Un grand débat et un large consensus. C’est ce que souhaite le ministre de la Justice pour la réforme du droit sur la nationalité. Et il ouvre (presque) toutes les portes.
C’est la faute aux Américains. Non, ne vous attendez pas à lire une tirade contre l’impérialisme nord-américain : il s’agit de la dernière modification de la loi sur la nationalité de 2008. Parmi bon nombre de réformes, celle de pouvoir recouvrer la nationalité luxembourgeoise si l’on peut attester d’avoir eu un aïeul Luxembourgeois au 1er janvier 1900, était en fait destinée à récupérer les descendant-e-s d’émigrés grand-ducaux qui se sont installé-e-s outre-Atlantique. Finalement, cette réforme a surtout fait le bonheur de plusieurs milliers de Belges habitant la Province du Luxembourg, l’« autre moitié » du grand-duché.
Des réformes, il y en eut bien d’autres en 2008 : d’acte souverain de la Chambre des député-e-s, la naturalisation devint un acte administratif du ministère de la Justice, la nationalité multiple fut introduite et une dose de droit du sol fut injectée. Par contre, la clause de résidence passa de cinq à sept années et l’option suite à un mariage fut abolie.
Avant cette réforme, les député-e-s devaient se soumettre, à huis clos, à l’étrange exercice de concéder la nationalité aux demandeurs sur base d’un dossier. Ainsi, tant les compétences langagières en luxembourgeois (habituellement testées par un agent de police) que la « respectabilité » étaient laissées à la discrétion de chaque élu du peuple. Bien que ces derniers ne pouvaient piper mot de ce qui se disait, il y a toujours eu l’un-e ou l’autre parmi les 60 honorables à s’amuser ou s’offusquer des commentaires parfois hallucinants de certain-e-s de leurs petits camarades. L’acte administratif a nécessairement mis fin à cette pratique : les capacités linguistiques ont été déterminées à l’aide du portfolio européen et l’honorabilité du candidat est liée à un seuil fixé par le code pénal (condamnation à une année d’emprisonnement ferme).
Nitroglycérine
Pourtant, la loi est perfectible. Lors de la présentation ce mercredi par le ministre de la Justice François Biltgen (CSV) du rapport d’évaluation sur ladite loi, il a officiellement annoncé une réforme de la récente réforme. Mais avant de concrétiser sa démarche par le dépôt d’un projet de loi, il tient à lancer un vaste débat avec l’ensemble des partis politiques, la « société civile », ainsi qu’avec les citoyen-ne-s qui pourront s’exprimer sur un site crée à cet effet. Au niveau parlementaire, le ministre a annoncé la volonté du gouvernement de tenir un débat d’orientation. La démarche consultative de Biltgen est compréhensible : on sait que tout ce qui touche de près ou de loin à l’« identité nationale » est potentiellement explosif – surtout en temps de crise.
Et surtout lorsqu’il s’agit de ce qui distingue le plus le petit Luxembourg dont l’existence même fut remise en jeu à plusieurs reprises : sa langue. L’état actuel de la législation prévoit déjà deux possibilités de dispense de passer le test de maîtrise : elles concernent celles et ceux ayant accompli au moins sept années de leur scolarité au Luxembourg ainsi que celles et ceux s’étant établi-e-s au Luxembourg avant le 31 décembre 1984. Pour sa part, Biltgen n’a pas caché son intention de revoir ces dispositions. D’une part, le test en question, mené par l’Institut des langues, souffre d’imperfections : par exemple, les candidat-e-s doivent cocher les bonnes réponses à des questions relatives à un texte qui leur a été lu. Or, il se peut qu’un-e candidat-e maîtrisant la langue n’ait pas prêté attention à l’un ou l’autre détail du récit, pour diverses raisons et notamment la distraction. Biltgen affirme même connaître personnellement des candidats qui auraient échoué à ce texte, alors qu’il s’entretient parfaitement avec eux en luxembourgeois. D’autre part, le test ne prend pas en compte les candidats qui souffrent d’handicaps mentaux ou physiques, comme par exemple les sourds-muets. La réflexion peut être portée plus loin : le test ne prend pas plus en compte les personnes à faible scolarité ou étant tout simplement analphabètes. Sans parler des « analphabètes linguistiques », issus de régions du monde utilisant d’autres caractères que les latins. Dans ce sens, Biltgen aimerait introduire plus de « latitude » dans l’évaluation du test.
