Avec cette première anthologie trilingue, l’asbl Pessoa s’insère dans les festivités d’Esch 2022 avec un regard tourné vers la communauté lusophone, mais également ouvert à la multiculturalité de la métropole du fer.
Promouvoir et soutenir la littérature en portugais au grand-duché, tel est l’objectif de l’asbl Pessoa. Depuis sa création en 2018, celle-ci a ainsi organisé, entre autres, des lectures, des rencontres ou des prestations de conseil pour l’acquisition de livres en portugais auprès des bibliothèques. C’est la nomination d’Esch comme capitale européenne de la culture cette année qui lui a permis de sauter le pas et de publier son premier livre, édité par Oxalá Editora, une maison allemande.
« Esch. Lieu de mémoires » est un recueil de courts textes qui présentent la vision de leurs auteurs ou autrices sur la ville d’Esch. Dix contributions ont été choisies après un appel lancé parmi les personnes qui suivent l’association sur les réseaux sociaux, relayé dans des bibliothèques. La plupart des textes sont en portugais, mais l’association a souhaité ouvrir le livre aux langues anglaise et française. Pour illustrer l’ouvrage, elle a fait appel au collectif Reflex, qui regroupe des photographes dont les sensibilités multiples se rejoignent dans leur désir commun de privilégier les émotions lors de la capture d’instants.
Naturellement, puisque se côtoient dans le livre des auteurs et autrices aux expériences littéraires diverses, l’ensemble est de facture inégale. Mais il s’en dégage une volonté très intéressante, justement, de donner la parole à qui n’oserait pas la prendre en temps normal. C’est ainsi que Cidália Rodrigues raconte une histoire simple de migration dans les années 1980. Le très court texte a été retravaillé par São Gonçalves pour que l’habileté stylistique ne soit pas un obstacle à l’insertion dans le livre – c’est ainsi qu’on le comprend, en tout cas, de manière très positive. La migration est bien sûr un thème abordé dans beaucoup de contributions ; peut-être la plus réussie est-elle « O Rio Zêzere » (la rivière Zêzere), de Sandra Amado, qui condense en quelques pages et dans un temps de quelques mois les hauts et les bas du départ, de l’arrivée, des doutes, de la découverte de l’amour et de l’établissement définitif sans pourtant renoncer au lien avec le pays natal. Un bel esprit de concision dont fait aussi montre Duarte Faro – un pseudonyme – avec « Olhar em frente » (regarder vers l’avenir), texte coup de poing qui file la métaphore de la myopie pour montrer la difficulté du travail de mémoire, dans une rue Nelson Mandela qui, il n’y a pas si longtemps, se nommait rue des Boers.
Des fantômes à la bibliothèque
Toujours en portugais, l’un des animateurs de l’asbl Pessoa, Luís Galveias, propose un émouvant échange épistolaire entre un père atteint d’un cancer en phase terminale et son fils, qui se rend compte qu’il habite dans un immeuble eschois construit par son géniteur. Impossible ici de détailler l’ensemble des textes lusophones, mais leur lien à Esch et à la mémoire est bien établi, et si la qualité littéraire n’est pas constante, la sincérité y est évidente.
La contribution la plus longue est en anglais : « A Night at the Library », de Veronica Badea, une histoire de fantômes, de grimoire et de rituel à mener… dans la bibliothèque municipale d’Esch, par une jeune bibliothécaire en chef qui n’en demandait pas tant lors de la soirée d’Halloween. Tant la langue d’écriture que le style, plus humoristique, permettent de trancher avec les autres propositions, apportant ainsi une touche de légèreté qui fait ressortir le sérieux de certaines. Un équilibre réussi, en quelque sorte.
Du côté des textes en français, on trouve une collection de souvenirs d’adolescence de Paulo Lobo, qui signe aussi plusieurs photos, ainsi qu’une traduction en français d’un extrait d’un roman déjà publié en portugais par José Luís Correia. « Une étrange fille d’Esch à contre-jour » présente d’indéniables qualités dans le récit, mais certaines petites erreurs et imprécisions amènent la question de savoir pourquoi l’original n’a pas été retenu. Certainement une volonté d’équilibre des langues. Le défaut est bien ténu par rapport à la générosité du projet. Celui-ci constitue une lecture agréable pour se confronter aux visions multiples d’une Esch qui ne se donne pas au premier regard. Car, dans la présentation du livre la semaine dernière au centre culturel portugais de Merl, il ressortissait de presque toutes les interventions qu’il convient d’accorder un second regard à la ville avant de l’apprécier. Voilà donc avec ce livre dix regards littéraires et cinq photographiques de plus. Qui n’aimerait pas Esch après ça ?