ART DRAMATIQUE ALTERNATIF: Trois, deux, un… impro !

Moins médiatique que son grand frère l’art dramatique, le théâtre d’improvisation a pourtant fait son trou au grand-duché. Le woxx s’est plongé au coeur d’un genre qui, au fil du temps, a su trouver son public.

Les Improtozaures donnent tout sur scène. (Photo : Ligue d’improvisation luxembourgeoise)

« Improvisation comparée ayant pour titre : `A l’envers‘ ; nombre de joueurs : illimité ; catégorie : libre ; durée de l’improvisation : quatre minutes ! » De part et d’autre de la scène entourée d’une balustrade, les deux équipes se concertent pendant vingt secondes : c’est le « caucus », unique occasion de se mettre d’accord sur ce qu’elles s’apprêtent à jouer. Un sifflet les interrompt. L’arbitre lance un palet ; l’équipe dont la couleur sort choisit de se lancer. Il lui faut désormais jouer sans filet pendant deux cent quarante secondes sur le thème énoncé. Durant les deux fois trois quarts d’heure que dure un match, les improvisations se succéderont, ponctuées par le vote du public qui, au final, déterminera les vainqueurs. Les comédiens lui semblent-ils trop vulgaires ou tout simplement pas à la hauteur ? Ils recevront sur scène des pantoufles distribuées aux spectateurs à l’entrée… et qui bien souvent serviront aussi à conspuer l’arbitre s’il est soupçonné de partialité !

Si la tradition des joutes oratoires remonte à l’Antiquité, le concept de match d’improvisation a été codifié en 1977 à Montréal avec des règles évoquant le hockey sur glace, passion québécoise s’il en est. Il a ensuite essaimé rapidement dans les pays francophones, avec la création de ligues d’improvisation en France, Belgique et Suisse dès les années 1980. Son pendant anglo-saxon, le « Theatersports » (marque déposée…), développé la même année à Vancouver, s’inspire pour sa part des combats de catch.

Un produit du bouillonnement culturel d’après 1995

Dès 1998, des cours d’improvisation se mettent en place au Luxembourg, d’abord sous forme d’ateliers à la Kulturfabrik, puis dans un local de Bonnevoie. Ils sont organisés par la Ligue d’improvisation luxembourgeoise, créée à cette occasion. Alain Holtgen, 53 ans, son cofondateur, se souvient : « Le bouillonnement culturel d’après 1995, lorsque Luxembourg a été capitale européenne de la culture, a incité de nombreuses personnes à introduire de nouvelles formes d’expression artistique au grand-duché. Pour ma part, j’ai immédiatement pensé à l’improvisation que j’avais découverte quelques années auparavant lors de ma formation de comédien. »

La structure assure chaque année une dizaine d’interventions en entreprise, où des comédiens professionnels mettent en scène des situations rencontrées au travail d’une manière humoristique, favorable à l’apprentissage. La taille du pays n’est cependant pas propice à une professionnalisation complète. C’est pourquoi Holtgen crée en 2003 une compagnie amateur, les Improtozaures, avec les élèves avancés de ses cours qui souhaitent aller plus loin et se confronter à la scène. « Nous souhaitions nous reposer sur un double principe : formation et spectacle », se souvient-il, tout en concédant que, à l’époque, il n’était pas certain du succès de cette aventure.

Quelque dix années plus tard, celui-ci est cependant au rendez-vous, à en juger par le programme de la saison 2014-2015 : pas moins de 22 dates, déclinées en trois types de spectacles, avec des invités belges et français. La petite salle du Théâtre « Le 10 » – une cinquantaine de personnes en se serrant bien -, près du Kalchesbréck, est souvent pleine pour les représentations ; la troupe se produit aussi régulièrement au CCRN et au café-théâtre Rocas en ville.

Le public, qui prend part à la représentation comme on l’a vu, est évidemment un élément déterminant de cette réussite. Justement, qui vient assister à des matchs d’improvisation ? « Nous avons un public populaire dans le sens noble du terme », affirme Holtgen, qui indique une moyenne d’âge d’une trentaine d’années. Il n’est pas rare de croiser des enfants : l’improvisation gestuelle, aussi importante que l’invention verbale, séduit aussi les plus jeunes. « Les gens viennent pour se changer les idées. On leur propose un spectacle humoristique, mais il faut en permanence être vigilant pour garantir une certaine qualité, ne pas tomber dans le vulgaire. » D’où l’importance d’une formation solide avant de monter sur scène. « Bien sûr, la base reste la composition d’un personnage pour raconter une histoire. Mais le maître mot est : sincérité. Il faut que le public y croie. »

Le doux stress de la scène en point de mire

L’école de théâtre associée à la Ligue d’improvisation luxembourgeoise propose ainsi des séances de diction et d’art dramatique. Si la participation à ces cours n’est pas indispensable pour les candidats improvisateurs – environ quarante élèves sur quatre niveaux de cours -, Holtgen insiste sur le caractère complémentaire de ces disciplines et l’importance des textes classiques et modernes dans la culture générale requise pour improviser sur scène avec succès.

