L’une commence la réponse, l’autre la termine ou vice-versa. Comme dans l’interview, Dany Prum et Jerry Frantz se complètent tellement dans leur travail qu’ils ne semblent former qu’une seule entité.
Dany Prum (Luxembourg, 1965) travaille comme artiste plasticienne depuis la sortie de l’école, il y a douze ans, et Jerry Frantz (Esch/Alzette, 1955) depuis environ dix ans. Ils oeuvrent ensemble depuis 1999. D’où vient cette symbiose? Avant de se rencontrer, Dany aimait bien ce que Jerry faisait et pour lui c’était pareil avec le travail de Dany.
Après leur première rencontre au supermarché conceptuel de l’art contemporain (exposition collective d’une vingtaine d’artistes au Casino-Luxembourg, juin 1998), ils ont compris que les affinités entre eux étaient très poussées. „On avait une façon de voir les choses et de se moquer de nous-mêmes et des autres qui se rapprochait beaucoup. On a constaté qu’on travaillait de la même façon, qu’on avait les mêmes idées“. Ils sont complémentaires au niveau de la réalisation: „On partage le concept, et techniquement, comme on a des qualités différentes, à deux on peut tout réaliser. Si tu es seul, tu te perds dans tes propres idées, tu as du mal à sortir de toi-même. Le dialogue avec l’autre est très important pour reconsidérer le projet. Chacun est le critique de l’autre. On a tellement d’affinités que quand on réalise un projet, parfois on ne sait plus qui avait suggéré telle chose ou telle autre, ou de qui provenait l’idée“. Dany raconte, amusée, qu’elle avait acheté un cochon à la Schueberfouer et qu’elle a dit à Jerry qu’ils devraient faire un film, et qu’elle avait déjà l’acteur, un cochon. C’est alors qu’elle a appris que lui, il avait acheté le même cochon, mais à l’Octav-Mäertchen, trois mois plus tôt, et qu’il avait eu la même idée. Résultat: un film avec deux acteurs! Ainsi leur premier projet commun est né: „Miss Piggy’s daydreams“ – un film X.
Comment procédez-vous quand vous travaillez à deux?
D-J: Nous sommes toujours d’accord sur l’essentiel. Les éventuelles contradictions se trouvent dans les oeuvres elles-mêmes. Le plus important est de savoir quel message nous voulons transmettre aux gens. Pour y arriver, nous éliminons tout ce qui est superflu.
J-D: Nous ne sommes pas fixés sur une technique, ni sur la sculpture, ni sur la peinture, ni sur la vidéo, ni sur la photo. Nous choisissons les techniques à utiliser en fonction de l’idée que nous voulons exprimer. Le message passe avant tout. Il y a longtemps qu’on n’a pas fait de peinture, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’on n’en fera plus. On a des projets, et on verra ce qui en résulte.
Envisagez-vous des projets individuels?
D-J: Non. Si l’un des deux avait besoin de s’exprimer individuellement, cela pourrait aussi s’intégrer dans le travail commun. On s’exprime individuellement avec ce travail! On a le même chemin de pensée. Chacun a beaucoup de confiance en l’autre, et c’est le plus important.
Comment voyez-vous le milieu artistique au Luxembourg? Beaucoup d’artistes ne vivent pas de leur art. Est-ce que cela peut nuire à la création?
J-D: Quelqu’un qui ne fait que de la peinture n’est pas forcément professionnel, dans le sens de l’art, de la qualité de son travail. De même, si à côté de son travail artistique quelqu’un doit faire autre chose pour gagner sa vie, cela ne l’empêche pas obligatoirement d’être un excellent artiste.
D: Pendant une période, lorsque j’ai commencé à faire des installations, je ne faisais que de l’art. Je vendais presque tout aux expositions. Du point de vue financier, cela marchait. beaucoup mieux que maintenant! Lorsque j’ai commencé à créer des choses qui ne se destinaient pas à la vente, je me suis dit que, ou bien je devais faire des choses à côté pour les vendre, ou bien je devais rester fidèle à mon activité de ce moment-là. J’ai cherché une occupation salariée pour pouvoir m’offrir le luxe d’être libre. C’est ainsi que j’ai commencé à donner des cours au lycée technique des arts et métiers. Et ce n’est pas pour cela que je suis moins professionnelle! C’est une question de choix.
J: En plus, l’art du quotidien c’est toujours du renouveau. Et alors, évidemment, les oeuvres ne sont pas très vendables. Le public a besoin d’un certain temps d’adaptation pour s’y familiariser. L’art n’est pas un travail axé sur la vente, mais sur la compréhension.
Quels projets pour l’avenir?
D-J: A partir du 24 novembre nous exposerons à Metz, dans le cadre du Prix Robert Schuman. Nous présenterons quatre oeuvres, qui ont comme fil conducteur la consommation. Nous participerons également à un projet d’échange du Casino-Luxembourg et de la Jan Koniarek Gallery de Trnava (Slovaquie). Et nous avons commencé à planifier un nouveau projet: un symposium d’une dizaine de personnes environ, pour l’automne 2002.
Il y a beaucoup d’artistes au Grand-Duché.
J-D: Oui, par rapport au nombre d’habitants, la proportion est remarquable, et beaucoup sont bien, notamment parmi les jeunes. Depuis 1995 le Casino joue un rôle important. Cette année a apporté des changements très positifs et depuis on n’a pas fait de pas en arrière. Désormais les luxembourgeois font partie de l’art international, tandis qu’auparavant, on était très arriérés.
Et les rapports entre les artistes?
J-D: Il y a différents courants dans l’art luxembourgeois, comme partout. On peut presque parler de clans. La distinction se fait surtout entre le courant qui est axé sur l’esthétique (art-esthétique), d’une part, et le courant de l’art conceptuel, où l’esthétique ne joue pas le rôle principal. En fait, plutôt que d’art conceptuel il s’agit d’art contemporain. Pour nous, l’art peut être esthétique, mais aussi laid. Souvent le public est plus conservateur que les artistes. Mais le nombre de gens qui s’intéressent à l’art contemporain est en train d’augmenter.
Mais il devrait y avoir de la place pour tout le monde.
J: Oui, il y a de la place, mais il faut bien trancher. Parce que l’art, pour moi, implique de faire des choses contemporaines, autrement j’ai des difficultés pour appeler cela de l’art. Rembrandt était contemporain, mais maintenant il ferait autre chose, peut-être qu’il travaillerait comme nous! Nous sommes contemporains.
D: Au fond, tout art est conceptuel.
Quel est votre concept?
D-J: On travaille dans la vie de tous les jours. Le spectateur est confronté à notre art dans sa vie quotidienne. Nous lui racontons des aspects de la réalité, mais sans porter des jugements. Le spectateur apporte une partie active à notre art. Notre oeuvre n’est pas finie sans l’intervention du spectateur. Nous l’intégrons physiquement et activement, il commence à devenir artiste grâce à nos propositions. Sans lui notre oeuvre n’est même pas concevable.
Quels rêves aimeriez-vous réaliser?
(Rires)
D: Un château!
J: Une brasserie, j’aimerais!
D-J, J-D: En réalité, nous faisons tout ce que nous voulons.
Interview réalisée par Paca Rimbau Hernández
Absurdité et rire sont à la base du travail „Miss Piggy’s daydreams“ (1998) avec lequel Dany Prum et Jerry Frantz ont été sélectionnés pour le Prix d’Art Robert Schumann 2001. Le vernissage de l’exposition aura lieu le samedi 24 novembre à 11.30 heures, Musée de la Cour d’Or, Metz. Informations,
tél. 0033 3 87 55 52 82.