EXPOSITIONS: Le Mudam cherche Dieu

Pour sa nouvelle exposition « Dieu est un fumeur de Havanes », le Mudam se met en quête de spiritualité et découvre que seul le doute existe vraiment.

Dieu avec nous : Damien Deroubaix détourne un message divin.

Dire que le monde de 2012 est un monde en crise, est devenu une lapalissade. Mais pour percevoir la totalité de cette crise, il faut ajouter à celle du monde de la finance et des gouvernements la crise spirituelle. Force est de constater que depuis le début du millénaire, les questions de religion ne cessent de gagner en ampleur – même au Luxembourg, où l’influence catholique ne cesse de pénétrer le débat public, au grand dam des forces progressistes qui espéraient ces temps révolus.

C’est peut-être aussi une des raisons pourquoi le Mudam vient de monter « Dieu est un fumeur de Havanes », la troisième et dernière exposition dont les pièces ne proviennent que des fonds du musée même. Mais au lieu de faire les bouffeurs de curé de base, les commissaires Marie-Noëlle Farcy et Clément Minighetti se sont attelés à un vrai travail de recherche et exposent des pièces qui touchent les grandes questions métaphysiques et mettent en doute les capacités de l’homme de juger et d’être sûr de ses réponses.

C’est avant tout la pièce maîtresse de l’exposition, l’installation « From Lucy with Love » de Christian Andersson, qui illustre au mieux les propos des commissaires. Dans cette suite de plusieurs vitrines, qui imitent bien celles que l’on peut retrouver dans presque chaque musée d’histoire naturelle, Andersson invite le spectateur à un voyage dans le temps et dans le doute. La première montre trois reconstructions de têtes de mort ; celle de la fameuse australopithèque Lucy, une d’un néanderthalien et une d’un homo sapiens. Mais déjà, c’est moins la vérité scientifique qui est mise en avant que l’histoire d’une erreur monumentale en ce qui concerne l’homme de Néanderthal : « Au début, on pensait que les néanderthaliens avaient évolué dans une toute autre direction, les scientifiques se basant essentiellement sur le crâne exposé ici. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’ils se sont rendus compte que ce crâne était forcément déformé, puisque c’était celui d’un vieillard », explique Marie-Noëlle Farcy. La deuxième vitrine est dédiée à un objet aussi curieux que controversé : la fameuse « pile électrique de Bagdad ». Découverte en 1936 et datant du troisième siècle avant Jésus-Christ, cette poterie mystérieuse renferme en son sein des fils de cuivre et pourrait vraiment avoir servi de pile électrique, ce qu’Andersson démontre d’ailleurs, puisque son modèle à lui fonctionne. En plus, vu que l’original a disparu au cours des pillages qui ont suivi l’invasion américaine de 2003, l’exemplaire d’Andersson est bien le seul qu’on peut encore voir dans un musée de nos jours. Et si les tenants de l’hypothèse que cette pile aurait vraiment servi à la production d’électricité avaient raison, il faudrait réécrire des pans entiers de notre histoire. Dans les deux autres vitrines, Andersson continue à exposer des produits qui pourraient induire le doute, comme une construction précaire incluant un cierge et une louche tenus dans un équilibre précaire. L’installation se termine avec un extrait de film de série B américain, « On the Beach », dont la particularité est son négativisme : « C’est l’histoire d’un groupe de survivants dans un monde post-apocalyptique », raconte Marie-Noëlle Farcy. « Ils essaient d’entrer en contact avec d’autres groupes de survivants, mais ce qu’ils croient être un message se révèle être un leurre. Ils se rendent compte qu’ils sont vraiment seuls sur terre. L’intéressant avec ce film, c’est qu’après sa diffusion, le gouvernement américain a demandé à Hollywood de ne plus jamais produire un film aussi désespérant. » Une promesse que la fabrique des rêves semble avoir tenu.

Une autre installation plus explicite fait référence à une des théories la plus souvent invoquée par les scientifiques pour expliquer l’origine du monde, de l’univers et accessoirement de la vie sur terre : « The Expanding Universe (The Big Bang) » de Björn Dahlem est un assemblage d’objets du quotidien qui – ensemble – représentent une figuration du Big Bang. Cette curieuse rencontre entre grande théorie abstraite et bocaux contenant des cerises confites, une ampoule et autres objets, devrait nous faire penser au fait que même ce que nous percevons comme « vérité » scientifique de nos jours comporte toujours sa part de croyance.

La dernière pile de Bagdad

Plus proches de la croyance religieuse telle que nous la connaissons sont les trois films de João Maria Gusmão et Pedro Paiva. Dans les courts extraits, les artistes font à chaque fois une exploration dans le monde spirituel, comme dans « Film about Skeleton », où un squelette de cochon est animé à la vie, non sans qu’on puisse voir les grosses ficelles. Dans un autre, on peut voir des habitants d’un village africain se préparer à un grand rite, sans qu’on perçoive vraiment à quoi il servira.

L’Afrique est aussi au centre des deux photographies de Pieter Hugo, un ancien photoreporter qui s’est recyclé dans l’art. Les deux oeuvres extraites de la série « Nollywood » montrent des habitants de cette ville située au Nigéria qui produit presque tous les films d’Afrique subsaharienne. Dans ses portraits, Hugo essaie de mettre en scène ces personnes, non pas par rapport à leurs rôles respectifs, mais leur état d’esprit. Dans un tout autre registre, mais toujours en photographie, c’est la grande photographie murale « Marilyn Manson Monument » de Candice Breitz qui retient l’attention du spectateur. Faisant référence aux grandes fresques classiques, elle a rassemblé des groupes de fans de l’artiste rock américain, les faisant poser en groupe. Candice Breitz ne fait pourtant pas dans l’iconolâtrie, mais réactualise surtout les vieux formats avec de nouvelles croyances. C’est aussi le propos des photographies de Kyochi Tsuzuki extraites de sa série « Happy Victims » : ici, des « fashion victims » japonaises qui ont dédié toute leur existence à une certaine marque de vêtements ou à un créateur précis posent au milieu de leurs collections. Ce qui laisse un goût doux-amer, puisque d’un côté, ces personnes semblent heureuses de vivre leur fétiche et cela leur donne une certaine force spirituelle, de l’autre on voit que même en Asie – où la spiritualité est vécue différemment – le culte de la mode fait naître un certain vide humain.

Toujours est-il que les modes n’échappent pas non plus à la perception religieuse de l’Occident, comme on peut le voir avec le tableau « Gott mit uns » de Damien Deroubaix. Ici, le titre de la peinture apparaît comme un logo de marque de skateboard au milieu de figures cauchemardesques issues de l’enfer et d’une explosion de bombe atomique qui triomphe sur tout.

En somme, « Dieu est un fumeur de Havanes » est une exposition sympathique non seulement pour sa référence à Serge Gainsbourg. On a l’impression que le choix des oeuvres s’est fait plus consciencieusement que les dernières fois, car on est moins abasourdi par la pure masse des oeuvres exposées. Surtout, la rareté des films artistiques donne de l’air à respirer et renforce encore la clarté de la construction de l’exposition. A voir donc.

Au Mudam, jusqu’au 16 juin 2013.


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