« L’improvisation est une bonne école pour le théâtre aussi », confirme Laurent, avocat, à l’issue d’un cours où se sont enchaînés les exercices à un rythme effréné. « On doit très vite apprendre un personnage et effectuer rapidement un travail de réflexion et de construction dramatique. » Ce que confirme Marie-Christine, traductrice retraitée, qui a toujours voulu faire du théâtre mais « sans parvenir à franchir cette barrière de l’expression en public ». Pour elle, c’est une excellente première approche pour s’orienter plus tard vers l’art dramatique. « Et puis, dans le cadre familial, c’est sympa de pouvoir mettre une touche d’humour lorsque nous sommes réunis. »

Au-delà d’une passerelle vers les planches, certains élèves veulent aussi exploiter les compétences acquises dans leur vie professionnelle. Mickaël, coiffeur, confie à ce propos que, « dans son métier, il donne des formations, et que l’improvisation [lui] permet de mieux parler en public et d’apporter un peu d’humour dans un discours qui sinon serait un peu trop classique ». Il espère un jour monter sur scène, tout comme Pierre, informaticien, qui voit dans les cours un moyen de continuer à progresser dans une discipline théâtrale sans pour autant y consacrer trop de temps dans un agenda particulièrement chargé : « Mais un des plaisirs que je recherche, c’est aussi ce `doux‘ stress de la scène. Parce que le jour où j’annoncerai à mes collègues qu’ils pourront me voir dans un spectacle, ils viendront probablement nombreux et ce sera évidemment stressant… »

Autre personne, autres objectifs. Venue à l’improvisation par l’expression corporelle, Valérie explique qu’elle y cherche avant tout un moyen de se défouler. La jeune médecin ne vise ni les spectacles, ni un bénéfice pour sa vie professionnelle ; elle a une raison bien plus personnelle de suivre les cours : « En privé, je parle très bas. L’improvisation m’oblige donc à parler plus fort ! » De fait, le but est clairement atteint à en juger par les exercices de ce soir. Au final, les attentes personnelles sont très variées, rien que pour ce cours où six personnes sont présentes.

Après s’être échauffés physiquement par des courses et des exercices de contrôle du corps et de confiance en l’autre, les participants ont pratiqué plusieurs catégories utilisées en spectacle : la régression, où une même histoire est jouée successivement dans des versions d’une minute et trente secondes, trente secondes puis dix secondes ; le conférencier, où une personne parle immobile et l’autre fait les gestes des mains correspondants ; ou encore le doublage américain, où deux acteurs bougent les lèvres alors que leurs coéquipiers assis sur scène improvisent un dialogue. « Un vrai sport ! », lance Laurent, un brin essoufflé.

Bientôt dans la langue de Dicks ?

La discipline stimule effectivement tant le physique que le mental. Chacun apporte sa pierre à l’édifice pendant les spectacles, d’où la nécessité de profils variés. C’est pourquoi la ligue organise régulièrement des castings afin de compléter son vivier de talents. Les heureux élus se voient proposer de suivre pendant quelque temps les cours de niveau avancé avant de rejoindre le grand bain des Improtozaures qui se produisent sur scène, au nombre d’environ une vingtaine. Composer une équipe nécessite un savant mélange d’ingrédients, selon Alain Holtgen : « Il faut bien sûr un leader et des équipiers, mais les univers de chacun – humour, dérision, ironie… – doivent être complémentaires afin que l’équipe soit équilibrée. »

Quel avenir pour l’improvisation luxembourgeoise ? Pour perdurer, l’une des clefs du succès consiste en un renouvellement permanent tant des comédiens que du concept. A ce titre, les invitations à l’étranger, où la troupe se rend une demi-douzaine de fois par an, permettent de se rendre compte de la vitalité du théâtre d’improvisation francophone et de grappiller quelques idées. D’ailleurs, si la discipline est pour l’instant résolument francophone au Luxembourg, Alain Holtgen caresse depuis quelques années l’espoir de « créer un groupe qui joue en luxembourgeois, afin de se produire partout dans le pays ». Un défi de plus pour un genre habitué à la corde raide à chaque instant.

www.improvisation.lu
D’autres troupes assurent au Luxembourg des spectacles d’improvisation :
www.poil.lu et www.gipl.lu


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