L’opposition conteste la manière dont sont faites les nominations au Conseil d’Etat. Mais s’est-elle jamais demandée à quoi servait cette institution ?
« La faim est mauvaise con-seillère », a-t-on coutume de dire : elle obnubile l’esprit et conduit à privilégier les avantages directs plutôt que des interrogations sur le fond. C’est ce qu’a fait mardi dernier l’opposition, en réclamant une réforme de la procédure de nomination au Conseil d’Etat. Le DP a refusé de voter pour la nouvelle conseillère désignée par le CSV, et les Verts, l’ADR et Déi Lénk sont même allés jusqu’à sortir de la salle.
« Mauvaise conseillère », le terme n’est pas applicable à Martine Deprez, la candidate en tête de liste à l’issue du vote de la Chambre. Issue des rangs du CSV, c’est une représentante typique de la Haute Corporation. Le fait qu’il s’agisse d’une femme pourrait même être considéré comme un plus. Pourtant, rarement une nomination a suscité une telle hostilité.
C’est que, les Verts comme l’ADR, le DP comme Déi Lénk se sentent dupés par la majorité gouvernementale. Celle-ci avait accepté en 2009 le principe d’une réforme de la procédure de nomination, mais elle a traîné du pied. Or, si l’élection de Deprez améliore le quota de femmes au Conseil d’Etat, elle accentue la sous-représentation des partis d’opposition. Ces derniers misent sur le remplacement de la procédure de nomination actuelle, assez opaque, par une procédure plus démocratique qui leur permettrait d’être mieux représentés. Ce serait dans l’intérêt du Conseil d’Etat lui-même, qui y gagnerait en légitimité, a même argumenté François Bausch.
Une réforme serait sans doute dans l’intérêt bien compris du Conseil d’Etat, mais l’intérêt de cette institution fait-il vraiment avancer la cause de la démocratie et du progrès ? On peut en douter.
Certes, son utilité est indéniable en matière d’optimisation de la formulation des textes de loi, et plausible en matière de préservation de la constitutionalité. Mais ces deux fonctions pourraient être remplies par une instance composée de juristes sans mandat proprement politique.
Car le rôle politique du Conseil d’Etat pose problème. Dès sa création, il avait été conçu comme une sorte de garde-fou au service du conservatisme. Il l’est resté sur beaucoup de dossiers, le dernier en date étant celui de la réforme constitutionnelle : c’est la Haute Corporation qui s’est mise en travers des propositions des députés visant à restreindre le rôle de la monarchie. Pour le camp progressiste, le Conseil d’Etat demeure une épine noire dans le pied plutôt qu’une rose démocratique qu’on devrait chercher à faire refleurir.
On peut, bien entendu, espérer qu’une réforme du mécanisme de nomination modifie lentement l’équilibre politique au sein de l’institution. Mais pourquoi attendre ? Parce qu’au sein de l’Etat luxembourgeois, on hésite toujours à abolir des administrations et des institutions préexistantes ? Parce qu’une démocratie aurait besoin d’une seconde chambre ?
Le premier argument est imparable, mais le second relève de la myopie politique. De nombreux pays parfaitement démocratiques vivent très bien avec un seul parlement : Portugal, Grèce, pays scandinaves. Quant aux pays dotés d’une seconde chambre, elle y remplit souvent un rôle de représentation d’entités territoriales, comme en Allemagne et en Espagne.
Considérant que rien ne justifie le maintien d’une institution superflue voire nocive, le camp progressiste devrait en toute logique se prononcer pour l’abolition pure et simple du Conseil d’Etat.