps.

Impossible de savoir si Henri s’est ennuyé lors de cette visite d’Etat dans son propre grand-duché. Mais ce que le FdL avait à « lui » montrer n’était pas dénué d’intérêt : la « Sauerwiss » à Gasperich pour l’achevé, les « Nonnewisen » à Esch en cours de réalisation et le quartier « Schmelz » à Dudelange pour l’avenir… lointain peut-être. La visite la moins spectaculaire était de toute évidence la première : le quartier « Sauerwiss », que le père d’Henri, le Grand-Duc Jean, avait encore tout juste eu le temps d’inaugurer en 1998 peu avant son abdication, fait déjà partie du décorum de la capitale depuis 14 ans. Le cortège entourant le chef de l’Etat s’engage donc dans un petit tour d’un bloc du quartier, faisant la joie des photographes tirant cliché sur cliché d’un monarque entouré de Daniel Miltgen, le président du FdL, de Marco Schanck, le ministre du Logement et d’un Xavier Bettel, bourgmestre de la capitale, qui entretient avec sa bonne humeur légendaire le chef de la maison Nassau-Weilbourg visiblement enjoué. Et de lui montrer telle réalisation à laquelle se seraient opposés certains riverains, mais qui désormais ferait l’unanimité, ce à quoi Henri répond, sur le ton d’un élu communal rompu aux conflits de quartier : « Oui, oui, c’est typique ! ».

Promenade royale

A vrai dire, ce fut le véritable premier grand projet d’envergure, la première grande concentration de « logements sociaux » au Luxembourg. S’il suscitait à l’époque les inquiétudes typiques qu’un tel projet ne peut que provoquer, cette « cité des dieux » aux confins méridionaux de la capitale n’a toujours rien de certaines cités HLM que l’on peut rencontrer chez nos voisins. Au contraire, il y règne même une ambiance de quartier avec sa crèche et ses 26 commerces, sans compter ses fêtes de quartier multiculturelles. Il faut dire que la politique suivie par le FdL, si elle comporte la « bizarrerie » de mettre aux enchères une partie de ses constructions, ce qui relativise l’aspect « social » d’une ville et d’un pays en manque cruel de logements abordables, comporte néanmoins l’aspect positif d’éviter la ghettoïsation sociale en favorisant une certaine mixité.

La question se pose toutefois de savoir si cette volonté de favoriser la « mixité sociale » ne porte pas en elle-même le risque de favoriser une autre forme de ghettoïsation de « classes moyennes ». C’est notamment un des points critiques soulevés dans le contexte de l’aménagement du grand projet en cours aux « Nonnewisen » à Esch. L’opposition eschoise critique notamment que le « Masterplan » développé en 2004 a fortement été modifié et ne serait plus à la hauteur des fortes demandes en logements sociaux de la population de la métropole du Sud. Ainsi, si les deux tiers des habitations ont été construites par la ville elle-même (qui se voit remboursée à hauteur de 75 pour cent les frais de construction par l’Etat), elles seront désormais vendues et non louées, même si les prix de vente sont subventionnés et revus à la baisse. Mercredi, la bourgmestre Lydia Mutsch expliquait au grand-duc que le prix du mètre carré était évalué à 2.500 euros. Une somme bien en deçà de la moyenne nationale certes, mais qui en exclut tout de même les parties de la population qui ne peuvent, même à des prix modérés, accéder à la propriété. D’où la crainte que les Nonnewisen participent au phénomène de « gentrification » d’une des villes du pays où les inégalité sociales sont les plus criantes (le taux de chômage y a atteint les 13 pour cent en 2011 – une explosion par rapport aux sept pour cent encore enregistrés l’année précédente).

Dernière étape, dernier contraste. Après avoir visité la proprette « Sauerwiss » et quitté le chantier en cours de réalisation à Esch avec ses bâtiments aussi monotones que léchés, la grande vadrouille arrive sur les récentes friches de Dudelange, le futur quartier « Schmelz ». Le bourgmestre Alex Bodry attend devant l’entrée de l’immense laminoir désaffecté. Visiblement d’attaque, il propose un jovial « Monseigneur » au grand-duc qui semble s’en amuser, avant de redevenir sérieux : « Nous sommes là pour dire les choses franchement. Nous sommes en désaccord avec Arcelormittal sur certains points ». Et d’énumérer, sous le regard concerné du grand-duc – qui semble sincèrement agacé par le comportement du géant de l’acier -, ces conflits qui retardent fortement la réalisation du projet. Pour commencer, et à son habitude, Arcelormittal s’est réservé les « morceaux de choix » du terrain, à savoir notamment la parcelle qui abrite encore les locaux administratifs. Vient ensuite l’épineuse question de la décontamination des terrains cédés à l’Etat. L’attitude actuelle d’Arcelormittal consiste à accepter de céder ses parcelles et, « en contrepartie », de se dédouaner de toute responsabilité environnementale après s’être limité à « nettoyer » les points les plus pollués. L’affaire est loufoque : malgré l’obligation légale de dépolluer, Arcelormittal se cabre et force l’Etat et la ville de Dudelange de négocier ferme. Il faut dire que dans le contexte actuel, l’empire de Lakshmi Mittal dispose de forts moyens de pression.

Pollueur pas payeur

Pendant ce temps, Christian Bauer, l’architecte en charge du projet, explique qu’il continue son oeuvre. Parcelle par parcelle, là où c’est possible. Après tout, le quartier ne devrait être finalisé que dans une quinzaine d’années si tout va bien. Ce qui est dommage, car ce projet semble être un des plus prometteurs et, en principe, un des moins complexes à réaliser, étant donné que le terrain appartient à un seul propriétaire et se situe sur le territoire d’une seule commune. Christian Bauer s’enorgueillit d’ailleurs que son projet recueille un intérêt international – jusqu’à Shanghai. Quant aux édiles locaux, ils rêvent déjà d’y voir s’installer toute une flopée de petites et moyennes entreprises, « comme des menuiseries ! », souligne Miltgen, voir même un studio de production cinématographique. Après l’installation du Centre national de l’audiovisuel, Dudelange se rêve déjà en mini-Hollywood grand-ducal. Mais avant tout cela, il faudra encore contraindre l’empire sidérurgique de remplir ses obligations. Le grand-duc pourrait lui être de bon conseil : dans un dernier geste d’humour, il souleva une partie de la maquette et d’un geste balayeur de la main, lança un « Hop, hop, sous le tapis, la pollution ! ». Les rires de l’assistance étaient sincères, mais un peu jaunes.


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