Les économistes sont des néolibéraux dangereux ou des professeurs ennuyeux, parfois les deux à la fois. Paul Jorion est différent, par sa façon d’être comme par sa façon de penser.

Les Français, tout cartésiens qu’ils soient, ont le goût des prophètes. C’est que, parmi les « grands hommes » qui font la fierté nationale, à côté de Descartes et de Voltaire, il y a Nostradamus. Pour sa conférence au Luxembourg, l’anthropologue, financier et économiste belge Paul Jorion est annoncé comme « l’un des rares à anticiper, dès 2004, ce qui allait devenir la crise des subprimes » – une description adéquate. Or, la parution de son livre « Vers la crise du capitalisme américain » en 2007, juste avant l’éclatement de la crise, une coïncidence due au hasard, lui vaut d’être considéré en France par beaucoup comme une sorte de « prophète de la crise ».
Le label « prophète » séduira les uns, mais effarouchera les autres. Ce serait dommage, car Paul Jorion est un personnage dont les idées sont intéressantes en elles-mêmes, sans qu’on lui attribue des pouvoirs surnaturels. Dans les années 1970, il fait des études d’anthropologie, et passe par un large éventail d’occupations, du matelot à l’expert en intelligence artificielle, comme le raconte son portrait dans Libé en 2009. Dans les années 1990, il travaille dans la finance et va habiter aux Etats-Unis. C’est là qu’il a l’occasion d’analyser les mécanismes du capitalisme financier vus de l’intérieur, et en particulier le fonctionnement du marché immobilier américain. Cette expérience aboutit à la rédaction du fameux livre prédisant une crise des subprimes et à sa reconversion en « économiste alternatif ».
Surtout s’attaquer au capitalisme financier
Paul Jorion donnera une conférence au Luxembourg mercredi prochain – les détails sont indiqués sur son blog www.pauljorion.com/blog. On y trouve également trois billets témoignant du passage au Luxembourg d’un auteur anonyme qui signe « Un Belge ». Si, pour Jorion le financier, le Luxembourg est sans doute en premier lieu un noeud du réseau de la spéculation internationale, le mystérieux visiteur a relevé le contraste entre le Pfaffenthal du « Bon Peuple » et le « Kirchberg District », repaire des élites financière et européenne. « Un Belge » compare le Kirchberg à l’Olympe, « où Zeus, Héra, Poséidon et leurs semblables se livraient aux intrigues les plus infantiles, plongeant les hommes dans les tourments les plus cruels pour de basses questions d’orgueil, lorgnant les peuples en perdition, là-bas, sous les nuages… ». Et de prédire que « tout ce délire prendra fin? Comme les précédentes forteresses de Luxembourg, le Kirchberg sera pris et démantelé ».
Paul Jorion tentera sans doute de contribuer à cette démolition, car le titre de son intervention est « Une autre finance est possible ». Il ne faut sans doute pas s’attendre à ce que cet économiste atypique expose un système parfaitement ficelé. Jorion est d’abord intéressant par la pertinence avec laquelle il analyse les dysfonctionnements du système et l’originalité de ses idées, empreintes d’un désir de justice sociale. Et, bien évidemment, sa capacité à démonter le mythe de l’homo oeconomicus, sur base à la fois de son savoir d’anthropologue et de son expérience parmi les requins de la finance.
Jorion semble intéressé par toutes les idées qui font débat au sein des mouvements alternatifs. Ainsi, il s’est exprimé de manière nuancée sur la question du revenu universel. Il estime qu’il faut surtout s’attaquer à la logique du capitalisme financier, qui absorbe la richesse nécessaire pour rendre possible ce type de redistribution. Pour cela, il propose de couper les ailes à la finance et à ses lobbies, en démantelant les gros opérateurs et en favorisant une finance relocalisée.