Art vidéo
 : Décalages musicaux

La BlackBox du Casino a invité l’artiste serbe Katarina Zdjelar : ses deux vidéos explorent les relations entre son et image – sans plus.

Qui s’y connaît un tant soit peu en théorie musicale sait que les notes ne sont pas tout. Tout au contraire, ce sont les distances entre les notes qui comptent autant, sinon plus, pour s’orienter et naviguer dans la musique. L’artiste Katarina Zdjelar, née en 1979 à Belgrade mais travaillant à Rotterdam, s’est approprié cette idée pour la décliner avec des images.

Dans ses deux vidéos, la musique, l’image et leur décalage jouent un rôle de premier plan. La première œuvre, « AAA (Mein Herz) », met en scène en plan frontal une jeune femme qui chante face à la caméra. Jusque-là rien d’étonnant ; ce n’est qu’en mettant le casque (qu’il faut trouver dans l’obscurité de la salle) qu’on plonge dans l’univers créé par Zdjelar. Car la chanteuse interprète pas moins de quatre morceaux en même temps, alternant entre voix d’opéra, paroles et chant « normal » – en respectant le tempo, la clef et le style de chaque composition. Cela donne lieu à un faux brouhaha, dans lequel les différents styles s’allient, se défont et s’entrechoquent tour à tour. C’est une façon intéressante de montrer la diversité de la discipline musicale, tout en s’appuyant sur le langage fort et accessible de l’image.

Si cette première vidéo reste dans la formalité pure et simple, la seconde, « My Lifetime (Malaika) », est plus concrète et plus implicitement politique. L’artiste a filmé une performance de l’Orchestre symphonique du Ghana au Théâtre national d’Accra. Les musiciennes et musiciens y jouent la chanson « Malaika », « Ange » en swahili. Probablement composée par Fadhili William Mdawida, en tout cas c’est ce compositeur, chanteur et guitariste kényan qui la chanta une première fois en public en 1958, « Malaika » a été repris par des stars comme Miriam Makeba, Harry Belafonte, Angélique Kidjo, mais aussi par des artistes plus insolites comme Helmut Lotti, Pete Seeger ou encore… Boney M.

En tout cas, la chanson est porteuse de tout l’espoir de l’Afrique postcoloniale qui s’apprêtait à l’émancipation. L’orchestre lui-même d’ailleurs est le fruit de l’indépendance déclarée en 1957 par Kwama Nkrumah. Ce dernier voulait que l’orchestre procure un sentiment d’unité dans sa population, et en même temps démontrer que les Ghanéen-ne-s étaient à la hauteur de l’ancien colonisateur.

C’est donc aussi une certaine mélancolie qui plane sur ces images, avec des instruments pas dans le meilleur état – parfois réparés avec les moyens du bord –, qui contraste avec la joie et la luminosité de la chanson elle-même. L’immersion dans cet univers est presque totale, grâce à une astuce visuelle employée par Zdjelar : elle ne montre jamais un plan d’ensemble de l’orchestre, mais se concentre sur des détails. Un visage de musicien soufflant dans sa clarinette, les mains du contrebassiste, les pieds d’autres musicien-ne-s composent ainsi le tableau qu’elle peint de cet hommage à des temps révolus. En tout cas, jamais l’impression de voir un orchestre symphonique ne vient à l’esprit en contemplant la vidéo.

Reste à noter que ces deux œuvres ne sont que la première partie du séjour de Katarina Zdjelar au Casino. À partir du 2 juillet, deux autres vidéos seront à l’honneur de la BlackBox : « Shoum » et « Everything Is Gonna Be ». Moins récentes, elles exploreront des univers plus pop avec des références aux Beatles ou encore à Tears for Fears.

En somme, une expo intéressante, sans grand poids artistique – du light –, mais agréable tout de même par une après-midi chargée d’orages.

Jusqu’au 1er juillet à la BlackBox du Casino.

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