MUSIQUE: Christine et les boy-scouts

Après Zap Zoo et les Chief Marts, c’est désormais au tour du jeune groupe luxembourgeois Couchgrass de faire ses valises et de partir au Eurosonic Festival à Groningen aux Pays-Bas.

Couchgrass (de gauche
à droite): Claude, Claire, Dirk, Amandine et Vicky.

Couchgrass, c’est une „mauvaise herbe avec des racines longues qui poussent le long du sol“. Agropyron repens pour les latinistes. Pas franchement très ragoûtant, mais comme tant de groupes avant eux, le quintette a trouvé son nom en feuilletant le dictionnaire. „Zimlech boring“, avoue Amandine Klee, la „frontwoman“ de la formation, à propos de la démarche.

Quand Couchgrass s’est pour la première fois présenté au grand public, à l’occasion de l’Emergenza en 2003, personne n’attendait ces inconnus de la scène musicale luxembourgeoise. Lors des éliminatoires du concours pour groupes débutants à la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette, les prestations se suivent en staccato, 20 minutes sur scène pour convaincre le public qui doit décider par vote à main levée du sort des participant-e-s. Un public qui vient pour encourager les copains, mais aussi pour s’amuser aux dépens de ceux qui auraient mieux fait de rester dans leur salle de répétition. Pour Couchgrass, c’était un peu mal parti. Un groupe avec trois filles qui veut jouer du rock … Surtout que les filles, Amandine Klee, Claire Barthelemy et Vicky Stoll en l’occurrence, ne se contentent pas de tenir le micro, mais co-écrivent chansons, textes et jouent les guitares, à côté de Claude Dernoeden, le bassiste et Dirk Kellen, le batteur. Les spectateurs et spectatrices s’apprêtaient à quitter la petite salle de la Kufa pour aller prendre un verre au bar à côté, quand Amandine entre en scène, balayant sur son passage le gentil animateur de la soirée un peu guindé, qui devait présenter les groupes au public. Avec Couchgrass, il n’a même pas eu le temps d’esquisser un sourire gêné, qu’ils étaient déjà lancés.

Pilotage à vue

Non seulement le public est resté, mais a pratiquement plébiscité ceux dont personne n’avait entendu parler jusque-là. Trois tours et quelques courts-circuits plus tard, le groupe termine troisième du concours. Un sérieux coup de pouce. Les concerts s’enchaînent, au printemps 2004, ils sortent leur premier album auto-produit „Motel Love“ et jouent le Rock um Knuedler la même année. Re-court-circuit. C’est un peu le „running gag“ de la formation: à chaque concert, il y a un ampli qui pète les plombs ou une guitare qui se retrouve soudain en panne. Amandine est désormais passée maîtresse dans l’art de divertir le public pendant que les techniciens essaient de dénicher du matériel de rechange. Le groupe fait avec mais n’apprécie pas trop ces séances d’improvisation involontaires, surtout parce qu’elles semblent confirmer une image de sympathiques bordéliques dont les cinq ont depuis tenté de se débarrasser.

„Au début, on nous connaissait surtout comme le groupe de dilettantes avec les trois filles sur le devant de la scène“, dit Vicky, „mais depuis, la façon dont les gens nous perçoivent a changé.“ Avec leur rock alternatif façon Sonic Youth ou PJ Harvey, aux riffs simples mais efficaces et au chant à la fois énergique et nonchalant, ils ont fini par s’imposer. D’ailleurs, Couchgrass n’aime pas que le groupe soit réduit à l’originalité de sa composition. „Comment Dirk et Claude doivent-ils le prendre si on nous qualifie sans cesse de ‚girlie-retro-rock-band‘?“, dit Vicky. Et Claire ajoute: „Nous avons tout simplement voulu faire de la musique, nous avons fondé un groupe et nous nous sommes retrouvés avec trois filles et deux garçons.“

