DROIT DE FILIATION: Reconnaître une réalité

La réforme du droit de filiation constitue – a priori – une modernisation nécessaire et importante du droit luxembourgeois. Pourtant, certaines questions restent ouvertes, à en croire l’ORK.

Une réglementation de la situation d’enfants issus d’une GPA s’apparenterait-elle à l’acceptation d’un fait jugé nuisible ? (Photo : PHOTO : STEVEN DEPOLO/FLICKR)

Le projet de loi 6568 relatif à la réforme du droit de filiation a été déposé le 25 avril 2013 par l’ancien ministre de la Justice François Biltgen, une semaine avant la passation des pouvoirs à sa successeure Octavie Modert. Le texte actuellement en vigueur date de 1979.

La réforme du droit de filiation projetée amène quelques changements majeurs, dont probablement le plus important : il n’y aura plus de distinction entre enfants nés d’un mariage ou hors d’un mariage. Que les parents soient mariés, pacsés ou sans lien juridique, les droits de filiation devront s’appliquer de façon égale à tous les enfants. Plus d’enfants « légitimes » ou « illégitimes » donc, mais une appellation commune : « enfant ». Elle sera accompagnée, si besoin est, des mentions « né dans le mariage » ou « né hors mariage ». Peu importe la mention, la reconnaissance de l’enfant pourra se faire avant ou après la naissance.

Dans un souci de « sécurisation » des liens de filiation, le projet de loi élargit les possibilités d’actions judiciaires pouvant être entreprises afin d’établir la filiation d’un enfant. Les possibilités de contestation, au contraire, seront limitées.

Le projet de loi s’attache à clarifier la législation en matière d’accouchements anonymes. Une disposition permettant de garder le secret de l’identité de la mère sera introduite. Avant une éventuelle adoption cependant, le père pourra, avec l’aide du procureur d’État, essayer de retrouver l’enfant.

Plus d’enfants « légitimes » ou « illégitimes » donc, mais une appellation commune : « enfant ».

Autre nouveauté : les dispositions du projet de loi relatives à la procréation médicalement assistée (PMA). Ainsi, en cas de PMA impliquant ce qu’on appelle un « tiers donneur », aucun lien de filiation ne pourra être établi entre l’auteur du don et l’enfant. En clair : par leur consentement préalable à la PMA, les deux futurs parents renonceront à toute action en justice destinée à établir une filiation entre le donneur et l’enfant.

Si l’ancien ministre de la Justice Biltgen avait prévu de garantir l’accès à la PMA aux couples mariés ou pacsés, l’actuel ministre Braz a déjà indiqué vouloir réfléchir à l’introduction de la possibilité de PMA pour tous les couples ayant des problèmes de fertilité.

Concernant la gestation pour autrui (GPA), le projet de loi est formel : elle est formellement interdite.

Lundi, l’Ombudscomité fir d’Rechter vum Kand a rendu public son deuxième avis concernant le projet de loi 6568. Dans celui-ci, l’ORK soulève deux points essentiels : celui de la reconnaissance des enfants nés d’une gestation pour autrui et celui de « l’accès aux origines pour les enfants adoptés ou nés sous X ».
Concernant le deuxième point, l’ORK réitère une critique qu’il avait déjà formulée lors de son précédent avis : le projet de loi 6568 ne prévoit pas de procédure « permettant à tout enfant de connaître ses origines ». L’Ombudscomité renvoie à l’exemple français, où une telle procédure a été mise en place.

Dans un désir de concilier les intérêts de la mère et de l’enfant, la loi française du 22 janvier 2002 réaffirme la possibilité pour une femme d’accoucher sous X, mais lui laisse en même temps l’option de laisser des informations destinées à l’enfant.

À cette fin, elle prévoit une consultation obligatoire de la mère désirant préserver son identité lors d’un accouchement. Elle est ainsi invitée – et non obligée – à laisser des informations sur sa santé et celle du père, les origines de l’enfant et les circonstances de la naissance, ainsi que, sous pli fermé, son identité. De plus, elle est informée de la possibilité et des conditions d’une levée du secret de son identité.

La loi française a mis en place un Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (CNAOP), destiné à centraliser toutes les informations concernant l’origine d’un enfant ainsi récoltées. À la demande de l’enfant ou d’un des parents, et avec le consentement ou en absence de réponse négative de l’autre partie, le CNAOP peut dévoiler l’identité du parent ou des parents biologiques. Si la loi tente donc de faciliter l’accès aux origines des personnes, elle précise en même temps qu’un tel accès est sans effet sur l’état civil et la filiation.

Concernant la GPA, l’Union européenne connaît de grandes disparités : parmi les 28 États membres, seuls trois autorisent la gestation pour autrui.

Tout en se ralliant à la position du législateur français, l’ORK formule quatre revendications concernant l’accès aux origines des personnes adoptées ou nées sous X : d’abord, celle d’informer les femmes désirant accoucher de façon anonyme sur les différentes options existantes ; ensuite, celle – réitérant une revendication contenue déjà dans le premier avis de l’ORK – de créer une entité destinée à la collecte des informations d’origine et de la doter de moyens de recherche élargis, afin de garantir autant que possible l’accès à « tous les documents nécessaires au bon déroulement des investigations » ; de plus, l’Ombudscomité demande la mise en place d’un accompagnement spécifique tant pour l’enfant adopté que pour les familles biologique et adoptive lors des démarches de recherche des origines ; finalement, il suggère la mise en place d’une « politique de formation des professionnels de la santé et de l’Éducation nationale concernant les sujets d’adoption, d’abandon et d’accouchement dans le secret ».

