ÉLECTIONS EUROPÉENNES: Qui sème la misère…

… récolte la colère. Face à une situation économique stagnante et au discrédit de la classe politique, une grande partie des Français a choisi l’abstention et le vote Front national. Tentative d’explication.

Allons enfants de la patrie…Près d’un tiers des votants de moins de 35 ans
a déclaré avoir voté
Front national.

« Tremblement de terre », « choc », « vague bleu marine », voilà les mots qui ont été employés pour décrire les résultats du scrutin européen en France. Le Front national arrive en tête avec 25 %. L’UMP, fragilisée par les nombreuses affaires au sein du parti, figure en deuxième place avec 20,3 %. Le Parti socialiste, au gouvernement, n’atteint que 14,7 %, tandis que les centristes de l’UDI/Modem rassemblent 10 % des voix. Les Verts arrivent en cinquième place avec 8,7 %, le Front de gauche fait 6,6 %. L’abstention recule de deux points par rapport aux élections européennes de 2009 et représente 57,6 %.

On a assisté, pendant les élections européennes comme pendant les dernières élections municipales, à une surmobilisation de l’électorat frontiste, contrairement à celui de la gauche et de l’UMP. En jetant par-dessus bord l’essentiel de son programme électoral de la présidentielle, François Hollande a durablement perdu son électorat et provoqué une crise de confiance profonde et persistante. N’osant pas mettre en cause la doctrine néolibérale de l’austérité prônée par Angela Merkel, apparaissant comme impuissant face à une mondialisation dévastatrice en termes de protection sociale et incapable de dompter les marchés financiers, Hollande et son gouvernement sont les premiers responsables de la victoire du FN. En menant une politique gouvernementale qui, en ce qui concerne les questions économiques et sociales, ne se différencie pas de celle menée par la droite sarkozyste, il a favorisé le vote de protestation, voire de rejet. Néanmoins, les sondages indiquent que ce vote protestataire est de plus en plus en train de se transformer en vote d’adhésion. Ceux qui aujourd’hui votent FN sont de plus en plus nombreux à espérer voir Marine Le Pen gagner la présidentielle de 2017.

Surmobilisation de l’électorat frontiste

Il convient de dire que, contrairement aux déclarations faites par les dirigeants du parti, le résultat des élections européennes ne suffit pas pour qualifier le Front national de « premier parti de France ». Compte tenu de l’abstention massive, le FN ne représente que 10,75 % du corps électoral. En plus de cela, le parti lepéniste n’est le premier parti ni par le nombre de ses militants, ni par son poids institutionnel.

Le succès du FN s’explique par l’attitude des couches populaires, si l’on en croit les chiffres publiés par Ipsos. L’électorat populaire a d’abord massivement déserté les urnes, ensuite, la part qui est quand même allé voter a massivement choisi le FN.

Chez les ouvriers, 43 % des votants affirment avoir donné leur voix au parti de Marine Le Pen. Chez les employés, il en est de même pour 38 %, et chez les chômeurs pour 37 % des votants, tandis que chez les cadres supérieurs, seuls 9 % auraient voté FN. 30 % des moins de 35 ans contre 21 % des plus de 65 ans disent avoir voté FN.

Les raisons de la cote de popularité de Marine Le Pen et du taux d’abstention élevé sont vite trouvées : chômage, plans sociaux, austérité, un pouvoir d’achat en baisse constante, le discrédit de la classe politique entière? mais aussi un sentiment d’insécurité généralisé, la peur d’une « islamisation » de l’Europe et le rejet de l’autre, l’autre voulant surtout dire : le Rom. En faisant de l’immigration et de l’insécurité un sujet d’actualité, tant l’UMP que le PS ont contribué à la montée du FN. Si tous sont d’accord que les deux sujets sont liés et qu’il faut « protéger » la France, pourquoi ne pas voter pour ceux qui disent cela depuis bien plus longtemps ? En surfant sur la vague de la peur du Rom, des socialistes comme Manuel Valls ont non seulement marqué leur rupture avec des valeurs socialistes telles que l’internationalisme et l’antiracisme, mais aussi boosté les populistes du Front national. Les médias français n’y sont pas pour rien non plus. Alors que Jean-Marie Le Pen, personnage sulfureux et parfois incontrôlable, a été longtemps boudé par radios et télévisions, sa fille, médiatiquement talentueuse, enchaîne les passages à la télé. En apparence plus modérée que son père, Marine Le Pen a compris qu’il y a des erreurs à ne pas faire. Elle a débarrassé son parti des résidus antisémites et de tout ce qui pouvait faire peur au citoyen lambda et elle s’est en revanche parée de valeurs bien françaises comme le républicanisme et la laïcité.