Parmi la trentaine de groupes qui avait participé à
l’Emergenza 2003, Couchgrass est une des rares formations à ne pas s’être dissoute ou alors entièrement recomposée à l’issu du concours. Vicky est certes partie un moment, pour donner la priorité à ses études, ne croyant pas pouvoir trouver son équilibre entre les deux pôles. „Après quelques mois, j’ai regretté ma décision“ explique-t-elle. Début 2004, elle a réintégré la formation qui avait entre temps enregistré le premier album „Motel Love“ en tant que quatuor. Ce qui frappe à l’écoute du disque est le savoir-faire étonnant en matière de composition et d’arrangement, surtout dans „L-Pill for the Lonely“ ou „Put the gun down“, largement dignes de tout ce qui sort sur le marché international pour l’instant. Les textes sont un étrange mélange entre déconne („Boyscout“), mise à nu („Underneath the Grass“) et références littéraires ou cinématographiques. „Christine“ par exemple est un hymne à l’auteure française Christine Angot. A la lecture des paroles, écrites soit par Amandine, soit par Claire, on se croirait en permanence dans un film de David Lynch: des veuves en mal d’amour attendent leurs victimes dans des motels sordides, les décors de prédilection de Couchgrass sont les contrées désertes, les asiles psychiatriques – tout ce qui est un peu glauque en somme.

Tenir le cap

Contrairement à d’autres groupes là encore, ils ont pour l’instant réussi à passer le cap difficile de la transition du lycée à l’université. Claude et Claire étudient à Bruxelles, Vicky à Cologne, Amandine fait sa dernière année de lycée. Bientôt Dirk s’en ira poursuivre ses études à Londres, ce qui risque de poser quelques petits problèmes. „Mais je suis sûre que nous allons trouver une solution“, dit Amandine. Diviser son temps entre les études et la musique s’avère néanmoins difficile. „C’est clair que le travail scolaire pâtit un peu“, explique Claude, mais ajoute: „Si nous ne pouvions plus jouer de la musique, nous n’aurions pas non plus la motivation de travailler pour nos cours.“ Une première grande épreuve sera sans doute le festival de Groningen. Il se trouve que c’est en pleine période des examens pour Claire et Claude. Jusqu’à 18h30, ils noirciront les feuilles à Bruxelles, pour ensuite se mettre en route pour les Pays-Bas, en espérant arriver à temps pour le sound-check à 23h45.

Mais le jeu en vaut la chandelle, puisque les groupes luxembourgeois ont assez rarement l’occasion de se glisser entre les grands noms lors des festivals internationaux. A Groningen, Couchgrass se produira dans le cadre d’un „Newcomer-Showcase“ dans la Muziekschool et partageront – même si c’est en toutes petites lettres – l’affiche avec des formations comme les Beatsteaks, Moneybrother ou les Donots. Leur participation, rendue possible grâce à la radio 100,7, a d’ores et déjà porté ses fruits, puisqu’ils ont été approchés par des promoteurs étrangers et ont décroché d’autres concerts, par exemple au festival Wardin Rock en Belgique. Pour cette année, leur seule résolution est de continuer dans la même veine. Faire peut-être une petite tournée avec les Luxembourgeois de Holy National Victims en août, jouer des concerts, et surtout entrer en studio au printemps, pour produire un deuxième album.

Leur style est resté le même essentiellement depuis leurs débuts, même s’ils évoluent davantage dans la direction „stoner-rock“ avec des plages instrumentales et un plus grand soin accordé à la création d’atmosphères. Pour l’instant pas de frustration artistique en vue, les membres expérimentent avec d’autres styles en privé (l’électro entre autres), mais rien qui risquerait d’entrer en conflit avec Couchgrass. „Je dirais que nous avons trouvé un bon compromis entre les préférences de chacun“, dit Dirk.

Et s’ils pouvaient choisir de se réincarner dans la peau de n’importe quel musicien-ne, mort-e ou vivant-e? „Ani DiFranco peut-être“, dit Vicky, parce qu’elle a réussi à faire carrière tout en restant indépendante. Les autres ne savent pas trop. Pour Claude se sera le lapin Duracell, „well dee sou laang trommele kann.“ Et Claire conlut: „En ce moment, ça me convient très bien d’être Claire de Couchgrass.“

Couchgrass au Eurosonic Festival à Groningen (NL),
ce vendredi 14 janvier. Pour plus d’infos ou pour commander leur CD „Motel Love“: www.couchgrass.de.vu


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