RÉFORME DU LYCÉE: Vaches sacrées

Un zeste de réforme, le retrait d’une autre, le tout chauffé tièdement. La réforme du lycée est énigmatique : quelques pas en arrière, quelques semi-concessions, mais rien ne change fondamentalement. Le plat ne tue pas, mais l’on s’interroge sur son contenu.

Les vaches sacrées n’existent pas qu’en Inde,
mais aussi dans l’école luxembourgeoise.
Superstition ou tradition,
il s’agit de respecter la vache « redoublement »,
« sélection classique/technique », « note chiffrée ».
Un polythéisme en accord avec une société de caste.

On dit souvent que l’école est le reflet de la société. Cela tombe bien, car l’époque que nous traversons contient tous les éléments que l’on retrouve dans l’enseignement : angoisse, névrose et frustrations à la pelle. Et depuis ce mardi, la frustration est à l’honneur. En tout cas pour toutes celles et ceux qui ont affaire à l’école ou qui s’y intéressent, directement ou indirectement. C’est-à-dire presque tout le monde. Car les grands axes de la réforme du lycée que la ministre de l’Education nationale, Mady Delvaux-Stehres (LSAP), a dévoilés cette semaine ne peuvent qu’au mieux laisser sur leur faim les partisans d’une réforme globale (et encore faudrait-il s’entendre sur laquelle), au pire enrager tout le monde, partisans et opposants confondus. Mady Delvaux-Stehres ignore probablement une des règles de base de la politique : le conflit étant inévitable, mieux vaut s’assurer une assise de base et un appui aussi fort que possible pour sortir victorieux de la bataille. Et avant tout, proposer un projet cohérent et mobilisateur. Personne ne se sacrifie pour deux glaouis et trois chouquettes.

Cette maxime, les syndicats l’ont bien intégrée, notamment les deux « petits » que sont le SEW et l’Apess, auxquels on doit concéder un rare dynamisme. La mobilisation a déjà commencé : dans les trois semaines qui viennent, ils appellent les enseignants à trois réunions de mobilisation les 25 avril et les 2 et 7 mai. Le titre : « Et geet ëm d’Ganzt ! » (« Il en va de tout ! »). C’est un point de vue. Car la réforme proposée par le ministère est loin d’être révolutionnaire. Mais c’est peut-être aussi sur ce point qu’elle pêche. De grosses concessions ont été faites aux angoissés du « nivellement vers le bas ». Ainsi, les élèves pourront continuer à jouir des bienfaits supposés du redoublement, aussi vexatoire qu’inefficace. Sur la compensation et les ajournements, quelques bricolages. Mais surtout, la notation babylonienne, chiffrée sur 60, sera également maintenue. Beaucoup d’enseignants (et de parents) y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux, considérant les évaluations par compétences (critiquables, certes) comme étant une porte ouverte à l’arbitraire. Si les chiffres ne laissent que peu de marge d’appréciation, il en va autrement de celles et ceux qui les manipulent.

Pour Christian Meyers, qui a notamment étudié les sciences de l’éducation et qui est enseignant-chercheur et chargé de cours à l’Université du Luxembourg (mais, que l’on se rassure, il dispose aussi de l’« expérience du terrain »), « la réforme tient et tombe avec l’évaluation ». Selon lui, le maintien de la logique actuelle du système d’évaluation, dans ses grandes lignes, porte préjudice au tout, en court-circuitant certaines avancées – comme la nouvelle pondération des langues et des mathématiques. Partisan d’un système de tronc commun dont la différenciation se ferait graduellement à l’aide d’un système de modules, il voit d’un oeil critique la nouvelle dénomination des deux ordres d’enseignement, en « Enseignement secondaire classique » et « Enseignement secondaire général ». « C’est de l’esbroufe », commente-t-il, « la sélectivité continue à se faire comme avant. On confirme le `classique‘ qui continuera à accueillir majoritairement des élèves des classes moyennes supérieures et on fait croire aux élèves du `technique‘ que leur école sera revalorisée. Quant à l’enseignement du modulaire, là où il faudrait mettre le paquet, rien ne se passe vraiment. » Finalement, il déplore que la promotion automatique de la 7e vers la 6e, qui devait constituer une sorte de « sas » d’orientation, ait été laissé tomber, car c’était une des rares mesures dont l’esprit se rapprochait du tronc commun. En guise de conclusion, il se dit sceptique car cette réforme ne donne l’impression d’un « éclatement. »

« Flou et incohérent »

L’impression des Verts est similaire. Unique parti politique à avoir jusqu’à présent réagi, ils critiquent, malgré « plusieurs éléments positifs », « un certain flou artistique ». Eux aussi déplorent l’abandon de la promotion automatique de la 7e vers la 6e, mais se disent néanmoins satisfaits du tutorat, du travail encadré en 2e, de la réduction du nombre d’épreuves à l’examen de fin d’études ou encore de la cellule de développement scolaire. Mais ils se posent des questions sur la faisabilité, notamment face à la manière dont la réforme sera mise en oeuvre.

