Avec la reprise des séances au Kinosch, les cinéphiles du sud du pays n’auront plus à se rendre à la Cinémathèque de Luxembourg-ville pour savourer des classiques du septième art sur grand écran. Petit passage en revue du programme des deux prochains mois.
Mettre face à la caméra des personnes aux origines différentes ou aux systèmes de valeurs opposés est un procédé courant, qui peut prendre des formes variées : du burlesque au drame, en passant par le récit d’apprentissage ou le documentaire. C’est dans le vivier quasi inépuisable de ce genre que la Kulturfabrik a décidé de puiser pour la reprise des séances au Kinosch, avec un cycle nommé « Le choc des cultures », d’avril à décembre.
Pour commencer, c’est « In the Heat of the Night », tourné en 1967 par Norman Jewison qui, le 6 avril, « ouvrira les hostilités », comme l’écrit avec beaucoup de justesse la Kulturfabrik. Car d’hostilités il est bien question ici. À la suite de l’assassinat d’un gros bonnet de la petite ville de Sparta, au Mississippi, un Noir est arrêté avec une forte somme d’argent sur lui. Immédiatement, il est soupçonné par le chef de la police locale. Mais il s’avère que ce coupable idéal est enquêteur spécialisé dans les homicides à Philadelphie, en visite chez sa mère. De fil en aiguille, c’est bien sûr lui qui va résoudre l’affaire, dans une atmosphère étouffante de racisme sudiste. Le film est rythmé, sans temps morts, avec des performances mémorables de Sidney Poitier et de Rod Steiger ; la réalisation au cordeau de Jewinson est accompagnée par une bande-son captivante de Quincy Jones.
La bande-son (de Dennis Bovell) est également un des principaux atouts du film programmé le 20 avril, « Babylon », réalisé par Franco Rosso en 1980. Reggae, joints, langue créole : ce qui commence comme une succession de clichés sur la communauté jamaïcaine dans le quartier londonien de Brixton va rapidement devenir une charge contre la violence d’État et un constat amer sur le racisme quotidien. À l’instar de Jewinson, Rosso propose une excellente scène de poursuite d’un Noir par des Blancs. Ses images sont cependant plus documentaires, sa fin moins optimiste. Comme si le « Babylon System », cet esclavage des corps et des consciences que dénonçait Bob Marley, était là pour durer. Pas étonnant d’un cinéaste qui a été l’assistant de Ken Loach. Un film plus coup de poing, moins léché : le choc des cultures, c’est aussi celui des styles cinématographiques.
Une programmation cohérente
Le 11 mai, les cinéphiles auront rendez-vous avec Rainer Werner Fassbinder et son film « Angst essen Seele auf », de 1974. On entre dans le vif du sujet dès la scène d’ouverture : une Allemande âgée s’abrite de la pluie dans un café fréquenté par des travailleurs immigrés marocains. « Deutsch und Arabisch nicht gleiche Mensch », lui dit celui qui va pourtant devenir rapidement son jeune amant. Si l’action avance surtout grâce aux dialogues − Fassbinder en a aussi fait une pièce de théâtre −, les cadrages sont savamment composés. Les personnages sont souvent filmés dans des encadrements de porte ou à travers un grillage, reflétant à l’écran les barrières mentales. Cette réflexion sur les différences d’âge et d’origine, inspirée de « All That Heaven Allows » de Douglas Sirk, joue en outre beaucoup sur la symbolique des couleurs. On est là dans un cinéma léché, exigeant, mais qui sait fasciner par sa maîtrise.
Le 25 mai sera ensuite projeté « Walkabout », de Nicolas Roeg. Ce long métrage de 1971 est un récit d’apprentissage où une adolescente et son jeune frère, après le suicide de leur père, errent dans l’outback australien et rencontrent un Aborigène. Celui-ci, en plein « walkabout », un rite d’initiation requérant de survivre un certain temps de façon solitaire, les prend sous son aile. L’esthétique de ce film est celle qui a sans doute le plus vieilli, avec ses fondus un peu kitsch, ses montages parallèles très démonstratifs et la musique romantique et sirupeuse de John Barry. Il ne s’en dégage pas moins une fascination certaine, d’abord par la description quasi exhaustive de la faune australienne : iguanes, échidnés, wombats ou opossums sont convoqués de façon quasi documentaire dans la chaleur du semi-désert. Mais surtout par le subtil érotisme de la relation entre la jeune fille blanche et le garçon noir, un amour impossible mais inoubliable.
À l’heure des plates-formes toutes-puissantes qui proposent sans aucun doute sur les écrans individuels bon nombre des films de ce cycle, on pourrait douter de l’intérêt d’aller voir en salle des œuvres déjà anciennes. Ce serait cependant oublier deux choses essentielles. D’abord, une équipe a pris la peine de construire une programmation cohérente de films sur un sujet bien précis. Plus besoin d’hésiter devant le choix pléthorique à portée de clic ! Et puis ces films ont été tournés pour être projetés sur grand écran. Que donneraient les paysages australiens de « Walkabout » ou les plans esthétiques d’« Angst essen Seele auf » sur un smartphone ? Sans compter que le choc des cultures, c’est aussi − toutes proportions gardées − se confronter aux autres… ne serait-ce que dans une salle obscure, à quelques sièges de distance.