À Paris, des milliers de personnes ont bravé l’interdiction de manifester ce dimanche. Le woxx était au cœur de l’action.
« Li-ber-té ! Li-ber-té ! » Le mot résonne boulevard de la République, repris en chœur par des centaines de manifestants. Une odeur âcre de gaz lacrymogène flotte dans l’air. Un photographe se rince les yeux à l’aide d’une bouteille d’eau. « Ils vont charger ! », s’écrie une femme au moment où deux grosses déflagrations secouent la rue. Les grenades anti-encerclement lancées par les CRS déclenchent un mouvement de foule.
Moins d’une demi-heure plus tôt, l’ambiance était encore bon enfant, place de la République. Les centaines de CRS présents s’étaient retenus jusque-là, mais avaient commencé à progressivement fermer tous les accès à la place. C’est alors qu’un petit cortège, drapeaux anarchistes en tête, s’était mis en marche. « État d’urgence, État policier, on ne nous enlèvera pas le droit de manifester ! », avaient-ils scandé, et avec chaque mètre que le petit regroupement parcourait, de nouveaux manifestants le rejoignaient.
C’est dans une ville en état de siège que les Parisiens et Parisiennes se sont réveillés, ce dimanche 29 novembre. Police nationale, gendarmerie mobile, CRS, militaires, c’est toute une panoplie de forces de l’ordre qui a investi la capitale. Fouilles aux entrées des stations de métro, contrôles d’identité dans les rues, policiers lourdement armés aux endroits stratégiques : un dispositif encore jamais vu marque le lancement de la COP21 à Paris.
Vers 10 heures du matin, les premiers manifestants commencent à affluer, place de la République. La grande « Marche pour le climat », qui devait être « la plus grande manifestation contre le changement climatique de tous les temps », a été interdite dans le cadre de l’état d’urgence décrété à la suite des attentats du 13 novembre. Néanmoins, certains groupes et collectifs appellent à se manifester d’une manière ou d’une autre.
« État d’urgence, État policier, on ne nous enlèvera pas le droit de manifester ! »
À 11 heures, c’est une multitude de manifestants qui se retrouvent au pied du monument à la République, devenu lieu de commémoration pour les victimes des attaques qui ont secoué la capitale en janvier, puis en novembre. Une bonne partie de la place est recouverte de chaussures, orientées vers la place de la Nation, où la marche aurait dû prendre fin. Il y a une paire de baskets appartenant à Ban Ki-moon, et des chaussures de ville appartenant au pape François. « L’Église catholique a son rôle à jouer dans cette lutte pour le climat », explique un activiste catholique en espagnol.
Militants anarchistes, moines catholiques, clowns activistes, cyclistes, familles, jeunes et moins jeunes se sont donné rendez-vous. Un vendeur ambulant vend des drapeaux tricolores – « C’est dix euros le petit drapeau, vingt le grand » – à des touristes qui n’ont pas la moindre idée de ce qui se passe autour d’eux. Des activistes japonais mettent en garde contre les risques du nucléaire : « Another Fukushima is possible », dit leur banderole. Un groupe d’Australiennes déguisées en anges lit des textes sur le changement climatique écrits par des écoliers d’Australie. « Le capitalisme détruit la planète », martèle un activiste à l’aide d’un mégaphone un peu plus loin.
L’état d’urgence est dans toutes les bouches. Comment les flics vont-ils réagir ? Y a-t-il un risque d’attentat ? « Avez-vous peur ? », demande un journaliste d’une chaîne d’informations à un militant qui distribue « Le Monde libertaire », hebdomadaire de la Fédération anarchiste. « La question n’est pas si j’ai peur ou pas », se voit-il rétorquer. « La question est plutôt jusqu’où l’État va-t-il aller pour étouffer les mouvements sociaux. » Il connaîtra la réponse à sa question bien assez tôt, quand les grenades lacrymogènes pleuvront sur une place de la République transformée en grande souricière : une fois toutes les issues bloquées par les CRS, la station de métro sera fermée et les activistes restés sur place encerclés et arrêtés. Les forces de l’ordre procéderont à plus de 300 interpellations.
Devant un cordon de policiers, des gens commencent à danser au son d’un accordéon. Ils deviennent de plus en plus nombreux, et bientôt, une bonne dizaine de couples danse.
À l’appel d’Attac et d’Alternatiba, une chaîne humaine se forme un peu plus tard, entre les stations de métro République et Oberkampf, le long du boulevard Voltaire. Tandis qu’une foule de touristes prend des selfies devant le Bataclan, les militants se positionnent sur le trottoir. Les CRS les observent. « Restez sur le trottoir ! », gueule un policier, carabine à la main, au moment où quelques manifestants essayent de traverser la rue. Beaucoup de familles participent à l’action.
Des pancartes ont été préfabriquées par les organisateurs. « We need… » est inscrit dessus. Aux manifestants de compléter la phrase : « biodiversity » est écrit sur l’une d’entre elles, « clean oceans » ou encore « air to breathe » sur d’autres. Un groupe de dames âgées entonne « La mer », la chanson de Charles Trenet. La chaîne humaine se passera dans le calme et la bonne humeur. Selon la police, ils auraient été 4.500 à suivre l’appel. Selon les organisateurs, 10.000.
De retour de la chaîne humaine, beaucoup ne savent pas quelle sera la suite de la journée d’action. L’humeur est bonne et une odeur de soupe envahit la place. Elle provient du stand d’une « cuisine populaire » qui s’est installée au pied du monument à la République. Devant un cordon de policiers, des gens commencent à danser au son d’un accordéon. Ils deviennent de plus en plus nombreux, et bientôt, une bonne dizaine de couples danse. Même les CRS ont le sourire aux lèvres. À quelques mètres de là, un petit groupe de jeunes bloque la circulation des voitures au niveau d’un passage piéton. « Libérez les piétons enfermés dans les voitures ! », s’emportent-ils. Dans les rues adjacentes, des centaines de policiers commencent à mettre leurs combinaisons de combat.
Les manifestants tentent de forcer le cordon policier, le clash est inévitable
Quelques minutes plus tard, un petit cortège se met en marche et fait un premier tour de la place. Il est rejoint par toujours plus de manifestants. Les policiers deviennent visiblement nerveux. « Il va falloir sérieusement se préparer, là », prévient un policier en civil à l’attention de ses collègues. Les casquettes de police sont échangées contre des casques.
Quand la manif sauvage prend le boulevard de la République, la tension est palpable. Un cordon de CRS bloque la rue à une cinquantaine de mètres de là. « Li-ber-té ! », scande la foule. Les journalistes se pressent vers la tête du cortège, où les premiers commencent à se cagouler. Les manifestants tentent de forcer le cordon policier, le clash est inévitable. Les policiers ripostent avec des coups de matraque et arrosent les premières lignes de militants de gaz lacrymogène. Des activistes tentent de s’interposer. « Pas de violence ! », s’écrient-ils. En vain : les premières bouteilles volent en direction des CRS. Les pacifistes sont à leur tour arrosés de gaz lacrymogène.
Un groupe de touristes passe un peu plus loin. « What’s happening here ? », demande l’un d’entre eux. « Why is there so much police ? » « It’s the COP21 », lui répond un manifestant. « This seems more like the Robocop21 », constate le touriste avant de s’en aller à vive allure.