20 ans déjà que la seule vraie radio alternative, Radio Ara, est sur les ondes. Pour cet anniversaire, la station ne cherche pas à se réinventer, mais du moins à réaffirmer son statut d’exception.
Il se dit peut-être vieux et sénile, mais du moins ce n’est pas sa mémoire qui flanche: « Il y a 30 ans, plus ou moins jour pour jour, j’enregistrais ma première émission de radio, à Arlon, pour le programme `Radio Grénge Fluesfénkelchen‘ chez l“Atelier Radio Arlon‘. À l’époque, c’était une affaire semi-légale », raconte Robert Garcia, un des fondateurs de radio Ara, et – après avoir guidé le Luxembourg à travers les méandres de l’année culturelle 2007, le directeur des CarréRotondes, lors de la conférence de presse mardi. Puis, il fait une excursion dans ces temps obscurs, début des années 1980, où le paysage médiatique était encore plus sombre que de nos jours. En effet, la presse se composait essentiellement de deux blocs monolithiques, St. Paul et editpress, et la radio comme la télévision (tiens, une chose qui n’a toujours pas changé) étaient dans les mains de RTL. Or, pendant ces années de guerre froide, l’accès à l’information non-filtrée par des intérêts de partis ou de pouvoir était plus essentiel et beaucoup plus difficile à obtenir que de nos jours, après la révolution Internet. C’est pourquoi une assez large frange de la société – de l’extrême-gauche jusqu’à certaines organisations de jeunesse catholiques – ressentaient le besoin d’une source d’information alternative.
C’est donc en 1981 que « Radio Grénge Fluesfénkelchen » commence à émettre, d’abord tous les mercredi soir. En 1984, quelques 25 associations et personnes privées mettent sur pied l’« Atelier Radio UkaWeechelchen » qui émet toujours depuis Arlon. Ce n’est qu’en 1986 que les responsables décident de fonder « RadAU » au Luxembourg, qui opère depuis un garage au Kirchberg, en parfaite illégalité. Un fait d’armes mémorable s’est d’ailleurs produit le 14 juillet 1986, quand « RadAU » transmet en live d’une manifestation anti-Cattenom – on est aussi à quelques semaines après la catastrophe de Chernobyl – devant l’ambassade française.
Une fréquence avec dix ans de retard
Alors qu’en France, sous l’impulsion de François Mitterrand et son ministre de la culture Jack Lang, les radios « pirates » sont légalisées continuellement à partir de la prise du pouvoir par les socialistes, le Luxembourg, lui, affiche toujours son petit retard, d’une dizaine d’années. Et ce n’est qu’en 1991, avec la nouvelle loi sur les médias, que le chemin vers une fréquence légale et durable est ouvert. Entretemps, le gouvernement demande aux radios « pirates » de cesser leur diffusion, ce que « RadAu » refuse de faire – sans qu’il y ait pourtant de conséquences. En juillet, la « commission indépendante de la radiodiffusion » libère quatre fréquences qui seront attribuées sur dossier. « Et là, vous pouvez vous imaginer ce qui est arrivé : une fréquence a été attribuée à une maison de presse catholique et très influente, une autre à sa concurrence et encore une pour les minorités, Radio Latina. Enfin, la dernière fréquence était pour nous », raconte Robert Garcia.
Et c’est ainsi que Radio ARA est née et a commencé, dès le 6 décembre 1992, à émettre. Le nom définitif est d’ailleurs à double-sens, et peut être lu comme « Atelier Radio Alter Echos » – qui renvoie au nom de l’association des speakers – et à l’origine « Atelier Radio Arlon ». Ara, est, tout comme les autres stations, basée sur une logique commerciale.
« C’est pourquoi il est vraiment important que vous écrivez que nous ne sommes aucunement subventionnés par l’Etat », demande Germain Bintz, l’administrateur de Radio Ara et l’homme à tout faire dans la station, « Car souvent les gens pensent que parce que nous sommes une station alternative, forcément c’est l’Etat qui nous paie. Alors qu’on vit de donations – environ 30.000 euros par an – et d’un peu de publicité. Et puis, même si nos bénéfices sont loin d’être exorbitants, nous ne sommes pas déficitaires », précise-t-il. C’est une des caractéristiques les plus étonnantes de Radio Ara : d’avoir tenu 20 ans en tant que station commerciale, sans vraiment faire de grands compromis dans la programmation. Alors qu’en même temps, la radio de St-Paul, DNR, est sur le point de sombrer, victime d’une politique commerciale désastreuse de la part de la maison-mère. « D’une certaine façon, nous avons fait du crowdfunding avant l’heure, et puis c’est bien sûr la façon dont le temps d’antenne est reparti qui explique notre survie », explique Bintz. Car le temps d’antenne se divise est divisé en sur trois entités : la tranche matinale est réservée à Ara City Radio, une programmation d’anglophones pour anglophones qui se porte elle-même, en étant un brin plus commercial que le reste des émissions. Puis toutes les après-midis, c’est le temps de Graffiti, la radio des jeunes, supervisée par deux éducatrices. Cette tranche, qui dure de 14h à 17h du lundi au vendredi, est financée par une convention avec l’Etat. Ce n’est qu’après 17h et les weekends qu’on entend Radio Ara à proprement parler – avec des émissions qui sont en place depuis presque vingt ans, elles-aussi.