La majorité des votants FN se sont mobilisés pour « s’opposer au gouvernement » (69 %) et ont motivé leur vote par des « questions nationales » (58 %). Le même pourcentage d’électeurs du Front national estime que l’Europe est « une mauvaise chose », contre 23 % de l’ensemble des votants. 92 % des électeurs FN voient le « renforcement des pouvoirs nationaux » comme solution face à la crise, et 66 % veulent sortir de l’euro et repasser au franc.

Un monstre indomptable

L’Europe apparaît de plus en plus comme un monstre indomptable. Les gens ne se reconnaissent pas dans cette Union européenne. On ne se reconnaît que dans ce qu’on choisit, et les Français, comme grand nombre d’Européens ont l’impression qu’on ne leur a jamais laissé le choix. Une des rares fois où ils ont eu leur mot à dire, lors du référendum sur le traité de Lisbonne, ce choix n’a, par la suite, pas été respecté. Face à la crise, au lieu d’opter pour une politique de relance et de solidarité, l’Europe semble avoir choisi la rigueur généralisée et la concurrence entre Etats sous l’impulsion de Merkel.

Le total des voix de la gauche, celles du PS, des Verts, du Front de gauche et de Nouvelle Donne additionnées, n’est que de 33,5 %. Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale la gauche n’a été dans un tel état de faiblesse. Alors qu’il peut paraître normal que ni le PS, ni les Verts – jusqu’aux élections municipales de mars, ils ont participé au gouvernement Ayrault – n’aient fait un score élevé, il semble en revanche étonnant que le parti de Jean-Luc Mélenchon n’ait pas su tirer profit de la situation économique et sociale actuelle. Est-ce dû aux batailles internes, surtout celles précédant les municipales, au sein même de la coalition de la « vraie gauche » ? Mélenchon est-il peut-être trop politicien en ces temps de méfiance envers tous les politiciens de la vieille garde ? Est-ce le positionnement du Front de gauche par rapport à l’Europe (« refonder l’Europe sur de nouvelles bases ») qui lui a coûté des voix ?

Opacité institutionnelle et impuissance politique

Pour ce qui est de la participation au scrutin, seuls 31 % des chômeurs, 32 % des employés et 35 % des ouvriers disent avoir voté. Plus de 60 % des personnes à faible niveau de diplôme ne se sont pas rendues aux urnes, tandis que « seulement » 48 % de personnes à haut niveau d’études se sont abstenues. 58 % des électeurs de François Hollande de 2012 ne se sont pas rendus aux urnes pour ces élections européennes, alors que 48 % des électeurs de Sarkozy et 50 % des électeurs de Marine Le Pen se sont abstenus.

32 % de ceux qui se sont abstenus estiment que « les élections ne changeront rien à leur vie quotidienne », 26 % se sont abstenus pour « exprimer leur mécontentement à l’égard des hommes politiques » et 21 % l’ont fait par « manque d’informations sur les élections européennes ».

On est là au coeur du problème : les gens en ont marre. Marre des affaires politiciennes, marre d’un pouvoir public qui pour l’essentiel se trouve alternativement entre les mains de deux partis politiques ne représentant qu’une petite partie de la population, marre de l’aristocratie des grandes écoles. Alors que, suite à l’avènement des nouvelles technologies, la communication politique et sociale est devenue plus horizontale, la Cinquième République avec son centralisme fait figure de « régime vertical », inadapté à la société moderne et incapable d’apporter des solutions concrètes. A cette opacité institutionnelle s’ajoute l’impuissance de la politique. Le Front national, avec son discours certes irréaliste, mais qui s’adresse résolument aux victimes de la crise, apparaît d’une certaine façon comme le parti le plus cohérent.

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