ARCHITECTURE: Fondations fragiles

Une exposition veut donner une „vue d’ensemble sur un siècle de création urbanistique et architecturale au Luxembourg“. Pari perdu.

„Il s’agit de développer auprès du public et des professionnels la conscience d’une continuité du patrimoine architectural.“ Cet objectif louable est énoncé par Erna Hennicot-Schoepges dans un catalogue d’exposition récent. Il vient de culminer dans le financement par le Ministère de la Culture de l’exposition sur „l’architecture du XXe siècle au Luxembourg“, montée par la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie. Ce n’est pas la première tentative de faire connaître au public l’architecture luxembourgeoise: en 2001 déjà, une première expo avait été montrée à Vienne, dont le spectre chronologique était plus étendu.

Inventaire arbitraire

Ces deux faits à eux seuls suffisent pour soulever un nombre de questions. Pourquoi la première exposition, commandée par des responsables viennois dans le cadre d’une série sur l’architecture dans différents pays, n’a-t-elle pas été montrée par la suite chez nous, voire même dans d’autres pays? Comment se fait-il que l’effort financier et humain pour son élaboration ait été si peu valorisé? Pourquoi une nouvelle exposition a été conçue ensuite, qui, si elle s’inspire des premiers travaux, repose pourtant sur un autre concept?

Justement, ce concept: pour qui entre dans l’espace d’exposition de la Banque de Luxembourg à Kirchberg, le fruit du travail du commissaire Michel Petit se présente comme une succession de fiches documentaires sur diverses réalisations architecturales luxembourgeoises, élégamment mises en scène, mais sans suspens aucun. Pour certaines notices, des textes ont été ajoutés aux données de base sur les édifices reproduits en photo, pour d’autres non. Les textes, souvent repris de publications existantes, varient entre descriptif concis d’un projet, évaluation plus ou moins subjective ou encore point de vue plus général sur l’expression d’un certain style au Luxembourg. Ainsi, à côté de textes plus sobres, on peut lire le commentaire suivant au sujet de la crèche de Bettembourg réalisée par Hermann & Valentiny: „On regrette la façade principale et sa grandiloquence.

Beaucoup partageront cette appréciation, mais est-elle de mise dans le cadre d’un concept „documentaire“? La notice sur le magasin Monopol par contre se lit comme une explication historique sur l’apparition du prêt-à-porter.

L’exposition est divisée en quatre grands thèmes: urbanisme, habitat, bâtiments publics, lieux de travail. On ne nous éclaire pas sur le pourquoi de ce choix, ni sur les critères de sélection des divers projets présentés. Par exemple, dans le chapitre „lieux de travail“, la notice sur le restaurant „Cat Club“ (un des rares intérieurs présentés) se retrouve côte à côte avec celles sur les Rotondes et sur le bâtiment „Heintz van Landewyck“.

Manque de sensibilité

En parcourant l’exposition, on gagne l’impression que lors de sa conception, l’esthétique a primé sur la volonté de monter un projet pédagogique visant le but cité en début d’article. Cette accumulation de détails n’est pas seulement trop incomplète pour dégager une vue d’ensemble sur l’architecture luxembourgeoise. Pire, elle n’est pas non plus intégrée dans un cadre qui rapprocherait le public du sujet. Si déjà on a reproduit bon nombre de textes parus dans d’autres publications, on aurait pu s’inspirer du catalogue bien fouillé de l’expo viennoise pour développer un cadre explicatif.

Ce manque traduit bien sûr le malaise plus profond de l’architecture luxembourgeoise: s’il y a eu diverses tentatives de synthétiser son évolution, ils ont tous manqué d’une base indispensable à une telle tentative: un inventaire solide et généralisé. Comme dans d’autres domaines, l’Etat et les autres instances publiques (notamment les communes) ont jusqu’ici cruellement manqué de sensibilité et en conséquence de moyens pour documenter systématiquement la création architecturale. Comment alors donner une description fondée de l’évolution du patrimoine? Et comment livrer une vue plus complète, aussi bien sur les faits concrets de la construction que sur les méandres de l’évolution architecturale? Comment enfin développer une analyse critique qui, tout en reposant sur des connaissances précises, soit plus qu’une collection de données? Qui s’exprime par exemple sur les destructions massives de ce patrimoine durant le 20e siècle. Ou encore sur le phénomène que Walter Zschokke, dans le catalogue viennois, appelle „Alterswerke – oder Dutzendwerke – eingeflogener Stars“. Seul espoir: la création prévue d’une université va peut-être forcer les autorités culturelles à développer une approche sinon scientifique, alors du moins méthodique.


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