Côté non-Luxembourgeois, le président fraîchement élu la semaine dernière à la tête du Conseil national des étrangers (CNE), l’américain John-Michael Schonenberger, estime pour sa part que la question linguistique n’est pas sans importance. Etant donné que le nouveau CNE ne s’est pas encore réuni, Schonenberger préfère ne pas prendre officiellement position et s’exprime en son nom propre : « La maîtrise de la langue luxembourgeoise constitue sans aucun doute un atout, mais l’on peut s’interroger si elle doit être obligatoire. Pour l’instant, je ne me suis pas encore fixé, mais ce sera un sujet de débat au CNE ».
Plus de latitude également concernant la clause de résidence. Se référant au phénomène de l’« immigration circulaire », c’est-à-dire de personnes émigrant pour quelques mois ou quelques années pour diverses raisons (études, travail), la clause de résidence de sept années sans interruption au Luxembourg constitue un obstacle que le ministre souhaite voir disparaître.
En parlant d’obstacle : la loi de 2008 avait supprimé la naturalisation par option de mariage, ce que certains considéraient comme une régression. Selon les souhaits du ministre, cette option devrait être réintroduite. La question est toutefois plus complexe qu’il n’y paraît. D’une part parce que, même d’un point de vue progressiste, elle induit la notion de filiation et peut être considérée comme une discrimination entre personnes mariées et célibataires, voire comme une manière de favoriser cette institution. D’autre part, elle pose la question de savoir si cette option pourrait être ou non élargie aux partenariats civils (les « Pacs »). Et ce fut aussi l’occasion pour Biltgen d’annoncer que ce processus de réflexion prendrait en compte l’ouverture du mariage aux couples homosexuels.
Non au droit du sol
Concernant toutefois l’instauration du droit du sol intégral, Biltgen se montre plus que réservé. Cela était passé un peu inaperçu, mais la loi de 2008 avait déjà introduit une dose du « ius solis ». Plus précisément : le droit du sol s’applique aux enfants nés au Luxembourg de parents non-Luxembourgeois, mais dont au moins l’un est lui ou elle aussi né-e sur le sol grand-ducal. Un droit du sol à retardement, en quelque sorte. La dose fut infime, mais constitue toutefois aux yeux de Mylène Porta, vice-présidente du CNE, la « véritable révolution » de la loi de 2008. Biltgen ne souhaite pas aller plus loin dans cette révolution. Quitte à faire usage d’une argumentation pour le moins étonnante en affirmant que, d’un point de vue historique, les pays auraient introduit le droit du sol afin de renforcer les rangs de leurs armées. Et d’ajouter qu’un droit du sol intégral pourrait générer des inconvénients pour les bénéficiaires. A titre d’exemple, il cite l’histoire d’un couple de luxembourgeois ayant donné naissance à leur enfant à Paris. L’enfant fut ainsi français et contraint d’effectuer son service militaire. Un inconvénient certes, mais qui ne saurait se reproduire aujourd’hui étant donné que la conscription obligatoire fut abolie sous le mandat de Jacques Chirac. Biltgen n’a pourtant pas toujours été aussi catégorique : à d’autres reprises de par le passé, il ne s’y était pas opposé aussi fermement. Mais cette position est peut-être le fruit de compromis passés au sein de son propre parti.
Par ailleurs, l’introduction du droit du sol intégral ne serait pas si révolutionnaire qu’il n’y paraît : selon Mylène Porta qui a étudié la question, ce droit existait au Luxembourg et fut progressivement aboli dans les années 1930 pour disparaître complètement sous l’Occupation. Et pour revenir à nos Américains et Belges « renationalisés » : à choisir entre la conception civique de la nationalité et la conception plus sanguine, il est indubitable qu’il subsiste un certain paradoxe à vouloir prodiguer la nationalité à des personnes dont le principal lien avec le Luxembourg réside dans le « sang » qui coulait dans les veines de leurs arrières-grands-parents et à l’accorder au compte-goutte à celles et ceux qui vivent et sont nés sur le sol luxembourgeois. Nous verrons ce que le débat voulu par le gouvernement apportera en la matière.