Tandis que le risque de pauvreté touche désormais 19 % de la population et que le pays bat des records en matière de travailleuses et travailleurs pauvres, le nombre de millionnaires recensé·es dans le pays est passé de 45.800 à plus de 47.110 en un an. Deux chiffres, deux réalités et une conclusion : au Luxembourg, comme ailleurs, les inégalités s’accroissent.
Franchement, 2022 n’avait pas été la meilleure année pour les millionnaires au Luxembourg. Leur nombre était tombé à 45.800, contre 46.200 l’année précédente, baisse attribuée aux conséquences de la crise de la covid et à la guerre en Ukraine. Mais que l’on se rassure, 2023 est d’un meilleur cru pour les riches du pays, qui sont désormais un nombre record de 47.110 à posséder un patrimoine supérieur à un million de dollars, hors valeur de leur résidence principale, selon le Capgemini’s World Wealth Report 2024, établi par le cabinet de conseil éponyme.
L’étude, présentée au Luxembourg le 6 juin, distingue trois catégories de HNWI, sigle qui désigne les « high-net-worth individuals », selon le jargon en vigueur dans le business de la gestion de patrimoine. Le premier segment, que Capgemini appelle « les millionnaires d’à côté », représente plus de 91 % des millionnaires du pays. Leurs actifs investissables vont d’un à cinq millions de dollars. La seconde catégorie regroupe les « millionnaires de niveau intermédiaire », dont le patrimoine varie de cinq à trente millions de dollars. Sont dénombrées 3.870 personnes dans ce cas au Luxembourg, soit 8,2 % du total de cette cohorte de nanti·es. Encore bien moins fourni, le groupe des « particuliers très fortunés » ne compte que 280 personnes. Leur patrimoine dépasse 30 millions d’euros pour chacun·e. S’ils et elles ne représentent que 0,5 % des millionnaires du pays, leurs avoirs concentrent en revanche 18 % du patrimoine financier de l’ensemble des HNWI du grand-duché, dont la fortune totale s’établit à 139,4 milliards de dollars.
Autre nouveauté cette année, le Luxembourg peut désormais s’enorgueillir de compter dans sa population un milliardaire apparaissant dans le célèbre classement Forbes : il s’agit de Michael Gans, classé à la 2.545e place des grandes fortunes, avec un patrimoine évalué à 1,1 milliard de dollars par le magazine américain. L’homme de 60 ans, dont on ne sait pas grand-chose, possède la double nationalité luxembourgeoise et américaine et réside en Suisse. Il a fait fortune dans la logistique et l’immobilier aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Irlande ainsi qu’au Luxembourg.
La tendance haussière pour les riches est mondiale, indique Capgemini dans son rapport, le nombre de personnes fortunées sur la planète augmentant de 21,7 millions en 2022 à 22,8 millions en 2023, tandis que leur patrimoine est passé de 83.000 à 86.800 milliards en un an. Cette avalanche de chiffres, de millions et de milliards montre que les riches se portent plutôt bien ces temps-ci, au Luxembourg et ailleurs.
Cette avalanche de chiffres, de millions et de milliards montre que les riches se portent plutôt bien ces temps-ci, au Luxembourg et ailleurs.
L’on ne peut en revanche en dire de même pour le reste de la population, avec laquelle l’écart se creuse. Deux statistiques publiées ces deux dernières semaines le démontrent : la première est celle de la population touchée par le risque de pauvreté qui, au Luxembourg, est passée à 19 % en 2023, contre 17,5 % l’année précédente. L’une des conséquences alarmantes de cette hausse concerne les enfants (les moins de 18 ans) qui sont désormais plus de 30.000 à être menacés de pauvreté, soit un sur quatre. « Ces enfants habitent dans des ménages dont le niveau de vie est inférieur à 2.400 euros par mois et par personne. Entre 2022 et 2023, cet indicateur a augmenté de 1,4 point pour atteindre 23.9 % et se situe à un niveau particulièrement élevé pour le Luxembourg », avertit le Statec. « Les 20 % des personnes les plus aisées ont un niveau de vie moyen 4,8 fois plus élevé que celui des 20 % les moins aisées », constate encore l’institut statistique, soulignant que, d’une année à l’autre, cet indicateur va également dans le mauvais sens.
Autre mauvaise nouvelle sur le front des inégalités, le Luxembourg détient toujours le record du nombre de travailleuses et travailleurs pauvres au sein de l’UE, a indiqué Eurostat le 18 juin. En 2023, 14,7 % des salarié·es de 16 à 64 ans étaient confronté·s au risque de pauvreté, selon l’institut statistique européen. En 2022, ce chiffre s’établissait à 12,4 %. Surtout, pour en saisir toute la signification, il faut mettre cet indicateur en rapport avec la moyenne des vingt pays de la zone euro : 6,7 % seulement de la population salariée y avait du mal à joindre les deux bouts en 2023. C’est donc plus du double au Luxembourg.
Lors de son discours sur l’état de la nation devant le parlement, le mardi 11 juin, Luc Frieden a présenté la lutte contre la pauvreté comme l’une des priorités de son gouvernement. Pour réduire les inégalités, le premier ministre CSV mise principalement sur la simplification administrative en direction des publics les plus vulnérables, car de très nombreux bénéficiaires potentiel·les des aides sociales ne les perçoivent pas en raison de la lourdeur bureaucratique attachée aux demandes. Il s’agit d’une difficulté réelle, reconnaissent les organisations qui travaillent avec les personnes en précarité. Mais cela ne résoudra pas le problème sur le fond. Ce qui est structurellement en cause, c’est la répartition des richesses, devenue de plus en plus inégalitaire. Mais de cela, Luc Frieden n’en a pas pipé mot.