Dans les salles : Harka

Présenté dans la section Un certain regard au Festival de Cannes l’année dernière, « Harka » a obtenu le prix d’interprétation masculine pour son acteur principal Adam Bessa. La coproduction luxembourgeoise scrute la réalité tunisienne post-Printemps arabe, avec beaucoup de style mais un scénario peu étoffé.

Pas facile de regarder vers l’avenir pour Ali… (Photos : Tarantula distribution)

Ali survit en vendant de l’essence au noir pour un contrebandier qui la fait venir de Libye. Le jeune homme rêve cependant d’une vie meilleure, loin de cette Tunisie qui, dix ans après avoir été à l’origine des premiers soulèvements du Printemps arabe, est retombée dans le marasme économique et politique. Lorsque son père meurt, criblé de dettes, il renonce momentanément à son projet d’exil pour s’occuper de ses deux sœurs mineures : son frère, plus âgé, a en effet accepté un travail de serveur à Hammamet. Ali en arrive ainsi, pour gagner plus d’argent, à troquer son activité de vendeur à la sauvette pour celle, plus rémunératrice mais aussi plus périlleuse, de passeur d’essence dans le désert.

Dès le départ, il y a donc dans « Harka » un renoncement, celui d’Ali à ses rêves. Le parallèle avec la désillusion collective après l’espoir suscité par les révoltes populaires du début des années 2010 est évident. En quoi, au fond, cette Tunisie des années 2020 est-elle différente ? Chaque plan ou presque nous rappelle que dans cette société toujours inégalitaire tout s’achète, tout se monnaie. Pas de place pour l’altruisme ou la solidarité, hormis au sein de sa propre famille. En témoigne l’achat par Ali d’un chiot pour sa plus jeune sœur, économiquement malvenu mais preuve d’un amour fraternel que les difficultés ne sauraient entamer ; en témoigne malheureusement aussi l’indifférence de la mairie ou de l’administration du gouverneur aux problèmes du protagoniste.

… tant que son seul moyen de subsistance sera la vente illégale de carburant pour un patron louche.

Lotfy Nathan, cinéaste américain d’origine égyptienne, s’empare de son propre scénario pour y plaquer des images radieuses de soleil – citons à cet effet le directeur photo Maximilian Pittner – qui contrastent avec la misère décrite et le découragement progressif de son personnage principal. La proposition cinématographique est habile et bien réalisée, grâce également à une utilisation soignée de la musique composée par Eli Keszler. La lumière qui baigne l’image est la même pour les riches touristes de Hammamet que pour les petites mains de Tunis. Elle fait fondre à sa chaleur la notion de patrie, qui ne signifie plus rien pour Ali. Le soin apporté à la forme de « Harka » souligne avec vigueur les contrastes qui exacerbent les envies et les frustrations.

Prix d’interprétation 
parfaitement justifié

Est-ce à dire que le film est une pleine réussite ? Pas exactement. D’abord, l’accumulation de péripéties négatives pour le héros est assez étouffante, les scènes des liens fraternels ne permettant pas vraiment de respirer. On pourrait arguer que « Harka » a pour propos de rendre à l’écran une réalité difficile à vivre. Certes, mais pour celles et ceux qui suivent l’actualité internationale, et en particulier celle du Maghreb, il n’y aura là rien de nouveau : voilà longtemps que la désillusion post-Printemps arabe fait l’objet d’une couverture journalistique. Pour mieux étayer le propos et pour mieux capturer ladite désillusion, un scénario plus étoffé aurait été nécessaire. Car au petit jeu des parallèles et des contrastes auquel celui-ci se livre, sans vraiment bifurquer dans des intrigues secondaires, on voit venir la fin de très, très loin.

Il est vrai, on l’a observé, que la forme du film propose une immersion de qualité dans la réalité tunisienne. Il faut aussi mentionner que le prix d’interprétation accordé à Cannes à l’acteur principal Adam Bessa est en tous points justifié. Le Franco-Tunisien porte le film sur ses épaules, malgré sa frêle silhouette qui se meut avec résignation dans les décors douteux d’un pays mal en point. Antihéros exemplaire, son personnage taiseux qui va peu à peu laisser parler sa colère et son mécontentement lui va comme un gant. On se délecte de le voir évoluer à l’écran, capturé souvent en gros plan par Lotfy Nathan, lequel a parfaitement compris comment susciter l’empathie. Alors, si quelques frustrations se font jour sur le scénario un rien fluet, si on sait bientôt comment tout cela va se terminer, on conclut au film d’atmosphère et on se laisse emporter par le soleil de Tunisie et le charisme de l’acteur. Après tout, et contrairement aux articles de journaux, rares sont encore les films à s’emparer de ce thème important du désenchantement arabe.

Aux Kulturhuef Kino, Orion, Prabbeli, Scala, Sura, Starlight et Utopia. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XX


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