Crowdfunding avant l’heure
A commencer par le magazine Bistro, animée par Céline Agnes, la nouvelle permanente de la radio – et la seule personne rémunérée par Radio Ara, à part Germain Bintz. « J’essaie de refléter l’actualité culturelle, par exemple en invitant la Philharmonie ou le Cape pour présenter leur programme à la radio. Ou encore, je fais des interviews de musiciens lors de concerts et des reportages », raconte Céline, qui est vraiment devenue incontournable dans la scène et que l’on peut croiser à presque tous les concerts – intéressants – du grand-duché.
Parmi les émissions « cultes », on peut compter désormais « De Bloe Baaschtert » et « der Daiwel steet virun der Dier » qui ont été pour beaucoup – et pendant un certain temps même pour tous – des groupes luxembourgeois le premier support pour faire diffuser leur musique. Et sont devenues ainsi des émissions-phare de la radio. Mais cela ne veut pas dire qu’ils ne se chargent que de musique luxembourgeoise. On invite également de petits groupes étrangers, soit de Grande Région soit encore plus éloignés, avec normalement un seul critère : aussi moins mainstream que possible ; plus c’est extrême, mieux c’est. Dans cette catégorie on peut aussi classer les émissions moins régulières « Psycho Circus », « Kamikaze » et « Cosmic Trigger ». Ce seront aussi ces « anciens » qui animeront la retransmission en direct de la grande fête qui aura lieu le 22 septembre à la Kulturfabrik. Une autre émission qui vient de fêter sa 1.000 édition est « Silent Running » de Gast Klares, qui se charge de sons électroniques et new wave.
Mais ce n’est pas tout : l’éclectisme sonore est de loin une des marques de fabrique de Radio Ara. Ainsi, on peut passer de la musique indépendante italienne, en passant par du rap, de la house et du reggae au country, sans oublier la world music, présentée chaque dimanche par le « fossile » Robert Garcia. « C’est un peu notre marque de fabrique », estime Jhemp Mousel, le gérant, bénévole, de la radio, « Et on ne trouve pas ou peu d’autres radios comme la nôtre à l’étranger. Certes, notre programmation nous empêche de faire de gros bénéfices avec de la publicité, car trouver des annonceurs qui paient pour être diffusés entre deux chansons de métal extrême c’est rare. Mais, vu qu’on n’est pas orienté vers le profit, nous faisons avec. »
Station unique au Luxembourg et en Grande Région, Radio Ara est tout de même quelque-chose d’autre encore : une véritable académie radiophonique. « Beaucoup de nos animateurs, qui ont commencé et découvert la radio et le monde des médias chez nous sont devenus de vrais professionnels par après. Des gens qui travaillent aujourd’hui à la radio socioculturelle ou encore RTL par exemple », raconte, non sans un brin de fierté, Germain Bintz.
Donc, depuis vingt ans, voire même plus si on prend en compte les années passées à l’étranger et dans la semi-légalité, Radio Ara est restée fidèle à sa mission : être un ovni dans le paysage radiophonique luxembourgeois et donner envie aux jeunes et moins jeunes de faire et d’écouter la radio. Et surtout, de constituer une sorte de grande famille, ce qui se remarque d’ailleurs également si on considère la liste des groupes invités pour le grand raoût du 22 septembre : presque tous ont – ou ont eu – des relations avec la radio. Pour le futur, la station pas comme les autres a tout de même quelques plans concrets : une nouvelle antenne à Pontpierre pour mieux couvrir le Sud du pays, qui a du se rabattre sur la fréquence 103,3 (le 105,2 étant pour la capitale et le Nord) et un meilleur système de podcast depuis son site.
Pour celles et ceux qui veulent célébrer cet heureux anniversaire ou qui veulent faire connaissance des gens derrière les micros, rendez-vous samedi prochain à la Kulturfabrik !
Plus d’infos : www.ara.lu
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