La Délégation nationale des enseignants (DNL) – qui regroupe un représentant de chaque établissement du secondaire – adopte le même credo : « flou et incohérent ». Les divergences ne sont pourtant pas forcément identiques. A nouveau, les problèmes de communication sont posés : tandis que la ministre s’est félicitée des dix mois de dialogue avec la DNL, cette dernière conclut à « l’impossibilité de nouer jusqu’à présent un dialogue véritable » avec le ministère. Neuf points sont pointés du doigt, allant de leur refus catégorique de l’enseignement par compétences, car le bulletin complémentaire est maintenu jusqu’en 5e, en passant par l’enseignement des langues calqué sur le CECR (Cadre européen commun de référence pour les langues), pour arriver aux « inconnues » des nouvelles sections annoncées. Pourtant, l’hostilité verbale que la DNL oppose à la ministre donne un air de disproportion par rapport aux griefs qu’elle lui reproche. Car après tout, peu change.

La bataille entre le ministère et les représentant-e-s des enseignants laisse en tout cas sur le carreau celles et ceux qui auraient souhaité un changement fondamental de l’école actuelle sans adhérer totalement aux réformes ministérielles. Tout comme celles et ceux qui auraient souhaité une autre réforme. Et d’autres critiques.

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Les « grands axes » de la réforme du lycée

Tout d’abord, l’esthétique : le « lycée classique », tel que l’on nomme communément l’« enseignement secondaire », se voit attribuer officiellement cette dénomination. Si la réforme passe, il faudra dire « Enseignement secondaire classique » (ESC). Quant à l’enseignement secondaire technique, il devient « Enseignement secondaire général » (ESG). Les classes de ce régime ne seront d’ailleurs plus numérotées de la 7e à la 3e, mais, comme dans l’ESC, de la 7e à la 1ère. Les voies pédagogiques technique, polyvalente et pratique disparaîtront pour se fondre dans un système de différenciation au niveau des langues et des mathématiques. Vient la spécialisation, vache sacrée du lycée luxembourgeois. Dans l’ESC, elle débutera en 3e avec les sections suivantes : lettres et sciences humaines, sciences naturelles, sciences économiques et sociales, arts plastiques et musique. Dans l’ESG, la spécialisation débutera un an plus tôt, en 4e, avec les sections suivantes : sciences économiques et communication, sciences de l’ingénierie, sciences de la vie, arts et communication visuelle, sciences sociales et humaines. A partir de la 2e, l’éventail s’étoffe encore plus, avec ces sections : sciences économiques et gestion, sciences informatiques, sciences naturelles et santé, formation de l’infirmier et formation de l’éducateur.
Quelques innovations au niveau de l’épineux problème de l’enseignement des langues : un système de compensation au sein des trois langues que sont le français, l’allemand et l’anglais est mis en place. Ainsi, à la langue dans laquelle l’élève obtient la meilleure note sera attribué le coefficient le plus élevé et vice-versa.
Pas de chamboulement intempestif dans l’évaluation. Le redoublement ne sera finalement pas aboli, mais « plus encadré ». Quant aux ajournements, ils seront limités à deux et l’élève devra suivre des cours de remédiation dans les disciplines dans lesquelles il a échoué l’année précédente. Autre mère supposée de tous les vices, la compensation sera limitée à deux notes insuffisantes et ne se fera plus sur la moyenne générale mais sur la moyenne de groupes de disciplines. Par exemple, il sera impossible de compenser dans deux langues. Les élèves continueront à être notés sur 60, mais une « appréciation plus nuancée » leur sera greffée dans les classes inférieures.
Le tutorat sera rendu obligatoire dans l’ESG de la 7ème à la 5e et seulement en 7e dans l’ESC. Quant à l’examen de fin d’études, le nombre d’épreuves sera réduit.
Finalement, pour veiller au développement de la « qualité scolaire », une « cellule de développement scolaire », composée de deux membres de la direction, d’enseignants et de membres du personnel socio-éducatif sera mise en place dans chaque lycée et élaborera un « plan de développement scolaire ». 


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