Balatum et poésie : Promenade colorée et lyrique

Dans une nouvelle exposition mixte, la galerie Simoncini montre les œuvres bigarrées de Vincent Gagliardi et des panneaux poétiques tirés d’un récent ouvrage de Guy Goffette. Un mélange qui fonctionne à merveille.

L’artiste devant une des œuvres exposées. (Photos: woxx)

« Cette exposition, avec celle qui a lieu en même temps à Forest (région de Bruxelles-Capitale, ndlr), est un peu celle de la maturité pour moi, après 40 ans de pratique artistique », indique Vincent Gagliardi en préambule. De fait, on est impressionné d’emblée par la pureté des lignes et l’absence de fioritures. « Je souhaite laisser une part de liberté au rêve. Il faut que le spectateur puisse aussi exercer son imagination », continue l’artiste. La diversité des coloris frappe également.

Si Gagliardi est de ceux qui préfèrent s’effacer devant leurs œuvres, il s’enflamme lorsqu’il évoque ses voyages au Bangladesh et en Inde, où il a enseigné dans des écoles d’art… sans parler un mot d’anglais. Et d’enchaîner sur sa méthode de travail : « Je ne suis pas un écolo pur et dur, mais j’ai à cœur de réutiliser autant que possible. » Lui qui a débuté aux Beaux-Arts de Metz par la gravure traditionnelle a vite été rebuté par les produits chimiques manipulés pour cette technique, acides en premier lieu, et a jeté rapidement son dévolu sur le balatum, qu’il récupère dans des décharges si nécessaire et qu’il travaille avec passion. Quant aux cadres, il lui arrive de les trouver dans des brocantes ; ceux-ci patientent alors dans son atelier jusqu’à plusieurs années, avant de s’intégrer dans une série de travaux adéquate. Dans l’exposition, quelques cagettes peintes viennent également compléter cette ode au recyclage à visée artistique.

Sur les murs de la galerie, le balatum est magnifié par la peinture, le découpage, l’assemblage ou le cirage – durant parfois deux mois pour plus d’une dizaine de couches. Un thème dominant émerge : la nature. Ainsi, la « Mer rêvée » côtoie « La démarche de l’arbre » ou « L’écoute de la fleur ». À certains moments figuratifs, avec troncs, tiges ou pétales, les tableaux se font aussi plus abstraits, avec des concrétions ou des agencements qui peuvent évoquer des cristaux. Rarement silhouette humaine se dessine, mais, quand elle le fait, c’est pour prêter allégeance aux forces de la nature, comme cet « Auditeur du vent » qui semble porter sur lui tout le poids des murmures du paysage. « La poésie de la cravate », quant à elle, dégage même un certain humour, avec ses contours circulaires qui contiennent une sorte de bourse fermée par l’ornement vestimentaire.

Quand Dickinson
 rencontre Goffette

On l’aura remarqué, les titres de Vincent Gagliardi empruntent aussi à la poésie, notamment par certains télescopages de noms et d’adjectifs. Rien d’étonnant : « Je suis un grand lecteur », confie celui qui voue une admiration sans bornes à Emily Dickinson (1830-1886), jusqu’à s’être inventé dans une série d’œuvres une correspondance imaginaire avec la poétesse américaine. C’est donc tout naturellement que sa « Promenade de la couleur » se mêle à « Paris à ma porte », qui constitue à la fois le titre de l’exposition parallèle et le titre d’un livre récemment paru aux éditions Simoncini. Les vers sont de Guy Goffette, poète belge bien connu et directeur de collection chez Gallimard, qui distille là des souvenirs d’enfance en vers classiques et rimés pour la plupart. Un style au charme désormais un peu suranné qui s’affiche sur de grands panneaux intercalés entre les œuvres picturales.

Cette promenade dans un Paris révolu est empreinte d’une nostalgie toute particulière, qui contraste avec les couleurs exacerbées des tableaux et des sculptures : « Enfant déjà j’aimais les dames / leurs lèvres rouges leurs seins drus / où se perdaient toutes mes larmes / J’avais cinq ou six ans pas plus ». Pour le livre, Gagliardi a concocté deux gravures originales, insérées dans l’édition bibliophile numérotée. Il s’est immergé dans les vers de Goffette, puis a représenté celui-ci (sans pourtant en avoir vu une photographie) dans un environnement de lettres en mouvement. Les travaux qui figurent aux murs de la galerie, qu’ils soient faits de balatum récupéré ou de mots souvenirs, se répondent ainsi sans pourtant qu’il y ait eu concertation.

Jusqu’au 19 mars à la galerie Simoncini.

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