Dans son article 342-11, le projet de loi portant réforme du droit de la filiation établit : « Toute convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle. » Ainsi, il exclut la possibilité, pour des couples résidant au Luxembourg, d’avoir recours à ce qu’on appelle une « mère porteuse ». En déclarant toute convention à cette fin nulle, le projet de loi exclut aussi de reconnaître la filiation légalement établie à l’égard d’enfants nés par cette méthode dans un pays où la GPA n’est pas interdite.

Si l’Ombudscomité fir d’Rechter vum Kand estime qu’il ne faut « en aucun cas favoriser la commercialisation du corps humain », il considère toutefois une conciliation entre l’intérêt de l’enfant et les dispositions d’ordre public « obligatoire ». En d’autres mots : « Il faut (…) être réaliste et savoir que le maintien de l’interdiction pure et simple sans autres conditions pourrait résulter en un commerce au marché noir, qui ne serait ainsi plus contrôlable du tout. »
Concernant la GPA, l’Union européenne connaît de grandes disparités : parmi les 28 États membres, seuls trois – le Royaume-Uni, la Grèce et la Roumanie – autorisent la gestation pour autrui. Si le Royaume-Uni et la Grèce interdisent la commercialisation de la pratique, la Roumanie ne s’est pas prononcée à cet égard. Sept pays interdisent la GPA : l’Allemagne, la France, l’Italie, la Bulgarie, Malte, l’Espagne et le Portugal. Au sein de ce groupe, des disparités existent. Ainsi, l’Espagne permet d’inscrire sur les registres d’état civil les enfants issus d’une GPA – contrairement à la France.

Le respect de la vie privée inclut la possibilité, pour chaque personne, de pouvoir établir les détails de son identité, y compris sa filiation.

18 pays de l’Union européenne ne se prononcent pas sur la gestation pour autrui dans leurs textes de loi – ce qui ne veut pas dire qu’elle n’existe pas dans ces pays.

Pour l’ORK, des arrêts récents de la Cour européenne des droits de l’homme « ne font que confirmer l’urgence et l’importance de légiférer en la matière ». Il est fait référence à plusieurs affaires traitées par la CEDH ces dernières années.

Ainsi, dans l’affaire « Labassee contre France », la cour a été saisie par un couple français se voyant confronté au refus des autorités françaises de transcrire sur les registres d’état civil l’acte de naissance de l’enfant né d’une gestation pour autrui aux États-Unis. Alors que la filiation était légalement établie aux États-Unis, le tribunal de Nantes considérait que « la convention de mère porteuse était nulle car conclue en violation de la loi française ».

Le 26 juin 2014, la CEDH a condamné la France pour non-respect de l’article 8 relatif au respect de la vie privée et familiale de la Convention européenne des droits de l’homme, tout en établissant une différence entre le respect de la vie familiale et celui de la vie privée de l’enfant. Si une violation du respect de la vie familiale n’est pas établie pour la CEDH, elle estime cependant que le refus des autorités françaises porte atteinte au respect de la vie privée de l’enfant. Dans sa conclusion, la cour rappelle que le respect de la vie privée inclut la possibilité, pour chaque personne, de pouvoir établir les détails de son identité, y compris sa filiation.

Pour l’ORK, des problématiques similaires à celles traitées par la Cour européenne des droits de l’homme pourraient se poser au Luxembourg. D’un côté, la question du « lien de filiation entre le père biologique et son enfant » peut être interprétée différemment selon les juges : la transcription du lien de filiation sur les registres d’état civil luxembourgeois peut être acceptée comme elle peut être refusée, du fait que ce lien est basé sur une fraude à la loi luxembourgeoise. En ce qui concerne la reconnaissance du lien – d’adoption – entre enfant et mère « d’intention », rien n’est réglé.

En se référant à l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant – le droit à la non-discrimination et à l’égalité de traitement -, l’Ombudscomité conclut que si toute convention en vue d’une GPA est considérée comme « nulle » par le projet de loi 6568, les enfants nés de cette méthode de procréation « existent pourtant et devraient pouvoir bénéficier d’une protection comme tout autre enfant ». Pour l’ORK, qui estime qu’un enfant ne peut se voir infliger des sanctions prononcées à l’égard des parents, la question de l’évitement d’abus et de l’exploitation doit être résolue dans un deuxième temps, après avoir assuré la protection de l’enfant.

Plus qu’à l’acceptation d’un fait jugé nuisible, une réglementation de la situation d’enfants issus d’une GPA reviendrait à la reconnaissance d’une réalité.

Alors qu’elle reste un sujet sensible, la gestation pour autrui est devenue une réalité à travers l’Europe et le monde. Or – les discussions autour de la politique en matière de drogues le montrent une fois de plus – il ne suffit pas d’interdire une chose pour qu’elle cesse d’exister. Plus qu’à l’acceptation d’un fait jugé nuisible, une réglementation de la situation d’enfants issus d’une GPA reviendrait à la reconnaissance d’une réalité, et ce dans l’intérêt de l’enfant.


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